dimanche 27 janvier 2008

Pasteur et la génération spontanée


Comme tout le monde j'ai appris à l'école que nous devons à Pasteur la découverte des bactéries et la démonstration que les êtres vivants ne naissent pas spontanément, contrairement à ce que l'on croyait depuis Aristote. La réalité historique est bien entendu plus complexe et plus intéressante.

Tout d'abord Pasteur est loin d'être le premier savant à réfuter la thèse de la génération spontanée. En 1668, un riche apothicaire italien de la cour des Médicis, Francesco Redi, avait déjà démontré avec une rigueur scientifique tout à fait inédite pour l'époque, que les asticots ne naissaient pas tout seuls dans la viande. Pour y parvenir, il remplit des fioles de viande et de poisson mort, et en couvre certaines d'une fine gaze tandis que les autres sont laissées ouvertes à l'air libre. Au bout de quelques jours, il trouve des asticots mais uniquement au fond des fioles ouvertes, dans lesquelles des mouches ont pu s'introduire et y pondre des oeufs. Il n'y a pas d'asticot dans les autres fioles. Mais sur la gaze qui les recouvre, il découvre les oeufs que les mouches ont déposés, attirées par l'odeur de la viande. A ce pionnier de la démonstration expérimentale, on a dédicacé un cratère sur Mars.

Pasteur n'est pas non plus le premier à découvrir les bactéries. A peu près à la même époque que Redi,
Antonie Van Leewenhoek un drapier hollandais et bricoleur de génie, publie en 1678 ses observations d' "animacules" minuscules (des protozoaires et des bactéries) grâce à ses microscopes de sa fabrication qui grossissaient jusqu'à 200 fois, une prouesse pour l'époque. Amateur de génie en dehors des circuits scientifiques de l'époque, Van Leewenhoek observe avec son microscope les globules rouges, les spermatozoïdes, l'anatomie de nombreux insectes, la structure des végétaux...

Lorsqu'en 1861, Pasteur réalise son expérience avec le fameux ballon au long col de cygne (empêchant les bactéries d'atteindre l'infusion bouillie au fond du ballon), il améliore plus qu'il n'invente un protocole déjà expérimenté depuis longtemps: en 1768, l'italien Lazzaro Spallanzani avait montré que des solutions de micro-organismes bouillies puis scellées devenaient stériles. En 1836, le naturaliste allemand Theodor Schwann avait encore amélioré l'expérience en brûlant l'air à l'entrée du flacon au lieu de sceller celui-ci. Sur un plan scientifique, Pasteur a légèrement amélioré le dispositif.

Enfin, dans sa controverse avec Pouchet, Pasteur n'a pu réfuter convenablement la contre-expérimentation de ce dernier, qui observa la naissance de microbes dans une infusion de foin pourtant bouillie scellée. Pasteur a d'ailleurs lui-même reproduit cette expérience avec succès et n'a pas publié ses résultats qui viennent contredire son édifice théorique: "Je ne publierai pas ces expériences, écrit-il, (...) les conséquences qu'il fallait en déduire étaient trop graves pour que je n'eusse pas la crainte de quelque cause d'erreur cachée." Heureusement, en 1870 l'Académie des sciences est déjà acquise aux thèses de Pasteur et enterre définitivement la théorie de la génération spontanée dont Pouchet est le dernier défenseur jusqu'à sa mort, deux ans plus tard.

Ce n'est qu'en 1876 que l'on résoudra l'énigme de l'expérience de Pouchet: à très haute température le bacille du foin se transforme en spore très résistante, et retrouve ensuite sa forme vivante au contact de l'oxygène.

Bref, sur cette question de la génération spontanée, Pasteur a surtout été l'avocat efficace d'une théorie déjà bien en vogue. Il ne prouvera son génie que plus tard, avec la découverte de la la stérilisation (qui est la conséquence des expériences précédentes) et bien sûr avec l'invention du premier vaccin.

vendredi 25 janvier 2008

Principe de précaution: ineptie, énormité ou salubrité publique?

Le principe de précaution revient dans l'actualité, avec sa remise en question par la Commission Attali, au motif qu'il "instaure un contexte préjudiciable à l'innovation et à la croissance".

Reprise d'un échange sur ce sujet avec Eric, qui s'interroge dans son excellent blog sur la signification et la
dangerosité de ce principe à la formulation pour le moins amphigourique:
« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » (article 5 de la Charte de l'Environnement, inscrite à la Constitution depuis 2005).
Pris hors contexte, ce principe ressemble effectivement à une tautologie, quelque chose du genre "tout gouvernement doit prendre des mesures de simple bon sens face à un danger majeur, même si celui-ci n'est pas complètement démontré." Et la Commission Attali a eu beau jeu de démontrer qu'il n'y a pas d'innovation sans prise de risque, sinon on n'aurait jamais développé l'électricité ou le moteur à explosion. Et l'on pourrait reprocher à nos ancêtres Homo Erectus d'avoir généralisé l'usage du feu, qui peut être terriblement dangereux.

Je crois pourtant que le principe de précaution n'est ni une pure trivialité ni une nouvelle démonstration de démagogie écologique. Car force est de constater que jusque dans les années 1990, nos politiques de protection sanitaire et de l'environnement ont été le plus souvent régies d'abord par l'intérêt supérieur de la politique industrielle française.

Quelques exemples:


- La France a attendu 1997 pour interdire complètement l'amiante, après en avoir été le premier producteur mondial. Alors que l'on connaît officiellement sa dangerosité depuis 1902. Qu'il est inscrit officiellement au tableau des facteurs de maladies professionnelles depuis 1945 et classé comme cancérogène avéré depuis 1976. Pourquoi tant de temps? Car sa dangerosité était insuffisamment démontrée par le Comité Permanent Amiante, financé par les industriels*

- Il faut attendre 1991 pour avoir une première loi de vrai protection contre les dangers du tabac. Bien que l'on connût son caractère cancérigène, la mesure exacte de sa dangerosité n'était
pas suffisamment démontrée selon le lobbying anti-tabac.

- Après la
catastrophe de Tchernobyl et contrairement à tous nos voisins européens, les pouvoirs publics n'ont pris aucune mesure préventive sur le lait, les légumes verts ou l'eau de pluie. Le nuage s'était arrêté à nos frontières, heureusement.

- Enfin, et je m'arrête là, on a attendu 2 ans pour imposer en 1985 le dépistage systématique du sida sur les dons de sang, simplement parce que la France refusait de se voir contrainte d'importer du plasma des Etats-Unis. Bilan: 2000 hémophiles contaminés.


Pour biscornu qu'il soit, ce principe de précaution me semble du coup être la salutaire promesse que les pouvoirs publics ne s'abriteront plus derrière
l'insuffisance de preuves pour différer les mesures préventives qui s'imposent. Loin d'être la condamnation à mort de toute initiative sous prétexte du risque inévitable qu'elle porte en germe, ce principe de précaution est la garantie donnée au citoyen qu'il peut compter sur un (contre-)pouvoir responsable qui le préservera des risques majeurs et avérés, sans attendre des années d'expertises contradictoires.

Cette formulation sous forme d'incitation à l'action sans tarder se retrouve d'ailleurs de manière beaucoup plus claire dans la Loi Barnier de 1995 (je graisse):
"L'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement, à un coût économiquement acceptable." C'était moins pompeusement dit, mais certainement beaucoup plus clair.

Le protocole de Kyoto est une illustration de ce qu'on attend d'un tel Etat responsable. Et pour le coup, on aurait été heureux que les Etats-Unis aient adopté notre fameux principe...

*PS: Je tiens à remercier mon
number one de m'avoir prêté son devoir de SVT sur l'amiante, précieuse documentation à cette modeste contribution bloguesque.

lundi 21 janvier 2008

Les super-nounours de 0,1mm


Je vous recommande l'excellent Calme Plat chez les Soles de Marc Giraud, qui regorge d'histoires extraordinaires d'animaux de la mer et de la plage.

Parmi les drôles de bestioles, on y découvre le craquant Tardigrade, espèce d'ourson d'eau (Water Bear en anglais) de moins de 0,5mm de longs. Petits mais complets! Ils ont des pattes (8), avec de belles griffes, un cerveau et même un embryon d'oeil! Petit il est encore plus craquant Très élégant,il ne nage pas mais il marche:

le Tardigrade en goguette...

La marche du tardigrade 1 par fleur_salam


On en trouve partout autour de nous, surtout dans les mousses ou les lichens dont il raffolejusqu'à deux millions au mètre carré). Mais comme il ne fait pas les choses à moitié, pour lui partout c'est vraiment partout: du haut de l'Himalaya jusqu'au fond des abysses sous-marins (on en a trouvé à -4000m de profondeur).

Car cette bestiole est une espèce de super héros miniature: en cas de sécheresse, elle se momifie littéralement et peut rester dans un état d'hibernation (le terme exact c'est "cryoptobiose") pendant des années, puis revivre quasi instantanément au contact d'une goutte d'eau! On en a fait revivre après 2000 ans de séjour au milieu d'une calotte glaciaire!


"On peut les plonger dans l'alcool pur, dans l'éther, dans l'hélium liquide à -272°C pendant huit heures ou dans l'air liquide pendant vingt mois, les chauffer une demi-heure à +360°C (...) les immerger dans le vide absolu, les exposer à des radiations ou a des substances toxiques (les chercheurs sont vraiment sadiques...), les tardigrades sont capables de s'en sortir et de repartir comme si de rien ne s'était passé!". Au point que certains se demandent, si comme Superman, ils ne viendraient pas d'une autre planète?

Plus sérieusement, à quoi a donc pu leur servir une telle suradaptation? Et pourquoi avoir évolué en tellement d'espèces (on en compte plus de 600) si chacune est aussi résistante? En tous cas, moi je trouve qu'il a un peu des airs d'extra-terrestre ce nounours...


jeudi 17 janvier 2008

Les nombres irrationnels: √2




Depuis Pythagore on sait que dans un triangle rectangle, la somme des carrés des 2 côtés de l'angle droit est égal au carré du 3eme côté (cf cette vidéo pour tout savoir sur Pythagore et d'amusantes démonstrations de son théorème, sur le très bon site des inclassables mathématiques). Et depuis Pythagore on cherche à calculer la longueur de l'hypoténuse pour le triangle rectangle élémentaire, dont les 2 côtés sont de longueur 1.


Pourquoi est-ce difficile? On peut d'abord montrer que ce nombre 2- racine carrée de 2 puisque son carré vaut 1+1=2 - ne peut s'écrire sous la forme d'une fraction simple.
J'adore la démonstration, par l'absurde.

Supposons que ce nombre s'écrive sous forme de fraction p/q irréductible (c'est à dire où p et q n'ont pas de dénominateur commun).
Par définition p2/q2=2 donc p2=2q2 et donc p2 est pair.
On peut facilement montrer qu'un nombre a la même parité que son carré. Si p2 est pair c'est donc que p l'est aussi et peut s'écrire p=2n.
p2/q2=2 s'écrit ainsi 4n2/q2=2
On en déduit q2=2n2 donc q est lui aussi pair. Mais si p et q sont pairs, p/q n'est pas irrédutible, ce qui est en contradiction avec notre hypothèse de départ. Par conséquent
2 ne peut s'écrire sous la forme d'une fraction.

Et alors, me direz-vous, pourquoi un nombre qui ne peut s'écrire sous forme de fraction serait-il plus compliqué qu'un autre? Et bien
on peut aussi démontrer que l'écriture décimale d'un tel nombre ne contient jamais de séquence répétitive de déciméles (comme 1/3 qui s'écrit 0,33333*... ou, plus compliqué, 1/7 qui s'écrit 0,142857142857142857...). La démonstration -encore par l'absurde - est aussi amusante que la précédente, vous allez voir...

Supposons qu'un tel nombre X
s'écrive sous la forme d'un nombre de m chiffres, suivi d'une série de n décimales répétées à l'infini qu'on appellera ω:
10m X = M,ωωωωω.... où M est un nombre entier à m chiffres. 10(m+n)X= M ω,ωωωωω....
On a décalé tous les
ω d'un cran exactement à gauche par rapport à la virgule, et du coup les deux nombres ont les mêmes décimales.
En les soustrayant: 10
(m+n)X - 10m X =(Mω-M) qui est un nombre entier
et X = (Mω-ω)/ (10(m+n) - 10m)
10(m+n) - 10m est un nombre entier également donc X s'écrit sous forme d'une fraction de deux entiers.

Tout nombre décimal avec répétition de ses décimales à partir d'un certain rang s'écrit donc sous forme de fraction. A l'inverse, comme on a montré que
2 n'était pas une fraction, c'est un nombre sans aucune répétition décimale.

Voilà pourquoi la valeur exacte de
2 -tout comme celle de π, e ou le nombre d'or qui sont aussi des nombres irrationnels, a depuis fasciné les savants de tous les pays depuis toujours...

* et non 3,33333. Merci à Alex de m'avoir signalé l'erreur initiale ;-)

mercredi 16 janvier 2008

Le tour du monde avec une ficelle



L'augmentation -inéluctable après les excès de fin d'année - du diamètre de la partie la plus ronde de mon anatomie me rappelle cette petite devinette toute simple:

Imaginons que l'on entoure la Terre au niveau de l'équateur, avec une ficelle, puis que l'on allonge cette longueur de ficelle d'un mètre. Quel sera l'espace libre ainsi créé entre la Terre et la ficelle?

Réponse en commentaires...

jeudi 13 décembre 2007

Supplément de bagages


Un humoriste (était-ce Guy Montagné, dont la Kolossale finesse sévissait dans les Collaroshow de notre enfance?) proposait dans les années 80 une recette infaillible pour éviter de se retrouver avec un terroriste dans son avion quand on part en vacances: il peut à la rigueur y avoir une bombe dans l'avion, mais deux ça ne s'est jamais vu. Donc pour être tranquille, il suffit d'emporter sa propre bombinette avec soi dans l'avion. Pratique!

Evidemment, le raisonnement est absurde... mais pourquoi au fait?

La probabilité qu'il y ait deux bombes dans l'avion est (historiquement) nulle, certes. Mais la probabilité qu'il y ait un terroriste ou pas dans mon avion (avec sa bombe) est indépendante de ma décision d'emporter une bombe. Autrement dit, apporter ma bombe n'annule pas la probabilité qu'il y en ait une autre.

Par contre la probabilité d'avoir des ennuis avec la police de l'air augmente très fortement. Sans compter le supplément de bagage à payer, pas négligeable en ces temps de morosité du pouvoir d'achat...

lundi 10 décembre 2007

Psychologie de l'agacement



Dans son livre "Agacements", Jean-Claude Kaufmann dissèque le phénomène dans l'intimité d'un couple, une fois dissipée la phase d'amour extatique où l'on trouve les petites manies de l'autre "charmantes".

J'en retiens deux mécanismes: le premier, plutôt social (le social commence à deux), est le choc de ces deux micro-cultures sous un même toit. L'amour se rêve dans la fusion des corps et des âmes et s'idéalise dans l'harmonie parfaite des goûts et des comportements. Or la vie à deux se révèle très vite être une "machinerie à produire du contraste identitaire" où éclatent les différences dans les modes de vie au quotidien -que ce soit les chaussettes qui traînent ou la télévision constamment en marche. Ces dissonances deviennent rapidement irritantes tant elles contrastent avec l'idéal amoureux de l'accord parfait. Kaufmann voit dans cet agacement naissant "un indice que le processus d’unification s’est mis en branle". L'agacement comme une manière pour le couple de trouver son modus vivendi.

L'explication psychologique me semble plus intéressante. Nous accomplissons dans la routine quotidienne un grand nombre de gestes de manière mécanique, sans y réfléchir: attraper son bol pour le petit-déjeuner, se laver les dents en prenant sa brosse de la main gauche et le tube de dentifrice sur la tablette près du verre à dents etc. Ces automatismes sont très pratiques car ils déchargent l'esprit d'une concentration inutile et permettent de penser à autre chose, de se réveiller etc. Imaginez un instant une journée où chaque geste serait pensé, réfléchi, calculé: ce serait épuisant.

Lorsque l'un de ces automatismes se trouve contrarié - le bol qui n'est pas à sa place habituel dans le placard- l'esprit est contraint de se réveiller, de comprendre ce qui se passe et de trouver une solution - ouvrir l'autre porte du placard. Si c'est son conjoint qui est à l'origine de cette interruption de notre pilotage automatique, la surprise fait place à l'amusement puis à l'agacement lorsque la chose se répète. L'aspect systématique de ce réveil psychique irrite. D'autant que c'est l'être aimé -le traître! - qui en est la cause alors que l'on attend de lui support et amitié. Surtout si -traitrise des traitrises - il ne prête semaine après semaine, mois après mois, aucune attention à nos récriminations. Et si - à force - il s'agace lui-même de notre propre agacement, on a réuni les ingrédients d'un cocktail conjugal détonant.

Dans cette perspective, nos sources d'agacement intimes éclairent mieux qu'une psychanalyse, les gestes, les idées, les moments de notre quotidien pour lesquels nous sommes le plus confortablement installés "en mode automatique". Analyser ce qui nous agace le plus, c'est mettre le doigt sur nos valeurs les moins conscientes, les plus mécaniques, les moins explicables. Celles auxquelles nous ne pensons pas car elles vont de soi.
Elles nous renvoient ainsi au plus profond de notre construction psychique. Plus un comportement nous agace, plus il nous renseigne sur un aspect de notre inconscient...

Une dispute vaudrait-elle plus qu'une séance de psy?

samedi 8 décembre 2007

Le satyre et le Paysan




Un homme s'était, dit-on, lié d'amitié avec un satyre.
L'hiver étant venu, comme il faisait froid, l'homme portait les mains à sa bouche et soufflait dessus.
"Que fais-tu là ?", lui demanda le satyre.
"Je me réchauffe les mains, dit-il, car il fait froid."
Plus tard, ils passèrent à table.
Comme le plat qu'on lui avait servi était très chaud, l'homme y prélevait de petits morceaux et, les portant à sa bouche, il soufflait dessus.
Interrogé une nouvelle fois par le satyre, il expliqua qu'il refroidissait ainsi sa nourriture.
"Eh bien, lui dit le satyre, je renonce à ton amitié, car tu souffles de la même bouche et le chaud et le froid."
Nous aussi, gardons-nous de l'amitié de qui mène double jeu.


Observateur, ce satyre de la fable d'Esope, mais pas scientifique. Cherchons à comprendre à sa place pourquoi l'air que nous expirons semble plus frais soufflé bouche à demi-fermée que bouche ouverte.

Intuitivement on se dit que l'air est plus froid parce qu'il va plus vite. Avant de sortir de la bouche l'air était comprimé. En sortant il accélère et se détend et la décompresssion provoque son refroidissement, c'est le principe du réfrigérateur. On peut en faire l'expérience en utilisant n'importe quel aérosol, extincteur ou récipient sous pression. Par ailleurs, plus le filet d'air est mince, plus la surface exposée au contact de l'air ambiant est importante (elle croît avec le carré des dimensions du cône, donc moins vite que le volume du cône qui lui, croît avec le cube de ces mêmes dimensions).

Pourtant l'explication pourrait ne pas totalement satisfaire notre satyre fraîchement converti à la physique moderne car, objecterait-il, même lorsque la compression dans la bouche est très faible, l'air est toujours aussi frais. Y compris très près de la bouche, alors même qu'il n'a pas eu le temps de se refroidir au contact de l'air ambiant. Avez-vous essayé, nous glisserait-il d'un air malicieux, de souffler sur un thermomètre pour voir s'il marque une température plus basse? Car dans ce domaine, les sens des humains les trompent souvent, leur faisant accroire qu'un ventilateur rafraîchit alors qu'il ne fait que brasser de l'air chaud.

Le satyre a raison... et tort à la fois. Car la sensation de fraîcheur qu'apporte l'air brassé -même chaud- d'un ventilateur n'est pas uniquement le fruit de l'imagination. C'est le phénomène de "sensation thermique" qui s'explique par le renouvellement rapide de la couche d'air chaud et humide isolant notre peau de l'air ambiant. Ce remplacement continu de l'air se trouvant au contact de la peau facilite l'évaporation de la sueur, évaporation qui est notre principal mécanisme de refroidissement corporel (pour s'évaporer l'eau absorbe de l'énergie, donc produit, en quelque sorte, du froid).

Rien de psychologique là dedans, ami satyre.

Mais votre critique est très utile car c'est sans doute ce même mécanisme qui permet de refroidir efficacement -mais certes pas élégamment - sa soupe: en soufflant dessus, on chasse la couche d'air isolante et saturée en vapeur située juste au-dessus de la surface et l'on accélère son évaporation. Plus la vitesse de l'air est forte, plus le renouvellement est accéléré et le refroidissement rapide.

Un souffle fin rafraîchirait donc à la fois par sa température plus basse et par son effet sur l'évaporation. A l'inverse, lorsque l'on souffle bouche grande ouverte, l'air n'est ni détendu ni très rapide. Tout près de la bouche, il est encore très chaud, et dans le froid il réchauffe ainsi les mains efficacement. Notre satyre peut se réconcilier avec son ami humain.

Pour une température donnée, un liquide (ou un organisme) peut donc refroidir très vite en fonction du vent. Le phénomène est plus marqué à basse température, ce qui explique que l'on se préoccupe beaucoup de la vitesse du vent dans les régions nordiques. Selon Wikipedia l'effet sur le corps humain d'un vent de 50km/h à -20°, équivaut à une température extérieure de -35°! C'est très froid, même pour un satyre.

jeudi 6 décembre 2007

A quand la non-communication efficace?


C'était au siècle précédent, lorsque l'on réclamait un monde où l'on communiquerait facilement. Où l'on pourrait joindre n'importe qui, n'importe quand, n'importe où et par n'importe quel moyen, téléphone, fax ou -plus tard- email. Avec comme vision idyllique la fin de la course d'un rendez-vous à l'autre, le travail depuis chez soi, à la campagne ou même depuis son voilier, assistant par visio-conférence à une réunion se tenant à des milliers de kilomètres de là...

Et puis le rêve s'est réalisé. On court moins après les autres et l'on est joignable à peu près n'importe quand, pour le meilleur et pour le pire. Pendant que j'écris ce blog, je pense à une vidéo faite par Siemens pour l'illustrer et demande à un ami s'il peut me la retrouver et me l'envoyer: ce sera fait avant d'avoir fini mon post. Mais c'est une banalité que d'évoquer l'avalanche de sollicitations sous laquelle croûlent les cadres de nos sociétés modernes. Pas un compte-rendu sans son powerpoint de vingt pages, diffusé à tous étages de tous les services. La facilité de diffusion épargne à l'émetteur le choix des destinataires et la politesse de la synthèse. Les moindres discussions à deux prennent systématiquement la Terre entière à témoin ("pour qu'il y ait une trace", s'excuse-t-on dans les couloirs).

Eduqués dans le culte de la réactivité, nos cadres usent de leur mail comme d'une raquette de ping-pong et répondant du tac au tac, contribuant ainsi à l'entropie du système. Sans parler de ceux qui veulent toujours avoir le dernier mot. Connectés en permanence -c'est leur seule chance de ne pas faire exploser leur boîte aux lettres sous le volume des messages non lus, ils alimentent le système et ne trouvent plus le temps pour travailler le fond des dossiers. Inimaginable il y a cinq ans, l'usage du laptop en réunion est maintenant monnaie courante.

Word en fait les frais, trop formel et désormais réservé à des formulaires austères ou des lettres aux clients. Vive Powerpoint! Non pas pour illustrer visuellement d'un mot ou d'une image forte une présentation. Il est maintenant simplement la preuve écrite qu'on a rapidement réfléchi à un sujet et jeté quelques idées sur un support, sans souci de formalisme ni de synthèse. Ecrit souvent en globish , la langue de travail de toutes les multinationales, c'est LE document de travail par excellence, distribué et commenté en scéance puis diffusé au monde entier, alimentant d'interminables commentaires et corrections.

Face à cette avalanche de mails et de documents indigestes, nos cadres sont mal préparés, culpabilisés à l'idée de passer à côté d'une information importante glissée dans un de ces mails. D'autant que grâce à la diffusion tous azimuts, nul n'est censé ignorer quoi que ce soit, puisque c'est écrit. La question pour eux n'est plus de pouvoir communiquer que de trouver le temps de ne pas de le faire.

L'efficacité a changé de camp: la réactivité se fait parfois contre-productive. Et jamais le discernement n'a été aussi vital (entre ce qui est important et ce qui ne l'est pas). Après la promesse d'une communication instantanée et sans contrainte, le nouveau Graal ne serait-t-il pas une non-communication efficace?

dimanche 2 décembre 2007

Poils à gratter auditifs




En latin aujourd'hui se disait hodie (littéralement, hoc-die ce-jour) contracté en hui en vieux français (hoy en espagnol, hoje en portugais, oggi en italien...).

Aujourd'hui, littéralement au-jour-d'hui, est donc un pléonasme, puisqu'il s'agit déjà "du jour de ce jour-ci". Il faut reconnaître que ce hui sonne un peu court par rapport à l'importance du jour qu'il désigne.

L'expression "Au jour d'aujourd'hui" qu'on entend si souvent est donc un pléonasme au carré. Littéralement au-jour-du-jour de-ce-jour-ci. J'adore le ton sentencieux qui accompagne généralement cette expression et prédis que dans 500 ans, on inventera "au jour d'au-jour-d'aujourd'hui" (qu'on aura le droit d'écrire avec ou sans traits d'union). Toute l'histoire d'aujourd'hui est .

Dans le genre poil à gratter des oreilles, l'horripilant "la faute à Machin", qui s'incruste à longueur de revues de presse et d'éditoriaux... Un million d'occurences sur Google pour cette expression incorrecte (en prenant soin de retirer les références à Voltaire et Rousseau qui ne comptent pas) contre seulement 800 000 pour le très correct "la faute de" qui passerait presque pour une tournure maladroite.

Heureusement sur d'autres flancs, l'orthographe résiste vaillamment, avec "au temps pour moi", utilisé (j'imagine) à l'origine par l'officier faisant défiler la troupe, et dont le pas s'est malencontreusement décalé d'un temps.

Le site de l'académie française est très bien fait sur ces questions, où l'on apprend que le pluriel ne commence qu'à partir de deux et que "évènement" est correct alors que "événement" ne l'est plus. Décidément...

mardi 27 novembre 2007

Nous sommes tous les descendants de Charlemagne

Amusant insert d'O Postel-Vinay dans l'Histoire de ce mois-ci, en référence à un article de Nature de 2004.

Charlemagne a vécu il y a environ 1200 ans, soit à peu près 48 générations.
Si tous nos ancêtres étaient de lignées différente, nous aurions chacun 2 puissance 48 ancêtres vivant à cette époque. Soit environ 281 000 milliards d'individus, bien plus que la population de toute la Terre.

Le paradoxe s'explique bien sûr par la forte consanguinité de nos arbres généalogiques, mais avec ce raisonnement simple, on conçoit intuitivement que tous les contemporains de Charlemagne sont très probablement nos ancêtres, Charlemagne lui-même y compris.

L'article publié dans Nature (commenté dans Science Daily) présente les résultats d'une modélisation mathématique plus complexe, tenant compte d'une reproduction intra-groupes sociaux et conclut à un ancêtre commun à toute l'humanité, vivant il y a 3000 ans seulement.

Appliqué à l'avenir, ce modèle prédit que chacun de nous est ancêtre de toute l'humanité qui vivra dans 2000 ans. Ca fait mal à la tête.

dimanche 4 novembre 2007

L'eau et la vie extraterrestre: quel rapport?

On associe souvent l'eau à une condition nécessaire à la vie: Pas d'eau, pas de vie. D'où l'émoi que suscite chaque découverte de traces d'eau sur les planètes de notre système solaire. Mais pourquoi ce qui serait indispensable à la vie sur Terre le serait-il dans d'autres systèmes extra-terrestres? Ne peut-on imaginer que la vie sous d'autres formes se soit développée grâce à d'autres substances que l'eau?

La réponse tiendrait à ce que la vie ne peut se développer que dans un milieu liquide et que l'eau est le meilleur -si ce n'est le seul- candidat à une telle présence sous forme abondante.

La naissance de la vie suppose un grand nombre de réactions chimiques qui impliquent de nombreuses interactions entre les molécules. Dans un milieu solide, les molécules sont souvent peu mobiles et interagissent peu. Dans un gaz, elles sont certes très mobiles, mais aussi très éloignées les unes des autres rendant les échanges moins probables. Un milieu liquide est donc naturellement plus favorable à la multiplication de réactions chimiques et probablement nécessaire à la naissance de la vie sur une planète.

L'eau est une des molécules abondantes dans l'univers car constituée elle-même d'atomes très abondants. L'hydrogène, le plus simple des atomes (un proton et un électron) représente 92% des atomes de l'univers. L'oxygène bien que plus complexe (8 protons et 8 électrons) est aussi l'un des atomes les plus fréquents de l'univers car né des réactions de fusion entre atomes d'Hélium des premières étoiles.

Ensuite l'eau tend naturellement à rester liquide plus que d'autres molécules similaires, (source: Wikipedia) notamment du fait des liaisons entre atomes d'hydrogène de molécules voisines, qui "s'accrochent" ainsi les unes aux autres:
- L'eau s'évapore à température particulièrement élevée par rapport à sa masse moléculaire, car il lui faut beaucoup d'énergie pour briser ces liaisons hydrogènes.
- L'eau possède cette propriété rare d'être plus dense liquide que solide. Alors que dans tout autre substrat, le liquide flotte en surface et gèle en profondeur, l'eau reste liquide en profondeur, protégée de surcroît par la couche de glace en surface. Comme elle atteint sa densité maximale à 4°C, la température maximale du fond d'un lac descend rarement en dessous de cette température, permettant ainsi la survie de son écosystème en cas de grand froid.

Enfin l'eau possède des propriétés biochimiques intéressantes pour le développement de la vie:
- c'est un "solvant doux", ni acide ni basique et peu oxydant vis-à-vis des molécules carbonnées y baignant. L'eau permet de dissoudre de nombreuses molécules sans les modifier chimiquement et sans se modifier elle-même.
- Sa tension superficielle particulièrement élevée est propice au phénomène de capillarité très utilisé par les organismes vivants (les plantes en particulier).

Molécule abondante, particulièrement stable sous forme liquide et peu agressive par rapport à ce qui s'y baigne, l'eau est ainsi LE milieu idéal aux réactions chimiques entre atomes et molécules nécessaires à toute éclosion d'une forme de vie...

samedi 8 septembre 2007

L'espérance de vie sur une bande d'arrêt d'urgence

Parmi les plus célèbres légendes urbaines, celle de l'espérance de vie de quinze minutes sur la bande d'arrêt d'urgence d'une autoroute m'amuse beaucoup. On la retrouve surtout sur les sites des vendeurs d'équipements de sécurité pour lesquels ces chiffres effarants sont d'excellents arguments de vente (ce pdf de Norauto par exemple).

Circuler sur la bande d'arrêt d'urgence est très dangereux, bien entendu, personne ne le conteste. Mais ces quinze minutes-là me laissent perplexe et je n'ai rien trouvé sur le site des légendes urbaines.

L'espérance de vie est la moyenne statistique de toutes les durées de vie des personnes se trouvant dans la situation en question. Donc y compris celles qui ne sont pas mortes à l'issue de cette aventure, soit probablement une bonne proportion de TOUS les conducteurs automobiles... Comment peut-on les prendre en compte?!

On peut imaginer que ces quinze minutes se rapportent aux seules personnes mortes sur ces BAU. Mais dans ce cas, ce chiffre nous renseigne peu sur la dangerosité des BAU: par exemple s'il n'y a qu'une personne décédée dans ces circonstances sur les milliers auxquelles il n'est heureusement rien arrivé...

Tout cela pour rassurer nos valeureux gendarmes qui sont régulièrement stationnés sur les BAU, tout concentrés qu'ils sont sur leur passion pour la photographie d'automobilistes trop pressés!

dimanche 26 août 2007

Nous ne verrons jamais ET...

Avons-nous la moindre chance de croiser un extra-terrestre d'une civilisation aussi développée que la nôtre (c'est-à-dire capable d'aller se promener dans l'espace, à la recherche d'une autre forme de vie)? La question est moins métaphysique qu'elle n'en a l'air, pourvu que l'on garde en tête le calendrier de l'univers (une bonne illustration ici). Et nanti de ce viatique, quelques probabilités permettent de relativiser cruellement cette perspective.

Mon hypothèse principale est qu'une civilisation qui a le pouvoir d'aller dans l'espace a une espérance de vie courte, car elle est probablement également capable technologiquement de s'auto-détruire. Avec une bombe nucléaire entre les mains il est probable que notre monde civilisé durera moins de quelques millénaires.
Soyons très optimistes et imaginons qu'une telle civilisation ait une espérance de vie de 100 000 ans.

Ma deuxième hypothèse est qu'une civilisation évoluée a pu se créer n'importe quand dans le calendrier cosmique de l'univers. Il n'y a pas une date ou une période propice à l'émergence d'une telle civilisation.

Sous ces hypothèses, se faire rencontrer deux telles civilisations (la nôtre et l'extraterrestre), c'est faire coexister deux événements aléatoires d'une durée de 100 000 ans sur une échelle de 12 millards d'années.
Il y a donc une chance sur 120 000 pour que cela arrive... On peut toujours attendre, même si c'est plus que la probabilité de gagner le gros lot au Loto (une chance sur 14 millions)!

Par exemple, si un extraterrestre venait sur Terre, il aurait 3 chances sur 4 de n'y trouver qu'une soupe bactérienne pour unique forme de vie (durant 3 milliards d'années), une chance sur 8 de tomber sur des vertébrés (500 millions d'années) et une chance sur 8000 de tomber sur des homo sapiens (500 000 ans).

Dans notre quête de vie extraterrestre, on ne peut donc s'attendre qu'à trouver des traces de vie très primitives (bactéries) ou des restes de'une vie plus développée... mais disparue depuis des millions d'années.

mercredi 6 juin 2007

Le mieux, en pire?

- Regarde papa, je te fais un tour de magie - me dit numbertwo en me montrant d'un air fier son tableau conchié de gribouillis de feutre Véléda séché.
- T'as vu, c'est tellement vieux que ça part pas quand tu frottes...
Et de frotter sans succès ces traces trop anciennes avec le tampon-qui-est-censé-tout-effacer
- ...?
- Alors regarde, je vais cochonner encore plus - et il recouvre soigneusement les vieux gribouillis indélébiles avec le nouveau feutre qu'on vient d'acheter.
- Ohhh comme c'est beau mon chéri!!! Je crois que ce tableau blanc va vraiment finir à la poubelle!
- Mais non, papa, regarde!!

Et, d'un air triomphant, il passe le tampon sur ces nouveaux gribouillis et tout s'efface comme par miracle, les traces anciennes comme les nouvelles.

Moralité: parfois pour améliorer les choses, il faut juste les empirer un petit peu...