Vous avez les yeux bandés, et devant vous sont disposés 64 pions du jeu d'Othello: blancs d'un côté, noirs de l'autre. On vous indique que 10 pions ont leur face noire visible et 54 montrent leur face blanche.
Votre mission: faire deux tas de pions, ayant tous deux le même nombre de pions noirs. Sans retirer le bandeau bien sûr.
Impossible? Pas du tout, la solution est même incroyablement simple...
Réponse demain dans les commentaires!
(énigme tirée du "Au pays des paradoxes" de JP Delahaye)
samedi 31 janvier 2009
mardi 27 janvier 2009
Billet classé (puissance) X
Avertissement: billet fortement déconseillé aux personnes sensibles, allergiques aux maths ou qui voient la main de Dieu partout.
Du grain à moudre pour les mystiques
La Nature présente de drôles de coïncidences. Je vous ai parlé dans un précédent billet de la suite de Fibonacci
1,1,2,3,5,8,13,21 etc. - dont chaque terme est la somme des deux précédents (8=5+3, 13=8+5 etc).
On trouve ces nombres partout dans la nature, à commencer par le nombre de pétales des fleurs: 5, 8 ou 13. Regardez une pomme de pin par en dessous et repérez les spirales: vous en trouverez ou bien 3 dans un sens et 5 dans l'autre, ou 5 et 8 ou encore 8 et 13... Idem pour un ananas: les espèces d'écailles sur sa surface forment un réseau dont les lignes formentégalement 8 spirales dans un sens et 13 dans l'autre.
Mais le champion en matière de Fibo (restons simples) est sans doute le coeur des tournesols, qui comptent souvent 21 spirales dans un sens et 34 dans l'autre. Qu'arrive-t-il à nos plantes pour qu'elles deviennent subitement des championnes de la géométrie? Intervention divine diront certains...
L'ésotérisme brisé par l'expérimentation
En 1993, deux chercheurs à Normale Sup, Douady et Couder, ont coupé court aux élucubrations mystiques, grâce à un ingénieux dispositif: au centre d'un récipient immobile on fait tomber goutte après goutte un ferro-fluide (sensible au magnétisme). Sous l'effet d'un champ magnétique, les gouttes sont à la fois attirées vers l'extérieur du plateau et repoussées les unes par les autres. Dans ces conditions, les gouttes s'éloignent du centre en respectant un angle constant entre deux gouttes. La figure obtenue (ci contre) ne dépend que du rythme des gouttes: à partir d'une certaine fréquence, ô miracle, on retrouve très exactement les figures de spirales des cœurs de tournesol.
Autre bizarrerie: si l'on mesure l'angle entre deux gouttes consécutives on trouve très exactement le nombre d'or!
Ces jolies figures géométriques correspondent simplement à une occupation optimale de l'espace par les gouttes de fluides.
Voyage au cœur de la plante
Dans une plante il se passe un phénomène tout à fait comparable: les graines (ou les fleurs ou les écailles) émergent selon un rythme régulier à partir d'une zone particulière au cœur du bourgeon, appelée l'apex. Elles grossissent en s'éloignant de l'apex mais elles gardent toujours la même orientation radiale. Chaque graine garde donc le même angle par rapport à la précédente et la suivante:
Quel serait le meilleur angle entre deux graines?
Pour que chaque graine soit assurée d'avoir le maximum d'espace vital, elle doit en quelque sorte éviter d'être alignée avec ses copines, sinon à la fin ça donnerait comme résultat une étoile avec des branches pleines de graines et plein de vide autour.
Quel sera le nombre irrationnel qui donnera la répartition la plus homogène des graines? Ce sera celui qui sera le moins "facilement" approximé par une fraction décimale. On peut montrer que c'est justement le nombre d'or.
Pour illustrer ce résultat regardez la spectaculaire différence d'occupation de l'espace que l'on obtient en faisant varier très légèrement la fraction d'angle autour de la valeur exacte du nombre d'or au centre:
Pourquoi un nombre de spirales égal à un nombre de Fibonacci?
C'est bien beau ces histoires de nombre d'or, mais quel rapport avec le nombre de spirales observées? Et bien, on peut montrer que si chaque graine fait une fraction de tour égale au nombre d'or, on observe deux séries de spirales, dont les nombres sont deux termes successifs de la suite de Fibonacci.
Regardons la figure obtenue lorsque chaque graine dévie de la trajectoire de la graine précédente d'un angle égal à 360° x τ: on distingue deux types de spirales (on appelle ça des "parastiches"): les vertes qui tournent dans le sens inverse des aiguilles d'une montre: il y en a 13; et les 21 rouges dans le sens des aiguilles d'une montre. Pourquoi 13 et 21 sont-ils forcément des Fibonacci successifs?
L'auto-organisation à partir des simples lois physiques et mathématiques
Avec ce petit modèle (il y en a bien sûr de bien plus raffinés) on a une explication purement mécanique à l'arrangement quasiment parfait de nombreuses structures végétales. Les gènes ne déterminent ces formes que très indirectement, en contrôlant la méthode de croissance de l'apex et en assurant que les graines se repoussent (chimiquement?) les unes par rapport aux autres. Un bel exemple d'auto-organisation, je trouve, où "la structure des objets mathématiques détermine celle des objets naturels" comme le dit je-ne-sais-plus-qui.
Sources:
Spirale Végétales, de Christiane Rousseau et Rediane Zazoun (Accromath été-automne 2008)
Le cours de biologie de Samuel Boissière (Université de Sophia Antipolis) et celui-ci (ppt) de l'Université de Laval dont j'ai tiré pas mal de figures.
Du grain à moudre pour les mystiques
La Nature présente de drôles de coïncidences. Je vous ai parlé dans un précédent billet de la suite de Fibonacci
1,1,2,3,5,8,13,21 etc. - dont chaque terme est la somme des deux précédents (8=5+3, 13=8+5 etc).
On trouve ces nombres partout dans la nature, à commencer par le nombre de pétales des fleurs: 5, 8 ou 13. Regardez une pomme de pin par en dessous et repérez les spirales: vous en trouverez ou bien 3 dans un sens et 5 dans l'autre, ou 5 et 8 ou encore 8 et 13... Idem pour un ananas: les espèces d'écailles sur sa surface forment un réseau dont les lignes formentégalement 8 spirales dans un sens et 13 dans l'autre.
Mais le champion en matière de Fibo (restons simples) est sans doute le coeur des tournesols, qui comptent souvent 21 spirales dans un sens et 34 dans l'autre. Qu'arrive-t-il à nos plantes pour qu'elles deviennent subitement des championnes de la géométrie? Intervention divine diront certains...
L'ésotérisme brisé par l'expérimentation
En 1993, deux chercheurs à Normale Sup, Douady et Couder, ont coupé court aux élucubrations mystiques, grâce à un ingénieux dispositif: au centre d'un récipient immobile on fait tomber goutte après goutte un ferro-fluide (sensible au magnétisme). Sous l'effet d'un champ magnétique, les gouttes sont à la fois attirées vers l'extérieur du plateau et repoussées les unes par les autres. Dans ces conditions, les gouttes s'éloignent du centre en respectant un angle constant entre deux gouttes. La figure obtenue (ci contre) ne dépend que du rythme des gouttes: à partir d'une certaine fréquence, ô miracle, on retrouve très exactement les figures de spirales des cœurs de tournesol.
Autre bizarrerie: si l'on mesure l'angle entre deux gouttes consécutives on trouve très exactement le nombre d'or!
Ces jolies figures géométriques correspondent simplement à une occupation optimale de l'espace par les gouttes de fluides.
Voyage au cœur de la plante
Dans une plante il se passe un phénomène tout à fait comparable: les graines (ou les fleurs ou les écailles) émergent selon un rythme régulier à partir d'une zone particulière au cœur du bourgeon, appelée l'apex. Elles grossissent en s'éloignant de l'apex mais elles gardent toujours la même orientation radiale. Chaque graine garde donc le même angle par rapport à la précédente et la suivante:
Quel serait le meilleur angle entre deux graines?
Pour que chaque graine soit assurée d'avoir le maximum d'espace vital, elle doit en quelque sorte éviter d'être alignée avec ses copines, sinon à la fin ça donnerait comme résultat une étoile avec des branches pleines de graines et plein de vide autour.
Par exemple si chaque graine se place à un angle de 360° x 3/7 par rapport à la précédente, la 7eme graine se trouve alignée avec la première, la huitième avec la deuxième etc. Chaque fois que l'angle entre deux graines est une fraction décimale de 360°, on obtient une étoile à n branches. Si la plante veut éviter ce genre de forme il faut donc que les graines fassent entre elles un angle qui ne s'écrive pas
φ=360° x p/q. L'angle optimal est donc un nombre irrationnel!
φ=360° x p/q. L'angle optimal est donc un nombre irrationnel!
On voit sur l'exemple avec φ= 360° x √3 ( √3 est irrationnel) que les branches des étoiles ont été remplacées par des spirales courbes.
Comme pour l'étoile à branches, le nombre de spirales correspond au premier nombre entier q tel que q x φ soit proche d'un multiple de 360°. Plus on peut approximer φ par une fraction p/q, plus la figure ressemblera à une étoile et moins l'espace sera occupé de façon homogène.
Quel sera le nombre irrationnel qui donnera la répartition la plus homogène des graines? Ce sera celui qui sera le moins "facilement" approximé par une fraction décimale. On peut montrer que c'est justement le nombre d'or.
Pour le montrer il faut d'abord savoir que tout nombre α positif peut s'écrire sous la forme d'un développement de fractions du typeVous êtes largué? Bon, retenez juste que pour avoir le maximum d'espace pour grandir, les graines divergent naturellement entre elles d'une fraction de tour égale au nombre d'or.
; où a0, a1, a2 etc. sont des entiers positifs.
Si α est un rationnel, il y a un nombre fini de ak.
Si α est irrationnel la série des ak est illimitée.
Si l'on note les développements finis p1/q1= a1+1/a2 ; p2/q2= a1+1/(a1+1/a2) etc. la suite des {pn/qn} est appelée la suite des "réduites" de α. On peut montrer que cette suite pn/qn est la "meilleure" approximation rationnelle de α pour tout dénominateur inférieur à qn.
Autrement dit il n'existe pas d'entiers p et q tels que l'on ait à la fois
q < qn et |p/q - α| < |pn/qn - α|. Pour trouver le ou les irrationnels les moins facilement approchables par une fraction rationnelle, il faut donc trouver le nombre α tel que |pn/qn - α| soit le plus grand possible. On peut montrer que pour tout n, |pn/qn - α| < '1/' an+1 qn² .
L'écart entre α et sa suite de réduites pn/qn est donc maximale pour tous les an=1. Le nombre cherché, "le plus irrationnel possible" s'écrit donc :
Drôle de bestiole ce nombre? Pas tant que ça.
Comme sa forme se répète à l'infini, on peut écrire τ=1+1/τ. En développant on obtient τ- 1 = 1/τ ou encore τ²-τ-1=0.
Donc τ=(1+√5)/2, le fameux nombre d'or! Qui se trouve être le nombre le plus "difficile à approcher" par des fractions de nombres entiers.
L'angle cherché vaut donc τ x 360° = (τ-1) x 360° (car pour une fraction de tour, seule compte la partie décimale).
Regardons à quoi ressemblent les réduites de 1/τ=τ-1. En appliquant la formule 1/(1+1/(1+... on trouve que les réduites de 1/τ valent 1 ; 1/2 ; 2/3 ; 3/5 ; 5/8 ; 8/13 ; 13/21 ; 21/34 ; 34/ 55 ...
Les numérateurs comme les dénominateurs forment une suite de Fibonacci! Remarquez, on aurait pu s'en douter puisque le rapport des termes consécutifs de cette suite converge vers le nombre d'or.
Pour illustrer ce résultat regardez la spectaculaire différence d'occupation de l'espace que l'on obtient en faisant varier très légèrement la fraction d'angle autour de la valeur exacte du nombre d'or au centre:
Pourquoi un nombre de spirales égal à un nombre de Fibonacci?
C'est bien beau ces histoires de nombre d'or, mais quel rapport avec le nombre de spirales observées? Et bien, on peut montrer que si chaque graine fait une fraction de tour égale au nombre d'or, on observe deux séries de spirales, dont les nombres sont deux termes successifs de la suite de Fibonacci.
Regardons la figure obtenue lorsque chaque graine dévie de la trajectoire de la graine précédente d'un angle égal à 360° x τ: on distingue deux types de spirales (on appelle ça des "parastiches"): les vertes qui tournent dans le sens inverse des aiguilles d'une montre: il y en a 13; et les 21 rouges dans le sens des aiguilles d'une montre. Pourquoi 13 et 21 sont-ils forcément des Fibonacci successifs?
Numérotons les graines par ordre d'apparence. Les plus petits numéros sont donc à l'extérieur.
Soit i le nombre de spirales vertes (ici 13). Un peu de réflexion vous convaincra que la différence entre les numéros de deux graines consécutives sur une même spirale vaut aussi i (c'était vrai dans les premiers dessins avec des étoiles à 7 branches: les graines d'une même branche sont distantes de 7).
Derrière la graine numéro 0 sur la spirale verte se trouve donc la graine numéro i. Une spirale est l'équivalente géométrique de la "branche" de l'étoile, formée quand l'angle entre deux graines est une fraction décimale de 360°. De même que les graines d'une même branche étaient alignées avec le centre, on peut considérer en première approximation que que la graine i est "presque" alignée avec la graine 0 de la même spirale.
Par définition la graine i fait un angle de i x (360° /τ) par rapport à la graine 0. Donc i/τ est donc "presque" un entier q, ce qui revient à dire que i/q vaut "presque" τ; i/q est donc une des réduites de 1/τ! Donc i est un nombre de Fibonacci!
On raisonne de la même manière pour les spirales rouges: s'il y en a j (ici 21), la différence entre deux graines consécutives d'une spirale rouge vaut aussi 21=j. La graine j fait un angle de j/τ x 360° par rapport à la graine 0. En raisonnant à l'identique j/τ est aussi une réduite de 1/τ et donc j est aussi un Fibo.
Nous venons donc de montrer que les nombres de spirales (de parastiches pardon) sont des nombres de Fibonacci!Mais pourquoi des nombres de Fibonacci successifs?
Supposons que les nombres i et j de nos spirales correspondent à des rangs m et n (m < n) dans la suite de Fibonacci et notons les i=F(n) et j=F(m)
La graine numéro i+j se trouve à la fois sur la spirale rouge et sur la verte, presque alignée avec la graine 0: i+j = F(n)+F(m) est donc aussi un Fibo.
Supposons que m < n-1; on aura alors F(n) < F(n)+F(m) < F(n)+F(n-1) = F(n+1).
i+j=F(m)+F(n) serait alors un Fibo strictement compris entre F(n) et F(n+1) ce qui est impossible. Donc m=n+1. i et j sont bien des termes successifs de la suite de Fibonacci!
L'auto-organisation à partir des simples lois physiques et mathématiques
Avec ce petit modèle (il y en a bien sûr de bien plus raffinés) on a une explication purement mécanique à l'arrangement quasiment parfait de nombreuses structures végétales. Les gènes ne déterminent ces formes que très indirectement, en contrôlant la méthode de croissance de l'apex et en assurant que les graines se repoussent (chimiquement?) les unes par rapport aux autres. Un bel exemple d'auto-organisation, je trouve, où "la structure des objets mathématiques détermine celle des objets naturels" comme le dit je-ne-sais-plus-qui.
Sources:
Spirale Végétales, de Christiane Rousseau et Rediane Zazoun (Accromath été-automne 2008)
Le cours de biologie de Samuel Boissière (Université de Sophia Antipolis) et celui-ci (ppt) de l'Université de Laval dont j'ai tiré pas mal de figures.
mardi 20 janvier 2009
Les meilleures recettes de Kaprekar
Tour de passe-passe numérique:
Prenez un nombre quelconque de quatre chiffres, et ne me le dites pas.
Réécrivez-le en ordonnant ses chiffres du plus grand au plus petit (sans oublier les éventuels 0)
Ensuite réécrivez le mais cette fois du plus petit au plus grand.
Soustrayez les deux nombres (pour les non-comprenants: si vous avez choisi au départ 4931, vous faites 9431-1349=8082)
Prenez le résultat (8082 dans mon exemple) et recommencez cette petite manipulation deux ou trois fois.
Laissez-moi réfléchir: je devine que vous obtenez soit 0, soit... 6174!
Magique, non?
Avec 4931 au départ, on obtient:
9431-1349=8082
8820 - 0288 = 8532
8532 - 2358 = 6174. Tan tan!
8532 - 2358 = 6174. Tan tan!
En procédant de la sorte avec un nombre à trois chiffres on tombe toujours sur 495 ou sur 0
Par exemple en partant de 234:
432 - 234 = 198
981 - 189 = 792
972 - 279 = 693
963 - 369 = 594
954 - 459 = 495
954 - 459 = 495...
981 - 189 = 792
972 - 279 = 693
963 - 369 = 594
954 - 459 = 495
954 - 459 = 495...
Avec des nombres à deux chiffres, on retombe soit sur 0, soit sur un cycle sans fin 63/27/45/09/81/63/27 etc.
Pour 48, par exemple:
84-48=36
63-36=27
72-27=45
54-45=09
90-09=81
81-18=63
63-36=27 etc...
63-36=27
72-27=45
54-45=09
90-09=81
81-18=63
63-36=27 etc...
109, le générateur de toutes les suites de Fibonacci
C'est Kaprekar, un mathématicien indien génial qui a découvert ce drôle d'algorithme et la constante 6174 porte maintenant son nom. Simple enseignant, Kaprekar était passionné par les nombres et a découvert sans ordinateur ni calculatrice des tas de trucs bizarres. Comme elles étaient d'un accès facile, ses trouvailles mathématiques ont fait les délices des revues de mathématiques dans la rubrique "récréations" (où je l'ai d'ailleurs découvert).
Sa trouvaille la plus incroyable reste l'étonnante relation entre le nombre 109 et les suites de Fibonacci. Si vous avez la patience de calculer 1/109, vous obtiendrez un nombre décimal ayant une période de 108 chiffres:
1/109 =0.[009174311926605504587155963302752293577981651376146788990825688073394495412844036697247706422018348623853211][009174311...
Ecrivez cette suite de 108 chiffres, à l'envers en commençant par la fin (112358326 etc): vous remarquez que chaque terme est la somme des deux précédents, en posant les retenues:
1+1=2, 2+1=3, 3+2 = 5, 5+8= 13 (je pose 3 je retiens 1), 3+8=11+1 de retenue=12 (je pose 2 je retiens 1) etc.
C'est ce qu'on appelle une suite de Fibonacci avec retenue, où chaque terme est la somme des deux précédents (plus la retenue éventuelle).
Définies au départ pour dénombrer la croissance des populations de lapins, les suites de Fibonacci ont des propriétés étonnantes, comme par par exemple le rapport entre deux termes successifs qui tend vers le nombre d'or. On retrouve ces suites de Fibonacci partout dans la nature, que ce soit le nombre de pétales des fleurs (le plus souvent 8, 13, 21, 34 ou 55) ou le nombre de spirales des ananas. J'y reviendrai bientôt, car c'est fascinant.
1/109 s'écrit donc comme l'envers d'une suite de Fibonacci (avec retenue). Mais ce qu'il y a de plus fou c'est que inversement 1/109 contient TOUTES les suites de Fibonacci possibles, quelque soient leurs deux premiers chiffres de départ!
En effet, n'importe quelle suite de Fibonacci (avec retenue) boucle toujours sur elle-même au bout de 108 itérations et du coup correspondra au développement décimal de 1/109, retourné et décalé d'un certain rang.
Par exemple si on commence par 6 et 7 on obtient 6, 7, 3, 1, 5, 6, 1, 8, 9, 7, 7, 5, 3... que l'on retrouve "retournée" dans la partie surlignée en jaune du développement décimal de 1/109 (voir plus haut).
Si vous commencez par 7 et 8, vous obtenez 7, 8, 5, 4, 0, 5, 5, 0, 6, 6 (surligné en vert dans les décimales de 1/109)
Si vous commencez par 7 et 8, vous obtenez 7, 8, 5, 4, 0, 5, 5, 0, 6, 6 (surligné en vert dans les décimales de 1/109)
Kaprekar a ainsi démasqué le 109, qui sous une allure débonnaire, coincé entre les ennuyeux 108 et 110, cache un puissant "générateur" de suites de Fibonacci. Je trouve ça bluffant...
Source: Tangente HS n°33 Mai 2008
mardi 13 janvier 2009
Darwin reloaded (part 2)
Deuxième épisode de mes notes de lectures du bouquin d'Ameizen (entre autres) sur les curiosités de l'évolution.
Part 2. Les symbioses ou comment évoluer sans trop se fouler.
Darwin rejetait l'idée que des organismes puissent fortement évoluer d'une génération à l'autre: "la Nature ne fait pas de saut" écrivait-il. Et pourtant on a vu dans le dernier billet que des changements brusques dans l'environnement peuvent mettre à jour de profondes mutations, restées jusque là "silencieuses" dans le génome. Il existe une manière encore plus spectaculaire d'évoluer par bonds: la symbiose entre organismes différents. Ameisen nous en propose quelques exemples particulièrement fascinants.
Quand une bactérie vous reste en travers de la gorge...
Le fonctionnement d'une cellule fascine par sa complexité: c'est une véritable petite usine munie de son micro-processeur (le noyau) capable à la fois de de dupliquer l'usine tout entière s'il le faut et de piloter toute la machinerie notamment un tas de petites machines spécialisées, l'une pour la production d'énergie (les mitochondries), l'autre pour la fabrication de de protéines (les ribosomes) etc. L'un des mystères de l'évolution -et une objection classique des créationnistes- est qu'il n'existe pas vraiment de forme ancestrale à cette cellule très complexe. Les seuls organismes autonomes qui soient plus "simples" (et encore il faut mettre des guillemets) sont les bactéries, qui ne contiennent que des brins d'ADN enfermés dans une membrane rigide.
Dans les années 1970, Lynn Margulis, une chercheuse américaine a émis l'hypothèse que les cellules eucaryotes (à noyau) seraient en fait nées de la digestion partielle d'une bactérie aimant l'oxygène, par une autre bactérie carnivore il y a un ou deux milliards d'années. Le scénario exact n'est évidemment pas connu, mais une possibilité serait que certaines bactéries vivant en milieu non oxygéné (les archéobactéries) se seraient spécialisées dans l'absorption des déchets organiques. Pour gagner en surface de contact, elles auraient d'abord troqué leur paroi rigide pour une membrane plus souple et plus grande, leur permettant finalement de gober d'autres bactéries, exactement comme le font maintenant les globules blancs ou les amibes. Jusqu'au jour où une bactérie plus gloutonne que les autres aurait boulotté une bactérie capable de vivre en milieu oxygéné. Gloups! Mais une fois "gobée", la petite bactérie-qui-sait-absorber-l'oxygène ne se serait pas laissée faire. Elle aurait perdu sa carapace rigide mais elle résisté tant bien que mal et continué à fonctionner à l'intérieur de la grande bactérie carnivore. Comme elle pouvait vivre au contact de l'oxygène, son hôte aurait fait contre mauvaise fortune bon cœur et en aurait profité pour vivre lui aussi en milieu oxygéné. Les deux bactéries auraient ainsi vécu heureuses et inséparables, la petite bactérie absorbée devenant un organe vital de la grande: la mitochondrie. Et voilà, la cellule animale serait née!
Cette hypothèse un peu hardie a finalement été confirmée dans les années 1990 lorsqu'on retrouva au sein de la mitochondrie des restes d'ADN bactérien. Le reste de l'ADN de la bactérie domestiquée aurait été intégré dans le noyau, dans lequel on trouve d'ailleurs également des restes d'ADN "parasite". Alexandre Meinez en a fait une petite BD dans son livre "Comment la vie a commencé":
Qui a dit que la salade n'était pas énergétique?
C'est exactement le même phénomène qui aurait été à l'origine des cellules végétales: une bactérie initialement capable de transformer la lumière en énergie aurait été absorbée par la cellule animale dont on vient de parler. Comme précédemment, la petite bactérie capable de photosynthèse n'aurait pas été digérée mais aurait perdu sa paroi rigide et serait devenu un plaste, contenant de la chlorophylle. Jackpot pour la cellule animale! Certes elle est devenue toute verte, mais elle n'a plus besoin de chasser, puisque son plaste lui fournit maintenant l'oxygène! De nombreux indices semble confirmer cette drôle d'histoire: par exemple les plastes de certaines algues ont conservé une paroi rigide de type bactérien. Et comme pour les mitochondries, on a retrouvé des restes d'ADN dans les plastes.
Au passage, c'est grâce semble-t-il à cette capacité des plastes et des mitochondries à "passer" des gênes au noyau que l'on expliquerait l'hérédité de certaines évolutions "acquises" chez les plantes et dont on parlait la dernière fois. Une modification sur le gène d'un plaste (par exposition à certaines substances, par exemple) peut en effet, lors de la phase de reproduction, se transmettre à l'ADN du noyau et ainsi "s'ancrer" dans le patrimoine génétique de la plante.
Ce genre de symbiose laisse rêveur... Comme si la salade que vous mangez vous servait de batterie solaire! Aussi incroyable que cela puisse paraître c'est pourtant bien ce que fait la limace Elysia Tomentosa, grande amatrice de la fameuse algue tueuse Caulerpa Taxifolia qui envahit actuellement la Méditerranée: cette petite limage suce les plastes de l'algue comme un petit vampire mais au lieu de tout digérer, elle en stocke une partie à fleur de peau et devient toute verte. Ces plastes ainsi stockés fonctionnent encore et lorsque notre limace n'a plus rien à manger, ils lui fournissent par photosynthèse l'énergie dont elle a besoin. Elysia passe ainsi du mode animal au mode végétal et peut survivre pendant plus d'un mois en se laissant dériver à la surface de la mer bien exposée au soleil.
Flagelles et sexe: même combat!
Mais revenons à nos moutons cellulaires. Cette capacité des organismes unicellulaires à absorber et domestiquer d'autres petits organismes en intégrant partiellement leur ADN pourrait expliquer de nombreuses fonctions de la cellule. Alexandre Meinez suppose par exemple que les cils et les flagelles cellulaires seraient le résultat de la domestication de certaines bactéries mobiles qu'on trouve encore à l'état "sauvage". Un tel mécanisme expliquerait que l'on retrouve la même structure interne complexe des flagelles dans toutes les lignées animales ou végétales.
De même la reproduction sexuée, pourrait être une autre forme de ce cannibalisme cellulaire:
On n'a évidemment pas de preuve direct pour ce modèle d'évolution, mais on observe un phénomène de même nature chez les champignons: une fois en terre, les spores du champignon se développent sous forme de longs filaments souterrains (le mycelium), sorte de rubans de cellules n'ayant chacune qu'un seul jeu de chromosomes. Lorsque deux rubans compatibles se croisent, leurs cellules fusionnent pour former un troisième filament. Mais dans ce nouveau filament, les noyaux des cellules fusionnées restent indépendants et chaque cellule en contient donc deux. Cette drôle de conformation permet à ces filaments de fructifier hors de terre et donner le "champignon" tel qu'on l'imagine avec pied et chapeau. Arrivés au bout du voyage, les deux noyaux de chaque cellule fusionnent enfin, avant que la cellule ne se divise à nouveau pour former les spores, qui ne portent qu'un seul jeu de chromosomes et le cycle continue...
Nous sommes tous des corails ou des lichens!
Pourquoi s'arrêter en si bon chemin? Une fois les cellules équipées de tout l'attirail nécessaire à leur respiration, leur mobilité et leur sexualité, elles peuvent ensuite s'associer entre elles: les plus anciennes traces d'organismes pluricellulaires sont des algues constituées de longues files de cellules toutes identiques. A mesure que les organismes grandissent les cellules se différencient, se spécialisent mais en conservant la même capacité d'intégration entre elles. Comme des briques de Lego de plus en plus sophistiquées mais qui s'emboîtent toujours parfaitement. Les organismes pluricellulaires pourraient ainsi être vues plutôt comme des civilisations de cellules dépendantes les unes des autres et la symbiose serait la règle du monde animal ou végétal. Les êtres hybrides comme le corail (association d'algues et de polypes) n'auraient d'exceptionnel que le fait d'exposer leur mutualisme à l'oeil nu!
Les organismes bioluminescents fournissent un exemple encore plus fascinant de symbiose: les calamars vivant dans les abysses développent un organe lumineux grâce à sa colonisation par des bactéries vivant libres dans la mer. On a pu analyser de près le développement de cet organe et ses interactions avec ces bactéries. C'est un jeu très subtil entre évolution et développement: les bactéries n'émettent de la lumière que si elles sont en nombre suffisant. Tant que ce n'est pas le cas, l'organe du calamar ne se développe pas et les bactéries ne peuvent s'y implanter. Mais dès que les bactéries ont une densité suffisante pour devenir lumineuses, l'organe se développe et sa surface se modifie de sorte que les petites bactéries puissent s'y installer confortablement. Fascinant, non?
Et chez l'homme alors?
Nous-mêmes sommes le fruit de milliers de telles symbioses: des milliers d'espèces de bactéries différentes nous aident à digérer ou à nous protéger de maladies ou d'agressions extérieures. Ces cellules -plus nombreuses que nos propres cellules!- participent en permanence au bon fonctionnement de notre organisme au même titre que nos propres cellules.
Notre propre système immunitaire serait le résultat d'un très ancien parasitage: en 1998 on a découvert que nos lymphocytes fabriquent certains enzymes grâce à des gènes hérités d'un minuscule parasite génétique - un transposon, qui s'est incrusté il y a quatre cents millions d'années dans l'un de nos lointains ancêtres. D'une défaite est ainsi née une fonction d'auto-défense imprévue. De même, certains parasites génétiques -les plasmides- sont devenus de véritables "gènes de dépendance" de nos cellules: si on les désactive, la cellule meurt comme si l'on appuyait sur un bouton d'autodestruction cellulaire. Ameisen, en spécialiste de l'immunologie, voit dans cette capacité à l'autodestruction un autre facteur-clé de l'évolution et du développement des organismes complexes: ce sera l'objet d'un prochain épisode!
Pour patienter, je vous invite à regarder cette vidéo qui reconstitue en 3D la vie interne d'une cellule. Les commentaires sont en anglais mais même sans tout comprendre c'est bluffant...
Autres sources:
"Comment la vie a commencé" d'Alexandre Meinesz (dont sont tirées les illustrations rigolotes)
Part 2. Les symbioses ou comment évoluer sans trop se fouler.
Darwin rejetait l'idée que des organismes puissent fortement évoluer d'une génération à l'autre: "la Nature ne fait pas de saut" écrivait-il. Et pourtant on a vu dans le dernier billet que des changements brusques dans l'environnement peuvent mettre à jour de profondes mutations, restées jusque là "silencieuses" dans le génome. Il existe une manière encore plus spectaculaire d'évoluer par bonds: la symbiose entre organismes différents. Ameisen nous en propose quelques exemples particulièrement fascinants.
Quand une bactérie vous reste en travers de la gorge...
Le fonctionnement d'une cellule fascine par sa complexité: c'est une véritable petite usine munie de son micro-processeur (le noyau) capable à la fois de de dupliquer l'usine tout entière s'il le faut et de piloter toute la machinerie notamment un tas de petites machines spécialisées, l'une pour la production d'énergie (les mitochondries), l'autre pour la fabrication de de protéines (les ribosomes) etc. L'un des mystères de l'évolution -et une objection classique des créationnistes- est qu'il n'existe pas vraiment de forme ancestrale à cette cellule très complexe. Les seuls organismes autonomes qui soient plus "simples" (et encore il faut mettre des guillemets) sont les bactéries, qui ne contiennent que des brins d'ADN enfermés dans une membrane rigide.
Dans les années 1970, Lynn Margulis, une chercheuse américaine a émis l'hypothèse que les cellules eucaryotes (à noyau) seraient en fait nées de la digestion partielle d'une bactérie aimant l'oxygène, par une autre bactérie carnivore il y a un ou deux milliards d'années. Le scénario exact n'est évidemment pas connu, mais une possibilité serait que certaines bactéries vivant en milieu non oxygéné (les archéobactéries) se seraient spécialisées dans l'absorption des déchets organiques. Pour gagner en surface de contact, elles auraient d'abord troqué leur paroi rigide pour une membrane plus souple et plus grande, leur permettant finalement de gober d'autres bactéries, exactement comme le font maintenant les globules blancs ou les amibes. Jusqu'au jour où une bactérie plus gloutonne que les autres aurait boulotté une bactérie capable de vivre en milieu oxygéné. Gloups! Mais une fois "gobée", la petite bactérie-qui-sait-absorber-l'oxygène ne se serait pas laissée faire. Elle aurait perdu sa carapace rigide mais elle résisté tant bien que mal et continué à fonctionner à l'intérieur de la grande bactérie carnivore. Comme elle pouvait vivre au contact de l'oxygène, son hôte aurait fait contre mauvaise fortune bon cœur et en aurait profité pour vivre lui aussi en milieu oxygéné. Les deux bactéries auraient ainsi vécu heureuses et inséparables, la petite bactérie absorbée devenant un organe vital de la grande: la mitochondrie. Et voilà, la cellule animale serait née!
Cette hypothèse un peu hardie a finalement été confirmée dans les années 1990 lorsqu'on retrouva au sein de la mitochondrie des restes d'ADN bactérien. Le reste de l'ADN de la bactérie domestiquée aurait été intégré dans le noyau, dans lequel on trouve d'ailleurs également des restes d'ADN "parasite". Alexandre Meinez en a fait une petite BD dans son livre "Comment la vie a commencé":
C'est exactement le même phénomène qui aurait été à l'origine des cellules végétales: une bactérie initialement capable de transformer la lumière en énergie aurait été absorbée par la cellule animale dont on vient de parler. Comme précédemment, la petite bactérie capable de photosynthèse n'aurait pas été digérée mais aurait perdu sa paroi rigide et serait devenu un plaste, contenant de la chlorophylle. Jackpot pour la cellule animale! Certes elle est devenue toute verte, mais elle n'a plus besoin de chasser, puisque son plaste lui fournit maintenant l'oxygène! De nombreux indices semble confirmer cette drôle d'histoire: par exemple les plastes de certaines algues ont conservé une paroi rigide de type bactérien. Et comme pour les mitochondries, on a retrouvé des restes d'ADN dans les plastes.
Au passage, c'est grâce semble-t-il à cette capacité des plastes et des mitochondries à "passer" des gênes au noyau que l'on expliquerait l'hérédité de certaines évolutions "acquises" chez les plantes et dont on parlait la dernière fois. Une modification sur le gène d'un plaste (par exposition à certaines substances, par exemple) peut en effet, lors de la phase de reproduction, se transmettre à l'ADN du noyau et ainsi "s'ancrer" dans le patrimoine génétique de la plante.
Ce genre de symbiose laisse rêveur... Comme si la salade que vous mangez vous servait de batterie solaire! Aussi incroyable que cela puisse paraître c'est pourtant bien ce que fait la limace Elysia Tomentosa, grande amatrice de la fameuse algue tueuse Caulerpa Taxifolia qui envahit actuellement la Méditerranée: cette petite limage suce les plastes de l'algue comme un petit vampire mais au lieu de tout digérer, elle en stocke une partie à fleur de peau et devient toute verte. Ces plastes ainsi stockés fonctionnent encore et lorsque notre limace n'a plus rien à manger, ils lui fournissent par photosynthèse l'énergie dont elle a besoin. Elysia passe ainsi du mode animal au mode végétal et peut survivre pendant plus d'un mois en se laissant dériver à la surface de la mer bien exposée au soleil.
Flagelles et sexe: même combat!
Mais revenons à nos moutons cellulaires. Cette capacité des organismes unicellulaires à absorber et domestiquer d'autres petits organismes en intégrant partiellement leur ADN pourrait expliquer de nombreuses fonctions de la cellule. Alexandre Meinez suppose par exemple que les cils et les flagelles cellulaires seraient le résultat de la domestication de certaines bactéries mobiles qu'on trouve encore à l'état "sauvage". Un tel mécanisme expliquerait que l'on retrouve la même structure interne complexe des flagelles dans toutes les lignées animales ou végétales.
De même la reproduction sexuée, pourrait être une autre forme de ce cannibalisme cellulaire:
"Imaginons la rencontre de deux cellules animales identiques indépendantes, prototypes voraces d'une même lignée (...) chacune dotée d'un noyau contenant un seul jeu de chromosomes. Au lieu s'entre-dévorer, les deux cellules fusionnent (...) Par la suite, dans la cellule unique issue du "mariage", les deux noyaux similaires se rapprochent et fusionnent. C'est ainsi que les deux lots de chromosomes en présence se mélangent sans s'éliminer ou se réduire: c'est le doublement du nombre de chromosomes. Ainsi doublement dotée, la cellule va vivre sa vie et prendre l'avantage sur ses semblables équipées d'un seul jeu de chromosomes. Face à une modification du milieu ou un stress, elle réagit en divisant tout par deux (cellule, noyau et chromosomes) ce qui conduit à la formation de cellules identiques portant un seul jeu de chromosomes. Dès lors il convient d'appeler ces dernières cellules sexuées, car elles n'ont qu'un seul salut et destin: trouver une cellule identique et compatible pour se "marier", recommencer en fait le scénario du cannibalisme avorté de ses ancêtres directs."
On n'a évidemment pas de preuve direct pour ce modèle d'évolution, mais on observe un phénomène de même nature chez les champignons: une fois en terre, les spores du champignon se développent sous forme de longs filaments souterrains (le mycelium), sorte de rubans de cellules n'ayant chacune qu'un seul jeu de chromosomes. Lorsque deux rubans compatibles se croisent, leurs cellules fusionnent pour former un troisième filament. Mais dans ce nouveau filament, les noyaux des cellules fusionnées restent indépendants et chaque cellule en contient donc deux. Cette drôle de conformation permet à ces filaments de fructifier hors de terre et donner le "champignon" tel qu'on l'imagine avec pied et chapeau. Arrivés au bout du voyage, les deux noyaux de chaque cellule fusionnent enfin, avant que la cellule ne se divise à nouveau pour former les spores, qui ne portent qu'un seul jeu de chromosomes et le cycle continue...
Nous sommes tous des corails ou des lichens!
Pourquoi s'arrêter en si bon chemin? Une fois les cellules équipées de tout l'attirail nécessaire à leur respiration, leur mobilité et leur sexualité, elles peuvent ensuite s'associer entre elles: les plus anciennes traces d'organismes pluricellulaires sont des algues constituées de longues files de cellules toutes identiques. A mesure que les organismes grandissent les cellules se différencient, se spécialisent mais en conservant la même capacité d'intégration entre elles. Comme des briques de Lego de plus en plus sophistiquées mais qui s'emboîtent toujours parfaitement. Les organismes pluricellulaires pourraient ainsi être vues plutôt comme des civilisations de cellules dépendantes les unes des autres et la symbiose serait la règle du monde animal ou végétal. Les êtres hybrides comme le corail (association d'algues et de polypes) n'auraient d'exceptionnel que le fait d'exposer leur mutualisme à l'oeil nu!
Les organismes bioluminescents fournissent un exemple encore plus fascinant de symbiose: les calamars vivant dans les abysses développent un organe lumineux grâce à sa colonisation par des bactéries vivant libres dans la mer. On a pu analyser de près le développement de cet organe et ses interactions avec ces bactéries. C'est un jeu très subtil entre évolution et développement: les bactéries n'émettent de la lumière que si elles sont en nombre suffisant. Tant que ce n'est pas le cas, l'organe du calamar ne se développe pas et les bactéries ne peuvent s'y implanter. Mais dès que les bactéries ont une densité suffisante pour devenir lumineuses, l'organe se développe et sa surface se modifie de sorte que les petites bactéries puissent s'y installer confortablement. Fascinant, non?
Et chez l'homme alors?
Nous-mêmes sommes le fruit de milliers de telles symbioses: des milliers d'espèces de bactéries différentes nous aident à digérer ou à nous protéger de maladies ou d'agressions extérieures. Ces cellules -plus nombreuses que nos propres cellules!- participent en permanence au bon fonctionnement de notre organisme au même titre que nos propres cellules.
Notre propre système immunitaire serait le résultat d'un très ancien parasitage: en 1998 on a découvert que nos lymphocytes fabriquent certains enzymes grâce à des gènes hérités d'un minuscule parasite génétique - un transposon, qui s'est incrusté il y a quatre cents millions d'années dans l'un de nos lointains ancêtres. D'une défaite est ainsi née une fonction d'auto-défense imprévue. De même, certains parasites génétiques -les plasmides- sont devenus de véritables "gènes de dépendance" de nos cellules: si on les désactive, la cellule meurt comme si l'on appuyait sur un bouton d'autodestruction cellulaire. Ameisen, en spécialiste de l'immunologie, voit dans cette capacité à l'autodestruction un autre facteur-clé de l'évolution et du développement des organismes complexes: ce sera l'objet d'un prochain épisode!
Pour patienter, je vous invite à regarder cette vidéo qui reconstitue en 3D la vie interne d'une cellule. Les commentaires sont en anglais mais même sans tout comprendre c'est bluffant...
Autres sources:
"Comment la vie a commencé" d'Alexandre Meinesz (dont sont tirées les illustrations rigolotes)
lundi 5 janvier 2009
Darwin reloaded (part 1)
Pour bien commencer l'année, je vous recommande la lecture du bouquin de Jean-Claude Ameisen (Dans la lumière et les ombres, Darwin et le bouleversement du monde). Si comme moi, l'histoire de Darwin et ses opinions sur l'esclavage vous laissent froid, ne vous enrhumez surtout pas et sautez directement à la troisième partie du bouquin ("un futur distant") où Ameisen propose une remarquable mise en perspective des dernières avancées en matière d'évolution et bat en brèche quelques idées du néo-darwinisme. C'est un peu long alors je vous fais ça en plusieurs épisodes...
Part 1: l'hérédité de certains caractères acquis: le retour!
Qui a écrit:
Lamarck? Pas du tout! C'est Darwin lui-même dans l'Origine des espèces. Contrairement à ce que l'histoire des sciences a retenu, Darwin pensait que l'environnement et les conditions de vie pouvaient aussi jouer un rôle direct dans l'hérédité.
Pourtant, la théorie classique de l'évolution exclut formellement toute forme d'hérédité des caractères acquis: l'expression est même la marque de l'hérésie lamarckienne et sa réfutation fut probablement l'un des plus grands combats des néo-darwiniens. La découverte de l'ADN et des lois de Mendel n'a fait que transformer cette conviction en principe fondamental.
On aurait quand même dû se méfier avant d'être aussi définitif. Déjà en 1928, Griffith avait fait une découverte étonnante sur les bactéries: il avait montré qu'une variété inoffensive de pneumocoques pouvait acquérir le pouvoir infectieux de leurs cousines virulentes lorsqu'on mettaient les deux souches en contact. Y compris lorsque les bactéries virulentes étaient mortes! Cette expérience a mis en évidence la capacité des bactéries à muter en s'échangeant du matériel génétique et l'on a découvert, depuis, bien d'autres mécanismes de mutation étranges qu'ont inventés ces petites bestioles. En particulier, en cas d'environnement très défavorable, les bactéries sont capables de produire des enzymes qui réarrangent complètement leur ADN. Grâce à cette réaction baptisée "réponse SOS ", de nouvelles variétés génétiques de bactéries apparaissent et si l'une d'elles est particulièrement adaptée au nouvel environnement, cette modification génétique "acquise" sera transmise aux générations suivantes. On soupçonne ce mécanisme de faciliter leur résistance très rapide aux antibiotiques.
Il n'y a pas que chez les êtres simples que les choses sont complexes!
On sait depuis longtemps que l'environnement ou l'alimentation influencent fortement l'expression ou non de tels ou tels gènes: le sexe des tortues est déterminé par la température et rien ne différencie l'ADN d'une fourmi reine de celui d'une fourmi ouvrière (on en a parlé ici). Mais de là à penser que des modifications physiques puissent se transmettre il restait de la marge...
En 1998 Susan Lindquist soumet des asticots (mouches du vinaigre) à des changements brusques de température. Les pauvres chous, stressés, donnent naissance à des mouches avec de drôles formes, parfois des pattes en moins ou des ailes en plus. Probablement parce que de telles températures modifient l'expression de certains gènes au cours du développement embryonnaire (et à cause de drôles de protéines chaperonnes, je vous renvoie au billet de Tom qui explique ça très bien). Si l'on continue de faire varier la température, ces mouches mutantes donnent naissance aux mêmes asticots bizarres. Mais ce qui est incroyable, c'est qu'au bout de plusieurs génération, les mutants donneront naissance à des mouches qui leur ressemblent même si la température se stabilise. Comme si non seulement la partition de musique génétique (l'ADN) mais aussi la manière de l'interpréter (son expression, le phénotype) étaient héréditaires!
Chez les rats, certains gènes ont une influence directe sur l'anxiété de l'animal. En 1999 le chercheur canadien, Michael Meaney s'est amusé à tourner "La vie est un long fleuve tranquille chez les rats" en confiant un nouveau-né d'une lignée génétique "calme" à une mère adoptive de la lignée "anxieuse" et l'inverse. Les petits rats adoptés ont développé des comportements identiques à ceux de leurs parents adoptifs. L"'éducation" (en matière de rongeurs il vaut mieux beaucoup de guillemets) l'emporte sur la génétique: on a découvert que les câlins de la mère tranquille sur son nouveau-né génétiquement anxieux, inhibent l'expression du gène fatidique et le tranquillisent durablement -et inversement pour les mères anxieuses. Dans une expérience ultérieure en 2004, les chercheurs ont démontré le mécanisme biochimique sous-jacent: en empêchant artificiellement l'inactivation du gène, ils parvinrent à empêcher le "déconditionnement" du petit rat qui, malgré l'attention de sa mère adoptive, se comporta comme ses parents biologiques. Décidément la distinction entre culture et nature est subtile!
Mais le plus surprenant de tout ça, c'est que si le nouveau-né est une femelle, elle transmettra ce comportement acquis (tranquillité ou anxiété) à ses descendants: ses petits ressembleront alors à leurs grand-parents adoptifs et non à leurs grand-parents biologiques! L'épigénétique devient héréditaire là encore...
Comment cette hérédité épigénétique fonctionne, à vrai dire on n'en sait encore trop rien. Mais on commence à avoir des pistes: en 2006 des chercheurs de l'INSERM ont découvert un nouveau mode d'hérédité échappant aux règles de la génétique classique: chez la souris, la coloration du pelage est l'expression d'un gène bien identifié sur l'ADN des bestioles. Certains animaux, pourtant, déjouent cette fatalité génétique grâce à des "micro-ARN" qui inhibent l'expression de ce gène. Plus fort encore: comme ces micro-ARN sont présentes dans toutes les cellules, y compris dans les spermatozoïdes, cette désobéissance génétique se transmet de génération en génération! Autrement dit, ce qui est transmis héréditairement c'est un ordre d'inactivation du gène, d'origine non strictement génétique... Une espèce de "paramutation" en somme, qui a déjà été détectée chez les plantes.
En mettant bout à bout toutes ces données, on peut imaginer avec Claude Ameisen, que indépendamment des variations de l'ADN, des changements dans l'environnement peuvent révéler dans un embryon "une source préexistante de nouveautés qui s'est progressivement accumulée sous forme de discrètes mutations génétiques", qui peuvent parfois se transmettre de génération en génération grâce à des mécanismes héréditaires encore mal cernés et probablement multiformes. Ainsi pourrait-on au passage réconcilier les tenants du gradualisme -pour qui l'évolution ne fonctionne que par accumulation de petites mutations- et ceux des équilibres ponctués - selon lesquels l'évolution peut aussi procéder par "sauts".
L'autre grande méthode pour de tels sauts étant la symbiose entre organismes différents, mais ça ce sera pour un prochain épisode!
Part 1: l'hérédité de certains caractères acquis: le retour!
Qui a écrit:
"Il y a peu de doutes que, chez nos animaux domestiques, l'usage de certaines parties de leur corps a pour effet de les renforcer et de les agrandir, et que l'absence d'utilisation [de ces parties du corps] a pour effet de les amoindrir; et que de telles modifications sont héritées."Un indice: c'est le même qui a écrit: "Je crois que les oiseaux presque dépourvus d'ailes qui habitent de nombreuses îles océanes [ont perdu leurs ailes] du fait qu'ils ont cessé de les utiliser"
Lamarck? Pas du tout! C'est Darwin lui-même dans l'Origine des espèces. Contrairement à ce que l'histoire des sciences a retenu, Darwin pensait que l'environnement et les conditions de vie pouvaient aussi jouer un rôle direct dans l'hérédité.
Pourtant, la théorie classique de l'évolution exclut formellement toute forme d'hérédité des caractères acquis: l'expression est même la marque de l'hérésie lamarckienne et sa réfutation fut probablement l'un des plus grands combats des néo-darwiniens. La découverte de l'ADN et des lois de Mendel n'a fait que transformer cette conviction en principe fondamental.
On aurait quand même dû se méfier avant d'être aussi définitif. Déjà en 1928, Griffith avait fait une découverte étonnante sur les bactéries: il avait montré qu'une variété inoffensive de pneumocoques pouvait acquérir le pouvoir infectieux de leurs cousines virulentes lorsqu'on mettaient les deux souches en contact. Y compris lorsque les bactéries virulentes étaient mortes! Cette expérience a mis en évidence la capacité des bactéries à muter en s'échangeant du matériel génétique et l'on a découvert, depuis, bien d'autres mécanismes de mutation étranges qu'ont inventés ces petites bestioles. En particulier, en cas d'environnement très défavorable, les bactéries sont capables de produire des enzymes qui réarrangent complètement leur ADN. Grâce à cette réaction baptisée "réponse SOS ", de nouvelles variétés génétiques de bactéries apparaissent et si l'une d'elles est particulièrement adaptée au nouvel environnement, cette modification génétique "acquise" sera transmise aux générations suivantes. On soupçonne ce mécanisme de faciliter leur résistance très rapide aux antibiotiques.
Il n'y a pas que chez les êtres simples que les choses sont complexes!
On sait depuis longtemps que l'environnement ou l'alimentation influencent fortement l'expression ou non de tels ou tels gènes: le sexe des tortues est déterminé par la température et rien ne différencie l'ADN d'une fourmi reine de celui d'une fourmi ouvrière (on en a parlé ici). Mais de là à penser que des modifications physiques puissent se transmettre il restait de la marge...
En 1998 Susan Lindquist soumet des asticots (mouches du vinaigre) à des changements brusques de température. Les pauvres chous, stressés, donnent naissance à des mouches avec de drôles formes, parfois des pattes en moins ou des ailes en plus. Probablement parce que de telles températures modifient l'expression de certains gènes au cours du développement embryonnaire (et à cause de drôles de protéines chaperonnes, je vous renvoie au billet de Tom qui explique ça très bien). Si l'on continue de faire varier la température, ces mouches mutantes donnent naissance aux mêmes asticots bizarres. Mais ce qui est incroyable, c'est qu'au bout de plusieurs génération, les mutants donneront naissance à des mouches qui leur ressemblent même si la température se stabilise. Comme si non seulement la partition de musique génétique (l'ADN) mais aussi la manière de l'interpréter (son expression, le phénotype) étaient héréditaires!
Chez les rats, certains gènes ont une influence directe sur l'anxiété de l'animal. En 1999 le chercheur canadien, Michael Meaney s'est amusé à tourner "La vie est un long fleuve tranquille chez les rats" en confiant un nouveau-né d'une lignée génétique "calme" à une mère adoptive de la lignée "anxieuse" et l'inverse. Les petits rats adoptés ont développé des comportements identiques à ceux de leurs parents adoptifs. L"'éducation" (en matière de rongeurs il vaut mieux beaucoup de guillemets) l'emporte sur la génétique: on a découvert que les câlins de la mère tranquille sur son nouveau-né génétiquement anxieux, inhibent l'expression du gène fatidique et le tranquillisent durablement -et inversement pour les mères anxieuses. Dans une expérience ultérieure en 2004, les chercheurs ont démontré le mécanisme biochimique sous-jacent: en empêchant artificiellement l'inactivation du gène, ils parvinrent à empêcher le "déconditionnement" du petit rat qui, malgré l'attention de sa mère adoptive, se comporta comme ses parents biologiques. Décidément la distinction entre culture et nature est subtile!
Mais le plus surprenant de tout ça, c'est que si le nouveau-né est une femelle, elle transmettra ce comportement acquis (tranquillité ou anxiété) à ses descendants: ses petits ressembleront alors à leurs grand-parents adoptifs et non à leurs grand-parents biologiques! L'épigénétique devient héréditaire là encore...
Comment cette hérédité épigénétique fonctionne, à vrai dire on n'en sait encore trop rien. Mais on commence à avoir des pistes: en 2006 des chercheurs de l'INSERM ont découvert un nouveau mode d'hérédité échappant aux règles de la génétique classique: chez la souris, la coloration du pelage est l'expression d'un gène bien identifié sur l'ADN des bestioles. Certains animaux, pourtant, déjouent cette fatalité génétique grâce à des "micro-ARN" qui inhibent l'expression de ce gène. Plus fort encore: comme ces micro-ARN sont présentes dans toutes les cellules, y compris dans les spermatozoïdes, cette désobéissance génétique se transmet de génération en génération! Autrement dit, ce qui est transmis héréditairement c'est un ordre d'inactivation du gène, d'origine non strictement génétique... Une espèce de "paramutation" en somme, qui a déjà été détectée chez les plantes.
En mettant bout à bout toutes ces données, on peut imaginer avec Claude Ameisen, que indépendamment des variations de l'ADN, des changements dans l'environnement peuvent révéler dans un embryon "une source préexistante de nouveautés qui s'est progressivement accumulée sous forme de discrètes mutations génétiques", qui peuvent parfois se transmettre de génération en génération grâce à des mécanismes héréditaires encore mal cernés et probablement multiformes. Ainsi pourrait-on au passage réconcilier les tenants du gradualisme -pour qui l'évolution ne fonctionne que par accumulation de petites mutations- et ceux des équilibres ponctués - selon lesquels l'évolution peut aussi procéder par "sauts".
L'autre grande méthode pour de tels sauts étant la symbiose entre organismes différents, mais ça ce sera pour un prochain épisode!
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