mercredi 30 janvier 2008

Emotion, imitation et empathie

Je n'avais jamais remarqué que le mot "émotion" vient de "mouvement" (motion, du latin "movere"). Un bon article de "Cerveau et Psycho" explique ce mois-ci pourquoi cette étymologie ne doit rien au hasard.

Quand je baille, l'amour-de-ma-vie baille presque en même temps, c'est plus fort qu'elle, on n'y peut rien. Il y a plein d'exemples quotidiens de ce genre de mimétisme compulsif: quand on tousse, quand on pleure, quand on se gratte... Et les fous rires où l'on ne peut plus s'empêcher de rire parce que l'on voit l'autre rire, est un douloureux exemple d'imitations qui bouclent sur elles-mêmes. L'imitation est le propre de l'homme et des primates.

Là où ça devient intéressant c'est en 1996, lorsque le neurologue italien Giacomo Rizzolati a découvert (un peu par hasard) que les neurones activés quand un macaque saisissait un objet étaient également activés quand ce même singe observait simplement ce mouvement chez un autre singe. Le système cérébral ainsi activé et baptisé "neurones miroirs", serait à l'origine de l'empathie. Il expliquerait pourquoi en voyant un visage très expressif, non seulement on a tendance à l'imiter intérieurement, mais également à ressentir l'émotion qui s'en dégage.

On supputait depuis William Charles James à la fin du XIXe siècle que l'émotion naissait du mouvement ("ce n'est pas parce qu'on voit l'ours qu'on a peur et qu'on court, dit-il, c'est parce qu'on court en voyant l'ours qu'on a peur"). On pense maintenant que c'est la simulation intérieure du mouvement, née souvent de l'imitation, qui provoque l'émotion, donc l'empathie.

Il y a deux limites à cette imitation intérieure: la première c'est qu'on n'imite que ce qui nous est "utile": une maman ne pleure pas en voyant son bébé pleurer. Et l'on a montré que les bébés pleurent en entendant pleurer des bébés de leur âge, mais ne réagissent pas en entendant l'enregistrement de leurs propres pleurs ou celui de bébés plus âgés. L'empathie suppose aussi une certaine distanciation avec soi et avec les autres (cela dit, rire tout seul peut provoquer un fou rire au bout d'un moment et s'amuser à tousser longtemps peut rapidement dégénérer).

La deuxième limite de cette imitation intérieure est qu'elle reste intérieure non pas parce qu'elle "feinte", mais parce qu'elle est inhibée par d'autres systèmes cérébraux. Sauf dans certains cas de Troubles Obsessionnels Compulsifs où le malade ne peut s'empêcher d'exécuter compulsivement certains mouvements.

Je suppose que cet enchainement incontrôlable vue-> imitation-> émotion explique pourquoi devant le dernier Cronenberg, j'ai dû fermer les yeux devant les scènes de tortures, de crainte de ressentir physiquement ce que j'y aurais vu.

A l'inverse, on a montré que les enfants autistes souffrent d'un déficit de leur système miroir, déficit d'autant plus important chez les enfants les plus affectés. La capacité à socialiser semble donc bien dépendre de cette capacité à imiter intérieurement. Les progrès de la neurologie donneraient ainsi raison à René Girard, dont toute la théorie de socialisation s'appuie sur la faculté d'imitation des primates (l'imitation engendrant désir et violence, structures fondamentales des sociétés organisées).

L'imitation instinctive ne serait donc pas seulement une manière efficace d'apprendre des comportements, mais l'une des clefs de notre socialisation... Et le mime Marceau aurait le secret de stimuler chez ses spectateurs, l'imitation intérieure de sa gestuelle pleine d'émotion. Tousseurs s'abstenir!



Références:
Quel est le secret du mime Marceau, Claude Bonnet, Cerveau et Psycho, janvier 2008
Sur le baillement: juquelier, 1905 et "Le baillement est-il contagieux" de Olivier Walusinski
Les systèmes de neurones miroirs, Giacomo Rizzolatti, décembre 1996
Neurosciences : Les mécanismes de l'empathie. Entretien avec Jean Decety. Sciences Humaines N° 150 Juin 2004
Bibliographie commentée de René Girard, sur cottet.org
jcdurbant
, René Girard confirmé par la neuroscience, 15 août 2007

dimanche 27 janvier 2008

Pasteur et la génération spontanée


Comme tout le monde j'ai appris à l'école que nous devons à Pasteur la découverte des bactéries et la démonstration que les êtres vivants ne naissent pas spontanément, contrairement à ce que l'on croyait depuis Aristote. La réalité historique est bien entendu plus complexe et plus intéressante.

Tout d'abord Pasteur est loin d'être le premier savant à réfuter la thèse de la génération spontanée. En 1668, un riche apothicaire italien de la cour des Médicis, Francesco Redi, avait déjà démontré avec une rigueur scientifique tout à fait inédite pour l'époque, que les asticots ne naissaient pas tout seuls dans la viande. Pour y parvenir, il remplit des fioles de viande et de poisson mort, et en couvre certaines d'une fine gaze tandis que les autres sont laissées ouvertes à l'air libre. Au bout de quelques jours, il trouve des asticots mais uniquement au fond des fioles ouvertes, dans lesquelles des mouches ont pu s'introduire et y pondre des oeufs. Il n'y a pas d'asticot dans les autres fioles. Mais sur la gaze qui les recouvre, il découvre les oeufs que les mouches ont déposés, attirées par l'odeur de la viande. A ce pionnier de la démonstration expérimentale, on a dédicacé un cratère sur Mars.

Pasteur n'est pas non plus le premier à découvrir les bactéries. A peu près à la même époque que Redi,
Antonie Van Leewenhoek un drapier hollandais et bricoleur de génie, publie en 1678 ses observations d' "animacules" minuscules (des protozoaires et des bactéries) grâce à ses microscopes de sa fabrication qui grossissaient jusqu'à 200 fois, une prouesse pour l'époque. Amateur de génie en dehors des circuits scientifiques de l'époque, Van Leewenhoek observe avec son microscope les globules rouges, les spermatozoïdes, l'anatomie de nombreux insectes, la structure des végétaux...

Lorsqu'en 1861, Pasteur réalise son expérience avec le fameux ballon au long col de cygne (empêchant les bactéries d'atteindre l'infusion bouillie au fond du ballon), il améliore plus qu'il n'invente un protocole déjà expérimenté depuis longtemps: en 1768, l'italien Lazzaro Spallanzani avait montré que des solutions de micro-organismes bouillies puis scellées devenaient stériles. En 1836, le naturaliste allemand Theodor Schwann avait encore amélioré l'expérience en brûlant l'air à l'entrée du flacon au lieu de sceller celui-ci. Sur un plan scientifique, Pasteur a légèrement amélioré le dispositif.

Enfin, dans sa controverse avec Pouchet, Pasteur n'a pu réfuter convenablement la contre-expérimentation de ce dernier, qui observa la naissance de microbes dans une infusion de foin pourtant bouillie scellée. Pasteur a d'ailleurs lui-même reproduit cette expérience avec succès et n'a pas publié ses résultats qui viennent contredire son édifice théorique: "Je ne publierai pas ces expériences, écrit-il, (...) les conséquences qu'il fallait en déduire étaient trop graves pour que je n'eusse pas la crainte de quelque cause d'erreur cachée." Heureusement, en 1870 l'Académie des sciences est déjà acquise aux thèses de Pasteur et enterre définitivement la théorie de la génération spontanée dont Pouchet est le dernier défenseur jusqu'à sa mort, deux ans plus tard.

Ce n'est qu'en 1876 que l'on résoudra l'énigme de l'expérience de Pouchet: à très haute température le bacille du foin se transforme en spore très résistante, et retrouve ensuite sa forme vivante au contact de l'oxygène.

Bref, sur cette question de la génération spontanée, Pasteur a surtout été l'avocat efficace d'une théorie déjà bien en vogue. Il ne prouvera son génie que plus tard, avec la découverte de la la stérilisation (qui est la conséquence des expériences précédentes) et bien sûr avec l'invention du premier vaccin.

vendredi 25 janvier 2008

Principe de précaution: ineptie, énormité ou salubrité publique?

Le principe de précaution revient dans l'actualité, avec sa remise en question par la Commission Attali, au motif qu'il "instaure un contexte préjudiciable à l'innovation et à la croissance".

Reprise d'un échange sur ce sujet avec Eric, qui s'interroge dans son excellent blog sur la signification et la
dangerosité de ce principe à la formulation pour le moins amphigourique:
« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » (article 5 de la Charte de l'Environnement, inscrite à la Constitution depuis 2005).
Pris hors contexte, ce principe ressemble effectivement à une tautologie, quelque chose du genre "tout gouvernement doit prendre des mesures de simple bon sens face à un danger majeur, même si celui-ci n'est pas complètement démontré." Et la Commission Attali a eu beau jeu de démontrer qu'il n'y a pas d'innovation sans prise de risque, sinon on n'aurait jamais développé l'électricité ou le moteur à explosion. Et l'on pourrait reprocher à nos ancêtres Homo Erectus d'avoir généralisé l'usage du feu, qui peut être terriblement dangereux.

Je crois pourtant que le principe de précaution n'est ni une pure trivialité ni une nouvelle démonstration de démagogie écologique. Car force est de constater que jusque dans les années 1990, nos politiques de protection sanitaire et de l'environnement ont été le plus souvent régies d'abord par l'intérêt supérieur de la politique industrielle française.

Quelques exemples:


- La France a attendu 1997 pour interdire complètement l'amiante, après en avoir été le premier producteur mondial. Alors que l'on connaît officiellement sa dangerosité depuis 1902. Qu'il est inscrit officiellement au tableau des facteurs de maladies professionnelles depuis 1945 et classé comme cancérogène avéré depuis 1976. Pourquoi tant de temps? Car sa dangerosité était insuffisamment démontrée par le Comité Permanent Amiante, financé par les industriels*

- Il faut attendre 1991 pour avoir une première loi de vrai protection contre les dangers du tabac. Bien que l'on connût son caractère cancérigène, la mesure exacte de sa dangerosité n'était
pas suffisamment démontrée selon le lobbying anti-tabac.

- Après la
catastrophe de Tchernobyl et contrairement à tous nos voisins européens, les pouvoirs publics n'ont pris aucune mesure préventive sur le lait, les légumes verts ou l'eau de pluie. Le nuage s'était arrêté à nos frontières, heureusement.

- Enfin, et je m'arrête là, on a attendu 2 ans pour imposer en 1985 le dépistage systématique du sida sur les dons de sang, simplement parce que la France refusait de se voir contrainte d'importer du plasma des Etats-Unis. Bilan: 2000 hémophiles contaminés.


Pour biscornu qu'il soit, ce principe de précaution me semble du coup être la salutaire promesse que les pouvoirs publics ne s'abriteront plus derrière
l'insuffisance de preuves pour différer les mesures préventives qui s'imposent. Loin d'être la condamnation à mort de toute initiative sous prétexte du risque inévitable qu'elle porte en germe, ce principe de précaution est la garantie donnée au citoyen qu'il peut compter sur un (contre-)pouvoir responsable qui le préservera des risques majeurs et avérés, sans attendre des années d'expertises contradictoires.

Cette formulation sous forme d'incitation à l'action sans tarder se retrouve d'ailleurs de manière beaucoup plus claire dans la Loi Barnier de 1995 (je graisse):
"L'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement, à un coût économiquement acceptable." C'était moins pompeusement dit, mais certainement beaucoup plus clair.

Le protocole de Kyoto est une illustration de ce qu'on attend d'un tel Etat responsable. Et pour le coup, on aurait été heureux que les Etats-Unis aient adopté notre fameux principe...

*PS: Je tiens à remercier mon
number one de m'avoir prêté son devoir de SVT sur l'amiante, précieuse documentation à cette modeste contribution bloguesque.

lundi 21 janvier 2008

Les super-nounours de 0,1mm


Je vous recommande l'excellent Calme Plat chez les Soles de Marc Giraud, qui regorge d'histoires extraordinaires d'animaux de la mer et de la plage.

Parmi les drôles de bestioles, on y découvre le craquant Tardigrade, espèce d'ourson d'eau (Water Bear en anglais) de moins de 0,5mm de longs. Petits mais complets! Ils ont des pattes (8), avec de belles griffes, un cerveau et même un embryon d'oeil! Petit il est encore plus craquant Très élégant,il ne nage pas mais il marche:

le Tardigrade en goguette...

La marche du tardigrade 1 par fleur_salam


On en trouve partout autour de nous, surtout dans les mousses ou les lichens dont il raffolejusqu'à deux millions au mètre carré). Mais comme il ne fait pas les choses à moitié, pour lui partout c'est vraiment partout: du haut de l'Himalaya jusqu'au fond des abysses sous-marins (on en a trouvé à -4000m de profondeur).

Car cette bestiole est une espèce de super héros miniature: en cas de sécheresse, elle se momifie littéralement et peut rester dans un état d'hibernation (le terme exact c'est "cryoptobiose") pendant des années, puis revivre quasi instantanément au contact d'une goutte d'eau! On en a fait revivre après 2000 ans de séjour au milieu d'une calotte glaciaire!


"On peut les plonger dans l'alcool pur, dans l'éther, dans l'hélium liquide à -272°C pendant huit heures ou dans l'air liquide pendant vingt mois, les chauffer une demi-heure à +360°C (...) les immerger dans le vide absolu, les exposer à des radiations ou a des substances toxiques (les chercheurs sont vraiment sadiques...), les tardigrades sont capables de s'en sortir et de repartir comme si de rien ne s'était passé!". Au point que certains se demandent, si comme Superman, ils ne viendraient pas d'une autre planète?

Plus sérieusement, à quoi a donc pu leur servir une telle suradaptation? Et pourquoi avoir évolué en tellement d'espèces (on en compte plus de 600) si chacune est aussi résistante? En tous cas, moi je trouve qu'il a un peu des airs d'extra-terrestre ce nounours...


jeudi 17 janvier 2008

Les nombres irrationnels: √2




Depuis Pythagore on sait que dans un triangle rectangle, la somme des carrés des 2 côtés de l'angle droit est égal au carré du 3eme côté (cf cette vidéo pour tout savoir sur Pythagore et d'amusantes démonstrations de son théorème, sur le très bon site des inclassables mathématiques). Et depuis Pythagore on cherche à calculer la longueur de l'hypoténuse pour le triangle rectangle élémentaire, dont les 2 côtés sont de longueur 1.


Pourquoi est-ce difficile? On peut d'abord montrer que ce nombre 2- racine carrée de 2 puisque son carré vaut 1+1=2 - ne peut s'écrire sous la forme d'une fraction simple.
J'adore la démonstration, par l'absurde.

Supposons que ce nombre s'écrive sous forme de fraction p/q irréductible (c'est à dire où p et q n'ont pas de dénominateur commun).
Par définition p2/q2=2 donc p2=2q2 et donc p2 est pair.
On peut facilement montrer qu'un nombre a la même parité que son carré. Si p2 est pair c'est donc que p l'est aussi et peut s'écrire p=2n.
p2/q2=2 s'écrit ainsi 4n2/q2=2
On en déduit q2=2n2 donc q est lui aussi pair. Mais si p et q sont pairs, p/q n'est pas irrédutible, ce qui est en contradiction avec notre hypothèse de départ. Par conséquent
2 ne peut s'écrire sous la forme d'une fraction.

Et alors, me direz-vous, pourquoi un nombre qui ne peut s'écrire sous forme de fraction serait-il plus compliqué qu'un autre? Et bien
on peut aussi démontrer que l'écriture décimale d'un tel nombre ne contient jamais de séquence répétitive de déciméles (comme 1/3 qui s'écrit 0,33333*... ou, plus compliqué, 1/7 qui s'écrit 0,142857142857142857...). La démonstration -encore par l'absurde - est aussi amusante que la précédente, vous allez voir...

Supposons qu'un tel nombre X
s'écrive sous la forme d'un nombre de m chiffres, suivi d'une série de n décimales répétées à l'infini qu'on appellera ω:
10m X = M,ωωωωω.... où M est un nombre entier à m chiffres. 10(m+n)X= M ω,ωωωωω....
On a décalé tous les
ω d'un cran exactement à gauche par rapport à la virgule, et du coup les deux nombres ont les mêmes décimales.
En les soustrayant: 10
(m+n)X - 10m X =(Mω-M) qui est un nombre entier
et X = (Mω-ω)/ (10(m+n) - 10m)
10(m+n) - 10m est un nombre entier également donc X s'écrit sous forme d'une fraction de deux entiers.

Tout nombre décimal avec répétition de ses décimales à partir d'un certain rang s'écrit donc sous forme de fraction. A l'inverse, comme on a montré que
2 n'était pas une fraction, c'est un nombre sans aucune répétition décimale.

Voilà pourquoi la valeur exacte de
2 -tout comme celle de π, e ou le nombre d'or qui sont aussi des nombres irrationnels, a depuis fasciné les savants de tous les pays depuis toujours...

* et non 3,33333. Merci à Alex de m'avoir signalé l'erreur initiale ;-)

mercredi 16 janvier 2008

Le tour du monde avec une ficelle



L'augmentation -inéluctable après les excès de fin d'année - du diamètre de la partie la plus ronde de mon anatomie me rappelle cette petite devinette toute simple:

Imaginons que l'on entoure la Terre au niveau de l'équateur, avec une ficelle, puis que l'on allonge cette longueur de ficelle d'un mètre. Quel sera l'espace libre ainsi créé entre la Terre et la ficelle?

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