C'est la journée de la courtoisie sur la route et l'occasion de se demander pourquoi on se transforme si facilement en Mr Hyde dès qu'on a les fesses sur le siège de sa voiture. Pur jus de crâne Xochipillesque, je vous préviens tout de suite, car ma culture scientifique sur le sujet se limite aux tests du type "quel conducteur êtes-vous?" dans les magazines que je ne lis (presque) pas.
C'est dans les pays dont le niveau d'éducation est faible que le contraste est le plus saisissant. Au Mexique, pays que je connais bien, le savoir-vivre exige une surenchère dans la courtoisie face à quelqu'un: on ne dit pas "à votre service" mais "à vos ordres" (a sus ordenes!), on ne parle pas de son "chez soi" mais de "votre" maison (car "ma maison est votre maison" - "su humilde casa") etc. A l'inverse les queues de poissons, les insultes et les doigts tendus rythment frénétiquement la vie bien peu urbaine des conducteurs automobiles.
Au milieu de cette jungle, un détail m'a pourtant toujours intrigué: pour changer de file au milieu d'une circulation très dense, il suffit de tendre la main par la fenêtre ouverte pour amadouer instantanément le conducteur de derrière. Alors que le clignotant est totalement inefficace, la technique de la main passée par la portière fait mouche à tous les coups à tel point que le passager le fait aussi à la place du conducteur lorsqu'il faut bifurquer à droite.
Ce soudain accès de civilité s'explique selon moi par l'irruption d'une forme de communication humaine -une main tendue- unique dans la marée des voitures. Et ce signal visuel exerce une pression très puissante sur les comportements des autres conducteurs. Autant l'automobiliste ignore sans même y penser le clignotant de la voiture de devant, autant il obéit quasi instinctivement au signal humain d'une main tendue. Faites l'expérience vous-même la prochaine fois que vous êtes coincé dans un carrefour embouteillé: si vous arrivez à attraper le regard du conducteur qui arrive en face, la partie est gagnée et il vous laissera passer. Et si vous lui faites un signe de tête ou un sourire, il le fera de bonne, grâce par dessus le marché. La tactique des mauvais coucheurs consiste d'ailleurs dans ces cas-là à éviter de croiser votre regard en gardant le leur obstinément braqué dans le vide.
Mon hypothèse est donc que nous nous soumettons aux communications non-verbales de manière compulsive, irrépressible (à condition de ne pas être indisposé par la personne en face de soi). Notre courtoisie de visu serait une réponse-réflexe à un signal non verbal et non pas le fruit d'une décision consciente. Nous sommes conditionnés pour répondre positivement aux signaux non verbaux de nos semblables. L'éducation reçue, l'intelligence, la rationalisation ne font que renforcer ce comportement, en le justifiant après coup, mais ils n'en seraient en aucune manière la source.
En l'absence de signaux visuels -lorsqu'on ne voit pas les conducteurs dans leurs voitures par exemple- l'incivilité est la règle naturelle et la courtoisie l'exception. Le même phénomène se constate au téléphone: toujours au Mexique, il est très courant de se voir raccrocher au nez et sans un mot d'excuse lorsqu'on reçoit un coup de fil par erreur. Par contre dès que l'on met un visage sur une voix la relation change du tout au tout, bien entendu.
J'en conclus (provisoirement) qu'il y a une différence fondamentale entre d'un côté la bienveillance provoquée instinctivement par une communication non verbale et, de l'autre, le civisme, fruit d'une longue éducation qui encourage à la même bienveillance même en l'absence de communication non verbale. Ce qui fait le propre de l'homme n'est pas sa bienveillance face à autrui (ça, ça existe partout dans le monde animal), mais son civisme, c'est à dire sa bienveillance face à l'idée de l'autre, lorsque l'autre n'est pas visible. L'imagination au pouvoir en quelque sorte...
Au fait, un embouteillage comment ça se forme? Regardez la petite vidéo qui l'explique parfaitement en 40 secondes chrono: