L'acquisition de comportements nouveaux n'est pas propre à l'espèce humaine, tout le monde en convient désormais tant les preuves d'acculturation abondent dans le règne animal (voir par exemple des exemples dans ce billet). Pourtant ce constat pose une énigme: pourquoi cette “culture” animale serait-elle restée aussi rudimentaire chez des animaux aussi intelligents que les singes, les dauphins ou les corbeaux?
mardi 25 janvier 2011
jeudi 13 janvier 2011
La powerpointisation des esprits?
PowerPoint m'énerve, mais je me sens maintenant moins seul depuis que j'ai lu "la Pensée PowerPoint". L'auteur Franck Fremer y démonte méthodiquement les raisons et les dangers de son énorme succès dans tous les secteurs de la société, de l'école jusqu'à l'armée. Et c'est vrai que faire une présentation en public sans ses slides donne désormais l’impression de ne pas avoir préparé son sujet. Même pour parler en tête à tête d’un sujet de fond ça fait plus sérieux d'apporter des slides. Le ppt a définitivement ringardisé la note de synthèse en une page, qui constituait il y a dix ans le nec plus ultra en matière de synthèse. Si vous travaillez en entreprise, vous aurez sans doute remarqué d’ailleurs que le traitement de texte est un outil en voie de disparition, sauf pour la rédaction des documents juridiques ou pour les communiqués de presse. Word mis K.O. par PowerPoint, qui l’eut dit il y a plus de vingt ans, quand la première version du logiciel a été mise sur le marché?
Ce succès n’est pas bien difficile à comprendre selon Fremer: c’est quand même plus simple de torcher une présentation vite fait que de prendre le temps de rédiger une note. Surtout que ce logiciel a une capacité impressionnante à réduire la surface utile du document, rien qu’avec le format des slides à l'horizontale. Cette contrainte est sans conséquence pour des présentations très simples, mais imaginez ce que donnerait une décision de justice ou une plaidoirie si elle devait être rédigée sous PowerPoint. Pourtant cet outil est utilisé pour traiter absolument tous les sujets. La commission d'enquête sur l'explosion de la navette Columbia en 2003 (dont le rapport est disponible en pdf), a par exemple été «surprise de recevoir des slides de la part de la NASA plutôt que des rapports techniques. Elle [a considèré] que l'usage endémique de briefs sous forme de slides PowerPoint plutôt que de notes techniques illustre les problèmes de méthode de la NASA dans sa communication technique.» (p191) Je ne serais pas étonné que l’usage immodéré de PowerPoint soit en partie responsable de quelques gros dysfonctionnements industriels récents à ADP, à la SNCF ou ailleurs...
Un format favorable aux argumentations bidons
Le danger est d’autant plus grand que la structure de la présentation influe subtilement sur la force de l'argumentation. "Le medium est le message": jamais cette affirmation de McLuhan n’aura été aussi évidente, tant le format des slides influence à la fois la manière de les concevoir et la façon dont on les perçoit. Fremer note que la liste de bullet-points, qui est le format par défaut, donne l'illusion d'une énumération exhaustive des facteurs à prendre en compte qui s’enchaînent sans liaison. Et comme il n’y a pas de mot de transition d’une ligne à l’autre, la logique de l’enchainement semble aller de soi jusqu’à la conclusion finale. La même absence de transition logique d’une diapositive à l’autre renforce l’impression générale d'un environnement logique, parfaitement maîtrisé. La forme séquentielle des bullet-points et des diapositives se prête d’ailleurs mal aux digressions, aux nuances, aux réserves. Les "sous-niveaux" des listes sont parfaits pour illustrer une idée mais très mal adaptés pour traiter une objection ou soulever une réserve. Le format de PowerPoint semble conçu pour vendre un parti-pris en conservant l’apparence d’une parfaite objectivité. L'outil idéal pour les cabinets de conseil qui lui ont donné ses lettres de noblesse.
Si malgré tout la critique pointe son nez, PowerPoint vous offre des arguments imparables, grâce au statut ambivalent des slides, à la fois supports de la présentation orale et document final remis à l’auditoire, qui protège son auteur de toutes les critiques. Certains arguments sont faibles ou ambigus? C’est normal: les slides n'ont de valeur qu'accompagnées par l’explication orale de l’auteur. Les slides sont trop nombreuses et enfoncent des portes ouvertes? C’est pour que le support soit "auto-suffisant" et compris par ceux qui n'auraient pas pu assister à la présentation orale.
La syntaxe
La novlangue et le politiquement correct peuvent aussi contribuer à prévenir toute critique. Il suffit de respecter quelques règles simples:
- Mettez vos verbes à l’infinitif, jamais à l’impératif. C’est plus froid et ça s’adresse à tout le monde et personne à la fois. Ou mieux : remplacez les verbes par des noms, c’est encore plus impersonnel. Ne dites pas «Nous sommes dans les temps », dites plutôt «Planning respecté » (ou mieux : « TTM on-track » !)
- L’usage de l’article indéfini donne une certaine respectabilité à un bilan, extrapolant des constats sans vraiment annoncer la couleur (« un marché en effervescence», «une concurrence en marche », «des perspectives intéressantes» etc) La généralité est faite de façon suffisamment implicite pour ne pas prêter flanc à la critique.
- Bannissez les mots négatifs ou trop critiques qui pourraient trahir votre subjectivité. Les résultats ne sont pas «mauvais» mais «contrastés» (quand c’est les vôtres, sinon ils peuvent être «décevants»). Ne critiquez pas, contentez-vous de noter les «les points d’amélioration».
- A l’inverse lâchez-vous sur les mots positifs: mobilisez, dynamisez, optimisez, leveragez! Votre projet est toujours une «véritable révolution», votre réforme "majeure", le changement «radical» etc. Qui pourrait vous reprocher votre dynamisme et votre enthousiasme ?
- Employez les mots à la mode dans l’entreprise. En général beaucoup d’acronymes (forcément il faut faire court!) et quelques mots de novlangue en vogue font l’affaire.
Comme le dit très bien Rafi Haladjian (p9 de son bouquin sur le sujet): "PowerPoint est un outil magique. Il permet de donner l’illusion d’une parfaite maîtrise du monde. Il permet de mettre en scène un environnement séquentiel, ordonné, bidimensionnel, à sens unique. Un monde confortable et rassurant où l’on peut énumérer les choses, les recenser, les faire entrer dans les templates (en français : masques) de la pensée. Avec PowerPoint, vous pouvez balayer l’incertitude sous le tapis. « Surtout, ne montrons pas que nous ne savons rien. Faisons semblant de savoir où nous allons, que nous avons les choses bien en main. » Tout peut se résoudre par une implacable logique linéaire. Tout peut être dénombré, organisé, cadré, grâce aux bullet lists. Tout est soluble dans PowerPoint. A l'école, nous avions appris à faire un plan avant d’écrire une dissertation. Aujourd’hui on ne fait plus que le plan. Ca tombe bien lorsqu’on est à sec d’idées. Vous manquez de temps pour écrire un vrai texte ou (comme tout le monde) vous ne savez pas écrire : faites du PowerPoint plutôt que du Word. Au lieu d’argumenter, vous n’avez plus qu’à empiler, recenser, bullet-lister et enfiler des verbes à l’infinitif (construire, découvrir, développer, gagner) ou des phrases nominales."
La langue de bois PowerPoint prête peu le flanc à la critique frontale. En contrepartie, elle suscite rarement l'adhésion. Fremer note que ces présentations sont accueillies en général avec indifférence et froideur et qu'elles ont de plus en plus de mal à transmettre une vision, un élan. A force de voir annoncer des lendemains qui chantent avec toujours les mêmes mots, le public se lasse forcément et n’y croit plus. Je soupçonne que la crise de confiance des salariés envers les grandes sociétés qui les emploie provient en partie de cette indigestion de promesses PowerPoint non tenues année après année, en violent contraste avec le vécu de chacun.
La prépondérance de la forme sur le fond?
Finalement de tous les griefs que l'on fait à PowerPoint, la sophistication des effets est sans doute celui qui me dérange le moins. L’inventeur de l’outil, Robert Gaskins regrette l'abus de décorum dans les présentations qui finirait selon lui par déconcentrer le présentateur et distraire son auditoire du propos. Personnellement j’ai rarement eu l’occasion d’être «distrait» par une trop brillante présentation, en dehors de quelques présentations spectaculaires lors de conférences publiques du type TED. Au contraire! Je suis au contraire frappé par le consternant manque d’originalité dans les slides que je vois passer à longueur de journée, avec toujours les mêmes formats, voire toujours les mêmes illustrations. En toute objectivité, je ne brille pas moi-même par ma créativité powerpointesque... Au lieu de stimuler l’imagination et la créativité, ce logiciel a finalement nivelé toutes les présentations par le bas. Si l'on fait le compte, il a sapé à la fois la créativité, la rigueur méthodologique, l'esprit critique et le moral des salariés des grandes entreprises. Faut-t-il en suspendre temporairement l'usage, au nom du principe de précaution? Sur ce, je vous laisse j'ai une prés' à finir pour demain...
Billets connexes:
A quand la non-communication efficace? Sur un autre fléau de la vie d'entreprise: le mail!
Golden rules du manager successful règles de base à l'usage des cyniques en entreprise
Sources:
Franck Fromer "La pensée PowerPoint, enquête sur ce logiciel qui rend stupide" (2010)
Rafi Haladjian, "Devenez beau, riche et intelligent, avec PowerPoint, Excel et Word" (pdf)
L'article du NYT "We have met the ennemy and he is PowerPoint" (avril 2010)
R Gaskins: PowerPoint at 20: back to basics (pdf)
Ce succès n’est pas bien difficile à comprendre selon Fremer: c’est quand même plus simple de torcher une présentation vite fait que de prendre le temps de rédiger une note. Surtout que ce logiciel a une capacité impressionnante à réduire la surface utile du document, rien qu’avec le format des slides à l'horizontale. Cette contrainte est sans conséquence pour des présentations très simples, mais imaginez ce que donnerait une décision de justice ou une plaidoirie si elle devait être rédigée sous PowerPoint. Pourtant cet outil est utilisé pour traiter absolument tous les sujets. La commission d'enquête sur l'explosion de la navette Columbia en 2003 (dont le rapport est disponible en pdf), a par exemple été «surprise de recevoir des slides de la part de la NASA plutôt que des rapports techniques. Elle [a considèré] que l'usage endémique de briefs sous forme de slides PowerPoint plutôt que de notes techniques illustre les problèmes de méthode de la NASA dans sa communication technique.» (p191) Je ne serais pas étonné que l’usage immodéré de PowerPoint soit en partie responsable de quelques gros dysfonctionnements industriels récents à ADP, à la SNCF ou ailleurs...
Un format favorable aux argumentations bidons
Le danger est d’autant plus grand que la structure de la présentation influe subtilement sur la force de l'argumentation. "Le medium est le message": jamais cette affirmation de McLuhan n’aura été aussi évidente, tant le format des slides influence à la fois la manière de les concevoir et la façon dont on les perçoit. Fremer note que la liste de bullet-points, qui est le format par défaut, donne l'illusion d'une énumération exhaustive des facteurs à prendre en compte qui s’enchaînent sans liaison. Et comme il n’y a pas de mot de transition d’une ligne à l’autre, la logique de l’enchainement semble aller de soi jusqu’à la conclusion finale. La même absence de transition logique d’une diapositive à l’autre renforce l’impression générale d'un environnement logique, parfaitement maîtrisé. La forme séquentielle des bullet-points et des diapositives se prête d’ailleurs mal aux digressions, aux nuances, aux réserves. Les "sous-niveaux" des listes sont parfaits pour illustrer une idée mais très mal adaptés pour traiter une objection ou soulever une réserve. Le format de PowerPoint semble conçu pour vendre un parti-pris en conservant l’apparence d’une parfaite objectivité. L'outil idéal pour les cabinets de conseil qui lui ont donné ses lettres de noblesse.
Si malgré tout la critique pointe son nez, PowerPoint vous offre des arguments imparables, grâce au statut ambivalent des slides, à la fois supports de la présentation orale et document final remis à l’auditoire, qui protège son auteur de toutes les critiques. Certains arguments sont faibles ou ambigus? C’est normal: les slides n'ont de valeur qu'accompagnées par l’explication orale de l’auteur. Les slides sont trop nombreuses et enfoncent des portes ouvertes? C’est pour que le support soit "auto-suffisant" et compris par ceux qui n'auraient pas pu assister à la présentation orale.
La syntaxe
La novlangue et le politiquement correct peuvent aussi contribuer à prévenir toute critique. Il suffit de respecter quelques règles simples:
- Mettez vos verbes à l’infinitif, jamais à l’impératif. C’est plus froid et ça s’adresse à tout le monde et personne à la fois. Ou mieux : remplacez les verbes par des noms, c’est encore plus impersonnel. Ne dites pas «Nous sommes dans les temps », dites plutôt «Planning respecté » (ou mieux : « TTM on-track » !)
- L’usage de l’article indéfini donne une certaine respectabilité à un bilan, extrapolant des constats sans vraiment annoncer la couleur (« un marché en effervescence», «une concurrence en marche », «des perspectives intéressantes» etc) La généralité est faite de façon suffisamment implicite pour ne pas prêter flanc à la critique.
- Bannissez les mots négatifs ou trop critiques qui pourraient trahir votre subjectivité. Les résultats ne sont pas «mauvais» mais «contrastés» (quand c’est les vôtres, sinon ils peuvent être «décevants»). Ne critiquez pas, contentez-vous de noter les «les points d’amélioration».
- A l’inverse lâchez-vous sur les mots positifs: mobilisez, dynamisez, optimisez, leveragez! Votre projet est toujours une «véritable révolution», votre réforme "majeure", le changement «radical» etc. Qui pourrait vous reprocher votre dynamisme et votre enthousiasme ?
- Employez les mots à la mode dans l’entreprise. En général beaucoup d’acronymes (forcément il faut faire court!) et quelques mots de novlangue en vogue font l’affaire.
Comme le dit très bien Rafi Haladjian (p9 de son bouquin sur le sujet): "PowerPoint est un outil magique. Il permet de donner l’illusion d’une parfaite maîtrise du monde. Il permet de mettre en scène un environnement séquentiel, ordonné, bidimensionnel, à sens unique. Un monde confortable et rassurant où l’on peut énumérer les choses, les recenser, les faire entrer dans les templates (en français : masques) de la pensée. Avec PowerPoint, vous pouvez balayer l’incertitude sous le tapis. « Surtout, ne montrons pas que nous ne savons rien. Faisons semblant de savoir où nous allons, que nous avons les choses bien en main. » Tout peut se résoudre par une implacable logique linéaire. Tout peut être dénombré, organisé, cadré, grâce aux bullet lists. Tout est soluble dans PowerPoint. A l'école, nous avions appris à faire un plan avant d’écrire une dissertation. Aujourd’hui on ne fait plus que le plan. Ca tombe bien lorsqu’on est à sec d’idées. Vous manquez de temps pour écrire un vrai texte ou (comme tout le monde) vous ne savez pas écrire : faites du PowerPoint plutôt que du Word. Au lieu d’argumenter, vous n’avez plus qu’à empiler, recenser, bullet-lister et enfiler des verbes à l’infinitif (construire, découvrir, développer, gagner) ou des phrases nominales."
La langue de bois PowerPoint prête peu le flanc à la critique frontale. En contrepartie, elle suscite rarement l'adhésion. Fremer note que ces présentations sont accueillies en général avec indifférence et froideur et qu'elles ont de plus en plus de mal à transmettre une vision, un élan. A force de voir annoncer des lendemains qui chantent avec toujours les mêmes mots, le public se lasse forcément et n’y croit plus. Je soupçonne que la crise de confiance des salariés envers les grandes sociétés qui les emploie provient en partie de cette indigestion de promesses PowerPoint non tenues année après année, en violent contraste avec le vécu de chacun.
La prépondérance de la forme sur le fond?
Finalement de tous les griefs que l'on fait à PowerPoint, la sophistication des effets est sans doute celui qui me dérange le moins. L’inventeur de l’outil, Robert Gaskins regrette l'abus de décorum dans les présentations qui finirait selon lui par déconcentrer le présentateur et distraire son auditoire du propos. Personnellement j’ai rarement eu l’occasion d’être «distrait» par une trop brillante présentation, en dehors de quelques présentations spectaculaires lors de conférences publiques du type TED. Au contraire! Je suis au contraire frappé par le consternant manque d’originalité dans les slides que je vois passer à longueur de journée, avec toujours les mêmes formats, voire toujours les mêmes illustrations. En toute objectivité, je ne brille pas moi-même par ma créativité powerpointesque... Au lieu de stimuler l’imagination et la créativité, ce logiciel a finalement nivelé toutes les présentations par le bas. Si l'on fait le compte, il a sapé à la fois la créativité, la rigueur méthodologique, l'esprit critique et le moral des salariés des grandes entreprises. Faut-t-il en suspendre temporairement l'usage, au nom du principe de précaution? Sur ce, je vous laisse j'ai une prés' à finir pour demain...
Billets connexes:
A quand la non-communication efficace? Sur un autre fléau de la vie d'entreprise: le mail!
Golden rules du manager successful règles de base à l'usage des cyniques en entreprise
Sources:
Franck Fromer "La pensée PowerPoint, enquête sur ce logiciel qui rend stupide" (2010)
Rafi Haladjian, "Devenez beau, riche et intelligent, avec PowerPoint, Excel et Word" (pdf)
L'article du NYT "We have met the ennemy and he is PowerPoint" (avril 2010)
R Gaskins: PowerPoint at 20: back to basics (pdf)
mercredi 5 janvier 2011
Si la relativité générale m'était contée...
Science et Vie Junior consacre ce mois-ci un article sur quelques phénomènes étranges dus à la relativité. Un très bel exercice de pédagogie qui prouve qu'on peut sans équations et avec des expériences de pensée rigolotes expliquer l'idée d'une théorie pourtant compliquée. Je ne résiste pas au plaisir de vous raconter l'histoire à ma sauce.
Première étape: atterri ou pas? L'équivalence entre gravité et accélération
Bob est un astronaute envoyé en mission intergalactique pour y explorer la mystérieuse planète Zorglub. Pour lui éviter l'ennui d'un long voyage, on l'a endormi après le décollage pour plusieurs années. Mais suite à une panne quelque part, Bob se réveille avant d'être arrivé. Du moins le suppose-t-il car tout est noir dans l'habitacle. Les hublots sont obturés, les appareils de mesure éteints et il règne un silence profond. Que se passe-t-il? Est-il arrivé? Bob se détache, pose un pied par terre et réalise qu'au lieu de flotter dans l'habitacle il peut se tenir debout sur le sol de la fusée. Son cerveau se met à carburer: "Serait-on déjà arrivé sur Zorglub dont je sens l'effet de la gravité? A moins que ce ne soit simplement l'effet de l'accélération de la fusée? Impossible de savoir car je n'ai aucun indice extérieur: les moteurs sont silencieux et les cache-hublots fermés!"
Interlude1: c'est grâce à cette expérience de pensée qu'Einstein raconte avoir eu la meilleure idée de sa vie (avec un ascenseur car les fusées n'existaient pas à l'époque). Vous avez appris en classe de Seconde qu'un objet dans un champ de gravité g est soumis à une force égale à sa masse fois son accélération a. Autrement dit a = g, on ne peut différencier une accélération d'un champ de pesanteur. Il n'en serait pas de même si notre objet était soumis à un autre type de force, électrique, magnétique ou autre car la force de gravité est la seule qui dépende directement de la masse. L'équivalence entre accélération et gravité explique le désarroi de notre ami Bob: sans indice extérieur il est incapable de savoir s'il est posé sur le sol d'une planète ou si son vaisseau est en pleine accélération. Le coup de génie d'Einstein est d'avoir étendu cette équivalence à toutes les lois de la physique. Il a postulé qu'elles se comportaient toutes de la même manière, que l'on soit soumis à la gravité ou en train d'accélérer au beau milieu de l'espace. Mais poursuivons les aventures de Bob...
Deuxième étape: la lumière déviée par la gravitation?
A tâtons, Bob cherche à ouvrir les cache-hublots pour regarder ce qui se passe dehors. Damned c'est bloqué! Bob essaie de faire un trou dedans avec son couteau mais il ne réussit qu'à percer une minuscule entaille. Un fin rayon de lumière entre dans le vaisseau. "Ouf! se dit-il, en examinant attentivement la trajectoire de la lumière je vais enfin savoir si oui ou non je suis arrêté:
- si je suis posé sur le sol d'une planète, le rai de lumière à l'intérieur de mon vaisseau dessinera une ligne droite parfaite.
- si par contre, je suis en train d'accélérer, le rayon dessinera une (très) légère parabole dans mon vaisseau."
Faux, archi-faux! dirait Einstein dont le principe d'équivalence postule que toutes les lois de la physique doivent être identiques, qu'on soit soumis à la gravité ou à une accélération. A l'en croire, la trajectoire d’un rayon lumineux doit être déviée par la gravité exactement comme elle le serait si la fusée accélérait! On peut dire à Bob d'arrêter d'essayer de mesurer la courbure du rayon lumineux dans sa fusée, ça ne lui donnera aucune information sur sa situation.
Interlude2: Aussi fou que ça puisse paraître, plus une planète est massive, plus elle courbe la trajectoire des rayons lumineux qui passent à proximité exactement comme l'air surchauffé par le sol dévie la lumière et provoque des mirages d'eau dans le désert. Il y a pourtant une différence entre les deux situations. Dans l'air, la vitesse de la lumière varie en fonction de la température, on conçoit donc que pour un rayon lumineux, le chemin le plus rapide entre deux points soit courbé. A l'inverse, la vitesse de la lumière est toujours la même dans le vide. Pourquoi dans ses conditions le chemin optique le plus court entre deux points serait-il courbe? La seule explication possible serait qu'un champ de gravité déforme l'espace lui-même, comme si l'on posait une boule au milieu d'une nappe tenue par ses quatre coins. Dans de tels espaces courbes, la ligne droite n'est plus forcément le plus court chemin entre deux points et il est possible que la trajectoire de la lumière soit courbée. Comme le décrit l'excellent blog de Science étonnante, la déviation de la lumière au voisinage de galaxies très massives peut même provoquer d'impressionnants mirages astronomiques: la fameuse croix d'Einstein et ses quatre étoiles fantômes ou encore ce qu'on verrait si un trou noir se trouvait entre nous et un galaxie (source: Wikipedia)
Troisième étape: le temps passe plus vite sans la gravité
Bob est désespéré. Ca fait plusieurs heures qu'il essaie de savoir si oui ou non il est posé sur la satanée planète. La communication avec la Terre est quasiment HS: Bob n'arrive qu’à transmettre passer des signaux en morse Bip Bip Bip… Pas pratique pour causer, mais peut-être est-ce suffisant ? Bob se fait le raisonnement suivant. Zorglub est quasiment immobile par rapport à la Terre. S’il est posé dessus, le temps à sa montre s’écoulera au même rythme que sur Terre: une minute à sa montre correspondra exactement à une minute à Houston. Si par contre, son vaisseau est en mouvement par rapport à la Terre, une minute à sa montre correspondra à plus de 60 secondes sur Terre: ce sont les lois de la relativité restreinte qui l'affirment. « Donc, se dit-il, il suffit que je fasse transmette le tic-tac de ma montre par la radio pour que sur Terre ils sachent si je suis en mouvement ou posé sur Zorglub. Ils trouveront bien un moyen de me renvoyer l’info… »
Interlude 3 : Pour ceux que ça intéresse voici une explication simple du phénomène de dilatation du temps (empruntée au blog d'Alexandre Moatti). Les lecteurs pressés se rendront directement au paragraphe suivant sans toucher 20 000F.
Au lieu d’une horloge, raisonnons sur le temps qu’il faut à un rayon lumineux pour traverser le vaisseau spatial dans les deux sens. Si la fusée est en mouvement par rapport à la Terre, Bob situé à l'intérieur de la fusée mesurera une durée plus courte qu'un observateur qui chronomètrerait ce phénomène depuis la Terre:
C'est l’un des résultats les plus paradoxaux de la relativité: une horloge qui bouge semble ralentie pour un observateur immobile. Langevin en a tiré un paradoxe célèbre: si l’on envoie quelqu'un voyager dans l'espace à très grande vitesse, il reviendra sur Terre en étant plus jeune que son frère jumeau resté sur place!
Malheureusement pour Bob, son stratagème est encore voué à l'échec car il vient encore une fois d’oublier le principe d’équivalence d’Einstein. Les lois physiques sont les mêmes en situation de pesanteur et en situation d’accélération. La montre de Bob, vue de la Terre, semblera ralentie dans tous les cas de figure, qu’il soit posé sur une planète ou en pleine accélération. Autrement dit la gravité ralentit aussi le temps ! La seule possibilité qui reste à Bob pour savoir où il en est dans son odyssée spatiale est d’ouvrir un hublot et de trouver un repère extérieur.
Conclusion: bougez, remuez, gigotez! Ca vous permettra de rester jeune (un chouïa) plus longtemps. Par contre bizarrement on vieillit dans sa tête plus vite que dans ses jambes. Certes, pas de beaucoup : au bout de 79 ans, notre tête est plus vieille de 83 milliardièmes de secondes que nos pieds. Pas de quoi devenir Paresseux pour si peu!
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Le principe de moindre action, un bijou de la physique
La relativité lumineuse même sans lumière: comment retrouver les équations de la relativité restreinte rien qu'avec des considérations de symétrie et sans postuler l'invariance de la lumière.
Première étape: atterri ou pas? L'équivalence entre gravité et accélération
Bob est un astronaute envoyé en mission intergalactique pour y explorer la mystérieuse planète Zorglub. Pour lui éviter l'ennui d'un long voyage, on l'a endormi après le décollage pour plusieurs années. Mais suite à une panne quelque part, Bob se réveille avant d'être arrivé. Du moins le suppose-t-il car tout est noir dans l'habitacle. Les hublots sont obturés, les appareils de mesure éteints et il règne un silence profond. Que se passe-t-il? Est-il arrivé? Bob se détache, pose un pied par terre et réalise qu'au lieu de flotter dans l'habitacle il peut se tenir debout sur le sol de la fusée. Son cerveau se met à carburer: "Serait-on déjà arrivé sur Zorglub dont je sens l'effet de la gravité? A moins que ce ne soit simplement l'effet de l'accélération de la fusée? Impossible de savoir car je n'ai aucun indice extérieur: les moteurs sont silencieux et les cache-hublots fermés!"
Interlude1: c'est grâce à cette expérience de pensée qu'Einstein raconte avoir eu la meilleure idée de sa vie (avec un ascenseur car les fusées n'existaient pas à l'époque). Vous avez appris en classe de Seconde qu'un objet dans un champ de gravité g est soumis à une force égale à sa masse fois son accélération a. Autrement dit a = g, on ne peut différencier une accélération d'un champ de pesanteur. Il n'en serait pas de même si notre objet était soumis à un autre type de force, électrique, magnétique ou autre car la force de gravité est la seule qui dépende directement de la masse. L'équivalence entre accélération et gravité explique le désarroi de notre ami Bob: sans indice extérieur il est incapable de savoir s'il est posé sur le sol d'une planète ou si son vaisseau est en pleine accélération. Le coup de génie d'Einstein est d'avoir étendu cette équivalence à toutes les lois de la physique. Il a postulé qu'elles se comportaient toutes de la même manière, que l'on soit soumis à la gravité ou en train d'accélérer au beau milieu de l'espace. Mais poursuivons les aventures de Bob...
Deuxième étape: la lumière déviée par la gravitation?
A tâtons, Bob cherche à ouvrir les cache-hublots pour regarder ce qui se passe dehors. Damned c'est bloqué! Bob essaie de faire un trou dedans avec son couteau mais il ne réussit qu'à percer une minuscule entaille. Un fin rayon de lumière entre dans le vaisseau. "Ouf! se dit-il, en examinant attentivement la trajectoire de la lumière je vais enfin savoir si oui ou non je suis arrêté:
- si je suis posé sur le sol d'une planète, le rai de lumière à l'intérieur de mon vaisseau dessinera une ligne droite parfaite.
- si par contre, je suis en train d'accélérer, le rayon dessinera une (très) légère parabole dans mon vaisseau."
Le raisonnement de Bob (qui ne lit pas Sciences et Vie Junior!)
Faux, archi-faux! dirait Einstein dont le principe d'équivalence postule que toutes les lois de la physique doivent être identiques, qu'on soit soumis à la gravité ou à une accélération. A l'en croire, la trajectoire d’un rayon lumineux doit être déviée par la gravité exactement comme elle le serait si la fusée accélérait! On peut dire à Bob d'arrêter d'essayer de mesurer la courbure du rayon lumineux dans sa fusée, ça ne lui donnera aucune information sur sa situation.
Interlude2: Aussi fou que ça puisse paraître, plus une planète est massive, plus elle courbe la trajectoire des rayons lumineux qui passent à proximité exactement comme l'air surchauffé par le sol dévie la lumière et provoque des mirages d'eau dans le désert. Il y a pourtant une différence entre les deux situations. Dans l'air, la vitesse de la lumière varie en fonction de la température, on conçoit donc que pour un rayon lumineux, le chemin le plus rapide entre deux points soit courbé. A l'inverse, la vitesse de la lumière est toujours la même dans le vide. Pourquoi dans ses conditions le chemin optique le plus court entre deux points serait-il courbe? La seule explication possible serait qu'un champ de gravité déforme l'espace lui-même, comme si l'on posait une boule au milieu d'une nappe tenue par ses quatre coins. Dans de tels espaces courbes, la ligne droite n'est plus forcément le plus court chemin entre deux points et il est possible que la trajectoire de la lumière soit courbée. Comme le décrit l'excellent blog de Science étonnante, la déviation de la lumière au voisinage de galaxies très massives peut même provoquer d'impressionnants mirages astronomiques: la fameuse croix d'Einstein et ses quatre étoiles fantômes ou encore ce qu'on verrait si un trou noir se trouvait entre nous et un galaxie (source: Wikipedia)
Troisième étape: le temps passe plus vite sans la gravité
Bob est désespéré. Ca fait plusieurs heures qu'il essaie de savoir si oui ou non il est posé sur la satanée planète. La communication avec la Terre est quasiment HS: Bob n'arrive qu’à transmettre passer des signaux en morse Bip Bip Bip… Pas pratique pour causer, mais peut-être est-ce suffisant ? Bob se fait le raisonnement suivant. Zorglub est quasiment immobile par rapport à la Terre. S’il est posé dessus, le temps à sa montre s’écoulera au même rythme que sur Terre: une minute à sa montre correspondra exactement à une minute à Houston. Si par contre, son vaisseau est en mouvement par rapport à la Terre, une minute à sa montre correspondra à plus de 60 secondes sur Terre: ce sont les lois de la relativité restreinte qui l'affirment. « Donc, se dit-il, il suffit que je fasse transmette le tic-tac de ma montre par la radio pour que sur Terre ils sachent si je suis en mouvement ou posé sur Zorglub. Ils trouveront bien un moyen de me renvoyer l’info… »
Interlude 3 : Pour ceux que ça intéresse voici une explication simple du phénomène de dilatation du temps (empruntée au blog d'Alexandre Moatti). Les lecteurs pressés se rendront directement au paragraphe suivant sans toucher 20 000F.
Au lieu d’une horloge, raisonnons sur le temps qu’il faut à un rayon lumineux pour traverser le vaisseau spatial dans les deux sens. Si la fusée est en mouvement par rapport à la Terre, Bob situé à l'intérieur de la fusée mesurera une durée plus courte qu'un observateur qui chronomètrerait ce phénomène depuis la Terre:
C'est l’un des résultats les plus paradoxaux de la relativité: une horloge qui bouge semble ralentie pour un observateur immobile. Langevin en a tiré un paradoxe célèbre: si l’on envoie quelqu'un voyager dans l'espace à très grande vitesse, il reviendra sur Terre en étant plus jeune que son frère jumeau resté sur place!
Malheureusement pour Bob, son stratagème est encore voué à l'échec car il vient encore une fois d’oublier le principe d’équivalence d’Einstein. Les lois physiques sont les mêmes en situation de pesanteur et en situation d’accélération. La montre de Bob, vue de la Terre, semblera ralentie dans tous les cas de figure, qu’il soit posé sur une planète ou en pleine accélération. Autrement dit la gravité ralentit aussi le temps ! La seule possibilité qui reste à Bob pour savoir où il en est dans son odyssée spatiale est d’ouvrir un hublot et de trouver un repère extérieur.
Ces phénomènes de dilatation du temps ont été souvent mis en évidence avec des horloges de très haute précision embarquées dans des jets. Mais en septembre dernier, le physicien américain James Chou a mis en évidence l’effet de la gravité sur le temps sans même bouger de son laboratoire. Comme la gravité décroit avec l'altitude, il a réussi à comparer le rythme de deux horloges ultra précises disposées à des hauteurs différentes de 30cm seulement. Et comme le prédit la relativité générale, la plus haute des deux a une infime avance sur la plus basse.
Conclusion: bougez, remuez, gigotez! Ca vous permettra de rester jeune (un chouïa) plus longtemps. Par contre bizarrement on vieillit dans sa tête plus vite que dans ses jambes. Certes, pas de beaucoup : au bout de 79 ans, notre tête est plus vieille de 83 milliardièmes de secondes que nos pieds. Pas de quoi devenir Paresseux pour si peu!
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Sources: Science et Vie Junior, Janvier 2011 dont sont tirées les infographies.Billets connexes:
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