samedi 28 janvier 2012

Life in the fast lane

 « Théorie de l’Invariance » (Invariantentheorie) voilà comment Einstein voulait initialement baptiser sa nouvelle théorie, en référence à l’invariance des lois de la physique entre deux référentiels galliléens et (surtout) à l’invariance de la vitesse de la lumière pour tous les observateurs. Je ne suis pas sûr qu’avec un nom pareil sa théorie aurait autant excité les foules. Appeler ça « théorie de la relativité » entrait au contraire en résonance parfaite avec l’esprit de l’époque où l’objectivité des choses perdait du terrain par rapport au point de vue de chacun sur la question. Tant pis si le postulat de relativité entre deux référentiels remonte plutôt à Galilée et surtout si le principal résultat de la théorie d’Einstein est la NON-relativité de la vitesse de la lumière.

Il y a dans cette valeur limite quelque chose de très dérangeant pour l’esprit. Comment une théorie qui postule que la vitesse de déplacement n’a aucune importance peut en même temps interdire à celle-ci de dépasser une certaine valeur? Pourquoi serait-il plus dur de gagner quelques mètres par secondes quand on approche de la vitesse de la lumière? Le paradoxe n’est évidemment qu’apparent, mais j’ai découvert que Jean-Marc Lévy-Leblond avait suggéré à la fin des années 1970 une élégante manière d’y répondre. Il nous propose rien de moins que de changer notre point de vue sur ce qu’on appelle la vitesse. Je vous en présente une version très simplifiée en embarquant dans un vaisseau spatial imaginaire allant très très vite…

Les trois vitesses

Fendant l’espace et voyant défiler les étoiles par les hublots vous songez aux différentes manières de mesurer votre vitesse de déplacement? Vous avez a priori trois façons de vous y prendre…

1ère méthode (pour les flemmards): la vitesse

Vous consultez la table des horaires dans le Milky Way News et en divisant simplement la distance du trajet (x) par la durée du voyage (t) vous trouvez votre vitesse V=x/t telle qu’elle  est mesurée depuis la station internationale. Vous savez que cette vitesse ne peut dépasser la vitesse de la lumière (300 000 km/s environ). Mais cette vitesse est calculée à partir des délais et des durées mesurés dans un autre référentiel que le vôtre: et ça c’est pas top, car vous avez lu votre Einstein et vous savez que ces mesures dépendent du référentiel choisi (la fameuse contraction des durées et dilatation des longueurs…). C’est d’autant moins satisfaisant que vous devez compter sur la station internationale pour vous communiquer ses mesures à chaque instant, ce qui ne convient pas trop à un esprit autonome comme le vôtre. Next please!

2eme méthode (pour les pressés): la célérité

Dans la vraie vie, on chronomètre soi-même son temps de trajet: c’est comme ça que votre GPS calcule votre « vitesse » instantanée. Cette méthode revient au même tant que l’on considère le temps comme une valeur absolue, dont la mesure est indépendante de l’observateur. En mécanique relativiste, par contre, le temps mesuré depuis votre fusée et qu’on appelle votre « temps propre » (τ), est différent de celui mesuré depuis la station internationale (t). Du coup si vous allez très vite, la quantité (x/τ) que vous mesurez n’est pas votre vitesse (x/t), mais votre célérité. Du fait de la contraction des durées, τ est plus petit que t et votre célérité est plus grande que votre vitesse. Elle peut sans problème dépasser la vitesse de la lumière. Le problème avec cette notion c’est qu’elle mélange un délai mesuré dans votre référentiel avec une longueur mesurée dans un autre. Ce qu’on aimerait c’est pouvoir mesurer sa « vitesse propre » (x’/τ) sans dépendre des mesures prises ailleurs!

3eme méthode (pour les aveugles): la rapidité

Comment faire si vous n’avez pas de carte, pas d’instrument de communication et qu’un nuage cosmique vous prive de tout repère visuel? C’est le problème que doivent résoudre les tachymètres embarqués dans les missiles (ou plus simplement dans certaines manettes de jeu). Facile, il vous suffit d’un fil à plomb! Je m’explique: à chaque instant, la variation de votre vitesse est dictée par l’accélération que subit votre fusée. Il vous suffit donc de mesurer l’accélération subie à chaque instant pour en déduire l’évolution de votre vitesse propre pendant un certain laps de temps. Or l’accélération est une valeur absolue, un truc invariant dans tous les référentiels, qu’on peut mesurer en observant son effet sur la déviation d’un fil à plomb (si vous êtes dans un champ de pesanteur) ou sur tout autre système qui se déforme facilement.

En compilant les variations infinitésimales de votre vitesse propre, vous obtenez une mesure (à une constante près) de ce qu’on appelle la « rapidité » (x’/τ). Encore une notion différente de la vitesse et de la célérité quand on approche des très grandes vitesses.

Il suffit de décider arbitrairement à quel moment on est « immobile » et voilà! Vous me suivez?

Lucky Luke, c’est vous!

Ce qui est remarquable avec la rapidité, c’est que non seulement on n’a besoin de personne pour la mesurer mais surtout qu’elle a toutes les propriétés intuitives de ce qu’on appelle d’habitude une « vitesse ». Elle peut par exemple prendre toutes les valeurs qu’on veut (d’autant qu’elle est définie à une constante près). Dans votre prochain dîner en ville vous pourrez donc affirmer tranquillement:

« Je suis personnellement plus rapide que la vitesse de la lumière,
même si je vais bien entendu moins vite
et que la lumière est infiniment plus rapide que moi. »

En effet la rapidité de la lumière est infinie car le temps propre ne s’écoule pas pour un photon.

L’autre propriété fascinante de la rapidité est qu’elle est additive, comme on s’attend à ce qu’une « vitesse normale » le soit. La rapidité de deux objets en mouvement l’un par rapport à l’autre est tout bêtement la somme de leur rapidité. Si dans mon référentiel, un objet a une rapidité r1 et un second une rapidité r2, la rapidité de l’un par rapport à l’autre est r1+r2. Pas de β, de γ ou de vitesse de la lumière à rajouter.

Mon quart d’heure de compulsion algébrique a sonné. En voici donc la preuve mathématique. Les âmes sensibles peuvent sans problème sauter le paragraphe suivant!

Vu du référentiel R, la fusée (et son référentiel R’) se déplace à la vitesse v.
Si un astronaute s’y déplace à la vitesse dv’ (vu de R’), sa vitesse vu de R est v+dv et se calcule avec la loi de composition relativiste des vitesses:

. On développe en ignorant les termes du second ordre (en dvdv’) et on trouve:

 c’est-à-dire  ou encore  défini à une constante près.

Quand v/c est tout petit, ça donne 

Je vous épargne les calculs, mais si l’on exprime la matrice de Lorentz en fonction de v’ (la matrice de Lorentz, c’est ce qui permet de passer du référentiel R au réferentiel R’ et de calculer x’ et τ en fonction de x et t), on trouve un truc très simple (mort de rire dit Xochipillette):

Additionner les rapidités v’1 et v’2, c’est composer entre elles deux matrices de Lorentz ayant pour paramètres respectifs v’1 et v’2. Or si vous appliquez les formules d’addition de trigonométrie hyperbolique, vous verrez que:

La matrice résultante correspond à une rapidité v’1+v’2. La rapidité est donc bien une variable additive. Shazam!

Je sais pas vous, mais moi cette notion de rapidité réconcilie un peu mon intuition avec les résultats de la relativité. Par contre, cette propriété qu’a la rapidité de pouvoir s’ajouter peut vous sembler un peu magique, comme sortie du chapeau des mathématiques. Il n’en est rien! La semaine prochaine je vous raconterai pourquoi là aussi on pouvait s’y attendre…

Sources:
Le cours de Roland Lehoucq (2003) au festival d’astronomie de Fleurance (j’adore le nom), auquel j’ai emprunté les trois méthodes de mesure d’une certaine forme de vitesse.
L’article de Jean-Marc Lévy-LeblondAdditivité, rapidité, relativité (1979) qui m’a inspiré ce billet et sur lequel on reviendra au prochain billet.

Billets connexes:
La relativité lumineuse, même sans lumière: ou comment on peut redémontrer les principes de la relativité restreinte sans postuler l’invariance de la vitesse de la lumière (une démonstration qu’on doit aussi à Jean-Marc Lévy-Leblond!)
Si la relativité générale m’était contée: pour faire d’autres expériences de pensée à bord de votre fusée intergalactique!

mercredi 25 janvier 2012

Enigme gourmande

 Etant un peu à la bourre en ce moment, je vous propose une devinette pour vous faire patienter. Vous avez acheté un magnifique gâteau (rectangulaire) pour tous les trois, mais votre affreux garnement ne vous a pas attendu et s’en est servi une part qu’il a découpée n’importe comment (le rectangle blanc ci dessous):


Vous n’avez qu’un couteau à votre disposition (ou une règle et un crayon pour ceux qui veulent résoudre cette énigme en gardant la ligne). Comment découper ce qui reste du gâteau (le grand rectangle moins la part blanche rectangulaire) en deux parts égales? Réponse demain!

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[26/01/2012] Bravo Neoidia! Il faut effectivement couper le gâteau par une droite passant par les centres des deux rectangles.

Le centre d’un rectangle est l’intersection des diagonales, très facile à trouver avec un crayon et une règle (mais je vous concède que ce n’est pas forcément du gâteau quand on n’a qu’un couteau sur soi).

N’importe quelle droite passant par le centre d’un rectangle le partage en deux moitiés égales, donc la droite (en rouge) qui passe par ces deux centres coupe les deux rectangles en deux moitiés égales. Ya plus qu’à se servir!


Source: G. Dhont, B Zhilinskii: Symétrie dans la nature (édition PUG)






samedi 14 janvier 2012

La fièvre de l'ordre

La chaleur est considérée par les physiciens comme l’énergie la moins noble, celle qui est le plus dégradée. La thermodynamique a même érigé ce bonnet d’âne en principe en affirmant qu’il est toujours plus facile de convertir n’importe quelle autre énergie (électrique, mécanique, chimique…) en chaleur que l’inverse: essayer donc de faire avancer votre vélo en refroidissant ses patins de freinage, pour voir… Le chaud semble donc aller de pair avec le désordre et les métamorphoses de la matière quand elle change de de phase dans la matière vont toujours dans cette direction: les états les plus ordonnés ne prennent corps que si la température est suffisamment basse: l’eau cristallise uniquement à moins de 0° (sous pression atmosphérique), la super-conductivité ne s’observe qu’à des températures très basses et les aimants ne possèdent leur propriété magnétique qu’en dessous d’une température critique. Même en cosmologie, les différentes forces (gravité, force électro-faible et électromagnétique, force nucléaire forte) n’ont vu le jour qu’à mesure que l’univers se refroidissait. Pourtant, on a vu dans le billet précédent que la convection thermique, aussi désorganisée soit-elle, est à l’origine du ballet bien réglé des geysers dans les zones volcaniques. Je vous propose donc de poursuivre cette réhabilitation de l’énergie thermique et d’explorer quelques drôles de phénomènes où l’ordre émerge spontanément du chaud et non pas du froid…

Comment refroidit votre bol de soupe?

Sans remettre en cause le deuxième principe de thermodynamique, il peut arriver que de la chaleur se transforme spontanément en mouvements plus ou moins cohérents. Pour le comprendre il faut que je vous parle un peu de convection. Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi votre soupe refroidit plus vite qu’un bol de purée? Dans les deux cas, la chaleur se dissipe à travers les parois du bol et au contact de l’air ambiant, par conduction thermique. Mais la soupe a un joker: contrairement à la purée plus ou moins solide, le liquide s’agite dans votre bol quand il est chaud. La soupe du fond, plus chaude donc moins dense a tendance à remonter. Arrivée en surface, elle refroidit (par conduction), devient moins dense et coule à nouveau, entraînée par son propre poids. Visualiser ça dans la soupe n’est pas facile, par contre on peut se rendre compte du phénomène en laissant fondre un glaçon d’eau teintée dans un récipient d’eau et en regardant diffuser le même liquide teinté, mais chauffé cette fois à partir du récipient:


Plus la différence de température -le gradient- entre le fond et la surface  est grande, plus ces mouvements de convection sont intenses. C’est pour cela qu’on refroidit très vite sa soupe en soufflant dessus: non seulement on refroidit le liquide en surface (parce qu’on chasse la couche d’air chaud qui stagne au-dessus), mais en plus on accroît le gradient de température ce qui amplifie le phénomène de convection. Double effet kiss-cool!

A force de mélanges, la température finit par s’homogénéiser entre le fond et la surface. Lorsque le gradient de température devient trop faible, les flux de convection se heurtent à la viscosité du milieu et disparaissent. Le refroidissement ralentit car il n’a plus que la conduction thermique comme moteur. Par contre si votre soupe est sur le feu, le réchauffement permanent du fond de la casserole entretient les mouvements cycliques dans le liquide:


Mouais vous allez me dire que dans la vraie vie ces flux n’ont rien de très organisé. Où elle est l’auto-organisation là-dedans? Hors sujet Xochipilli? Remboursez! Un peu de patience, ami lecteur, j’arrive…

Les cellules de Bénard

En 1900, le physicien Henri Bénard fit une drôle de découverte en faisant justement chauffer une fine couche d’huile dans une casserole. Le liquide en surface formait comme des  « cellules » de formes régulières plus ou moins hexagonales:

Que se passe-t-il? Lorsque la couche de fluide est suffisamment fine et la différence de température suffisamment grande, les flux de convection s’organisent en petits rouleaux contigus et verticaux, au sein desquels le liquide circule de haut en bas soit dans un sens soit dans l’autre.

(source Wikipedia)

Il y a du monde en surface donc chaque cylindre tend à y occuper le maximum d’espace. Et quand on comprime des cylindres les uns contre les autres, ils se déforment en hexagones comme le font les alvéoles de cire des nids d’abeille (voir ce billet à ce sujet). Le même phénomène peut se produire avec de la lave affleurant à la surface du sol, comme ce qu’on observe sur la chaussée des géants, en Irlande:


La chaussée des Géants en Irlande (source Wikipedia)

C’est y pas de l’auto-organisation ça? On retrouve toujours les trois caractéristiques de l’auto-organisation, dont on a parlé dans le dernier billet: un apport permanent d’énergie (ici la chaleur), un phénomène auto-amplifié (la convection) et un feedback négatif (la gravité, combiné à la conduction et la viscosité). Mais il y a deux trucs intéressants en plus.

D’abord, le système combine stabilité et imprédictibilité: les cellules qui se forment restent stables malgré les perturbations du système mais en revanche il est impossible de prédire si tel rouleau circulera plutôt dans un sens ou plutôt dans l’autre. Exactement comme il était impossible de prédire si tel récipient de la génératrice de Kelvin serait chargée positivement ou négativement. Les systèmes auto-organisés sont de parfaits compagnons de jeu: à la fois très fiables et en même temps un peu imprévisibles.

L’autre propriété fascinante est que pour une couche de liquide donnée, les cellules de convection n’apparaissent que dans une fourchette bien précise de gradients de températures. Lorsqu’on fait varier la température, la forme des cellules de convection peut changer brusquement (c’est ce qui rend leur mise en évidence difficile dans la vraie vie où la température n’est jamais parfaitement contrôlée). Les cellules peuvent se transformer en rouleaux parallèles ou même en spirales, comme des chercheurs l’ont mis en évidence dans les années 1990. Voilà ce que ça donne sur les simulations numériques:

 

C’est le propre des systèmes auto-organisés que de bifurquer brusquement lorsque certains paramètres franchissent des seuils critiques (comme la température d’ébullition ou de gel de l’eau par exemple). Et puis au-delà d’un ultime seuil, le système vire au chaos. Celui-ci porte bien son nom en général, mais il y a des exceptions là aussi. La plus célèbre se trouve même sous nos pieds!

Le magnétisme terrestre

De tous les phénomènes naturels, l’existence du champ magnétique terrestre est sans doute celui qui est le plus connu et le moins bien compris. On s’est longtemps imaginé qu’il était causé par l’aimantation des minerais à l’intérieur de la Terre. Et l’orientation Nord-Sud du champ magnétique semblait naturellement s’expliquer par la rotation de la Terre sur elle-même. Cette explication simple s’est effondrée lorsqu’on a découvert qu’il règne des températures très élevées au coeur de notre planète. A de telles températures (plusieurs milliers de degrés), tous les matériaux ont perdu toutes propriétés magnétiques.

L’intérieur de la Terre et son champ magnétique

Heureusement on sait comment fabriquer un champ magnétique même si l’on n’a pas d’aimant sous la main: il suffit de faire circuler un courant électrique dans un conducteur:

Bon, il ne reste plus qu’à produire un courant électrique. Simple: il suffit de déplacer un conducteur dans un champ magnétique, ou comme sur la dynamo de votre ancien vélo, un aimant à proximité d’un fil conducteur:

Ca ne vous aura pas échappé, il y a un truc qui ne colle pas: pour créer un champ magnétique, il faut du courant qu’on doit créer… avec un champ magnétique: on tourne en rond! C’est pourtant l’idée étrange qu’avança Sir Joseph Larmor dès 1919 pour expliquer le champ magnétique solaire. Il suggérait que si le courant induit renforçait le champ magnétique lui ayant donné naissance, l’effet dynamo pouvait s’auto-amplifier à partir d’un infime champ magnétique initial. Son article concluait de façon prémonitoire qu’un tel argument pourrait s’appliquer au champ magnétique terrestre, si l’on supposait que le noyau terrestre se présentait sous forme d’un conducteur liquide, ce qu’on ignorait à l’époque. Quelques années plus tard, on réalisa l’astucieux montage d’une telle dynamo auto-amplificatrice:

Si à la place du disque métallique qui tourne, vous imaginez du magma en mouvement, vous avez un joli modèle explicatif. Il suffit de supposer que le champ magnétique terrestre a pu germer à partir d’un tout petit champ provenant du reste du système solaire. En réalité, ça n’est pas si simple car le magnétisme fossile des roches montre que l’axe de notre champ magnétique s’est inversé plusieurs fois au cours de l’histoire de la Terre (dernière inversion il y a 300 000 ans paraît-il).  Qu’à cela ne tienne, un montage un peu plus complexe, mettant en oeuvre non pas une mais deux dynamos s’auto-excitant l’une l’autre, rend bien compte de ces effets d’inversion. Je vous présente la dynamo de Rikitake (cliquez pour agrandir):On retrouve dans ce montage tous les ingrédients des phénomène d’auto-organisation:
– la source d’énergie est ici l’énergie fournie pour faire tourner les disques;
– l’intensité du champ magnétique induit est auto-amplifiée;
– on a peu parlé jusqu’ici du feedback négatif qui limite l’intensité du champ magnétique. Il s’agit de la résistance électrique du montage et des forces de Laplace, qui s’opposent à l’augmentation du champ magnétique.

Coup d’Etat sur le second principe!

L’analogie est plus difficile à visualiser avec le magma terrestre, mais tant les simulations numériques que les expérimentations en laboratoire confirment la pertinence de ces modèles.

Même si on est encore très loin de tout bien comprendre à cause de la complexité des équations, une chose est sûre: le champ magnétique ne se maintient qu’à condition d’entretenir une rotation très rapide du système. Or la rotation de la Terre sur elle-même est trop faible pour agiter le magma avec une énergie suffisante. Tout le système repose donc sur la vigueur des flux de convection du magma qui dissipent la chaleur du noyau vers les couches extérieures du manteau terrestre. Ces flux de convection sont eux-mêmes entretenus par d’intenses réactions thermiques dans le noyau. L’énergie thermique joue donc un rôle absolument clé dans toute cette histoire et c’est drôle parce que c’est précisément elle qui empêche l’aimantation des métaux! Autrement dit la chaleur crée par chaos un champ magnétique qu’elle met d’habitude KO dans les aimants.

La plupart des étoiles et des planètes « vivantes » possèdent un champ magnétique propre. Peu de phénomènes sont donc à la fois aussi universels et aussi difficiles à modéliser dans le détail. Même si à notre échelle le champ magnétique terrestre semble très stable, son évolution est totalement imprévisible à l’échelle de quelques millions d’année, à cause de la non-linéarité des équations. Encore ce mélange typique de fiabilité et d’imprévisibilité!

Pour faire écho à un billet précédent, je ne suis pas sûr que Galilée se serait si facilement convaincu que les mathématiques sont le langage de la Nature si les lois de la gravité avait été aussi compliquées. Le triomphe de notre vision scientifique du monde tient à peu de choses…

Pour aller plus loin:

Sur les cellules de convection:
L’article de Wikipedia sur le sujet
L’article de Gunton et Xi sur les formes étranges qu’elle revêtent

Sur le magnétisme terrestre:
Le site de David Sterne et celui de Luxorion qui traitent très bien le sujet
Cet article publié par le CNRS.

dimanche 1 janvier 2012

Aussitôt oscille-l'eau

 La fontaine de Fontestorbes (source Wikipedia)

Laissez osciller librement un pendule et il finit par s’arrêter à son point le plus bas. Lâchez une goutte d’encre dans un verre d’eau et elle disparaît très vite en se diffusant. Les lois de la physique semblent être un hymne à la paresse: principe de moindre action, minimisation de l’énergie, dissipation spontanée des structures… au point que dans le langage courant, l’inanimé désigne aussi bien le « non vivant » (anima signifie « l’âme » en latin) que ce qui est immobile. Il existe pourtant de nombreux cas où le monde de l’inerte n’a pas grand chose à envier au vivant en matière de vitalisme. Je vous propose une série de billets consacrées aux propriétés inattendues qui caractérisent ces phénomènes d’auto-organisation. Comme ces propriétés ne coulent pas toutes de source, on commence aujourd’hui avec trois oscillations nées de l’eau qui s’écoule…


Le vase de Tantale
Dans la mythologie grecque, le roi Tantale fut condamné par les Dieux à de terribles supplices (il faut dire qu’il voulait leur servir son propre fils en rôti pour voir s’ils s’en apercevraient…). L’un de ces supplices consistait à l’assoiffer en abaissant le cours d’une rivière chaque fois que Tantale s’y penchait pour se désaltérer. Si vous voulez jouer à Zeus dans votre salle de bains, vous pouvez fabriquer vous aussi un « vase de Tantale », dont le niveau monte et descend quand on tente de le remplir au  robinet. Idéal pour rester sobre en période de réveillon!

Mon vase de Tantale à moi était un ancien flacon de liquide dentaire. Pas très grec dans l’esprit mais bien pratique pour fixer un petit tuyau sur son ouverture…

En Ariège où je vais souvent en vacances, la fontaine de Fonterstorbes s’écoule par intermittences régulières grâce à ce principe et fonctionne comme une véritable horloge à eau naturelle:

(Source: lieux-insolites.fr)

Mais il faut reconnaître que le phénomène est rare. Très rare même… Je vous ai parlé de mes succès pour en fabriquer un, mais je ne vous ai rien dit de mes difficultés pour y arriver! La plupart du temps, le siphon du flacon ne s’amorce (ou ne se désamorce) que partiellement. Lorsque le niveau d’eau atteint un des deux seuils critiques, des bulles d’air se glissent souvent dans le tuyau et en réduisent le débit. Il s’établit alors un équilibre entre le débit de remplissage et le débit (réduit) de vidange ce qui stabilise le niveau d’eau dans le flacon, soit à son maximum soit à son minimum. C’est d’autant plus agaçant qu’on ne parle nulle part de ce problème. Dans cette vidéo des Petits Débrouillards par exemple, ils vous fabriquent un vase de Tantale les doigts dans le nez!

Cette difficulté m’a donné à réfléchir sur la fragilité du mécanisme de cet oscillateur. Mais avant de vous livrer le fruit de mes cogitations, je vous propose une deuxième illustration d’oscillations aquatique spontanée encore plus spectaculaire: les geysers!

Comment fonctionne Old Faithfull
On trouve des geysers surtout dans des zones volcaniques ou sismiques, en Islande par exemple ou dans le parc américain de Yellowstone. Très périodiquement des giclées d’eau et de vapeur brûlantes en jaillissent brusquement et peuvent monter jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de hauteur.

Le principe d’un geyser est étonnamment simple: il est toujours constitué d’un réservoir très profond relié à la surface par une longue colonne fine. Le réservoir est alimenté en eau par de nombreuses fissures dans la roche et se trouve en contact avec une forte source de chaleur (on est en zone volcanique, souvenez-vous).


– La température de l’eau monte dans le réservoir mais la pression de la colonne d’eau l’empêche de bouillir (sous pression l’eau bout à des températures bien plus élevées que 100°C).
– L’eau chaude, en état de surfusion, tend à monter dans la colonne, comme le lait qui monte dans la casserole. A mesure qu’elle s’élève, la pression qu’elle subit diminue jusqu’à ce que qu’elle atteigne son point d’ébullition dans la colonne.
– Les bulles créées par l’ébullition gonflent en remontant vers la surface et poussent le haut de la colonne d’eau.
– Le phénomène s’emballe: une partie de l’eau de la colonne étant chassée, la pression diminue dans le réservoir faisant bouillir l’eau de plus en plus bas dans la colonne. Toutes ces bulles remontent et expulsent brutalement l’eau qui s’y trouve. Une bonne partie de l’eau du réservoir s’échappe ainsi dans les airs sous forme d’eau et de vapeur brûlante.
– Le réservoir s’étant vidé de la sorte, il met du temps à se remplir d’eau par les fissures du terrain. L’eau se réchauffe progressivement et le cycle recommence… Une vidéo explique ça mieux que mes mots (mais en anglais):


Maintenant que vous êtes devenus incollables sur les geysers, vous pouvez retrouver les analogies avec le mécanisme du vase de Tantale:
– Dans les deux cas il y a un apport permanent d’énergie: remplissage du réservoir et chauffage dans le cas du geyser. C’est grâce à cette énergie que le système ne revient jamais à un régime d’équilibre stable.
– A chaque fois, la dynamique du système aboutit à sa réinitialisation: le siphonnage s’arrête dès qu’il a vidé le réservoir; la surpression du réservoir se résorbe une fois qu’elle a chassé toute l’eau de la colonne montante. Le cycle peut alors recommencer grâce à l’apport d’énergie.

L’explosion stabilise…
Il y a pourtant une différence importante entre les deux phénomènes, à part que l’un est froid et l’autre chaud: dans le cas du geyser il y a auto-emballement de la poussée d’Archimède (les bulles qui gonflent en montant, chassent l’eau et la colonne et diminuent la pression en dessous) dont on ne trouve pas d’équivalent dans le vase de Tantale. La vidange n’a rien d’auto-amplifiée, au contraire: à mesure que le niveau du flacon descend, la vidange ralentit jusqu’à s’arrêter. C’est, je crois, ce qui explique qu’il soit si délicat de fabriquer un « bon » vase de Tantale et que l’on trouve si peu de fontaines intermittentes dans le monde alors que les zones volcaniques sont truffées de geysers. L’auto-amplification rend le mécanisme du geyser particulièrement robuste (quoique je n’ai pas risqué d’incendier ma salle de bain en essayant de me faire mon geyser perso) et l’empêche de trouver un régime permanent équilibrant les forces en présence.

D’habitude un mécanisme est d’autant plus stable que ses paramètres évoluent doucement, linéairement. Bizarrement, ici c’est l’explosivité du phénomène, sa capacité à s’auto-emballer qui assure la répétition du phénomène et sa pérennité dans le temps. Un peu comme si une voiture roulait toute seule en alternant brusquement accélérations et freinages. Aussi bizarre que ça puisse paraître il ne s’agit pas d’un cas isolé, loin de là. Dans un précédent billet je vous ai décrit une troisième forme d’oscillation spontanée créée par de l’eau qui coule: dans la génératrice de Kelvin ce sont cette fois les charges électrostatiques des récipients qui oscillent


Si vous regardez bien son principe (que j’ai détaillé dans le billet), vous retrouverez les mêmes trois propriétés caractéristiques du geyser:
– une source d’énergie qui alimente le phénomène en permanence: la gravité qui attire l’eau vers le bas;
– un phénomène à « feedback négatif »: l’augmentation de la charge électrostatique des réceptacles finit par créer une étincelle qui décharge le dispositif;
– la fameuse auto-amplification: plus les réceptacles sont chargés, plus les ions positifs et négatifs sont attirés sélectivement vers les bons réceptacles, ce qui accentue la différence de charge.

Allez, un dernier exemple que je viens de découvrir et qui m’épate, tant pis si ça n’a rien à voir avec l’eau qui coule: pourquoi le vent fait-il claquer les pages du magazine que vous avez laissé ouvert à côté de vous pendant votre sieste dominicale au grand air? C’est ce que Pedro Reis, chercheur au MIT a cherché à comprendre et qu’il explique dans cette vidéo:

Votre œil désormais exercé repèrera facilement les mêmes ingrédients habituels: le vent (source d’énergie permanente), la pression latérale qui lève chaque page l’une après l’autre et la pousse (de plus en plus fort à mesure qu’elle offre une plus grande surface portante) jusqu’à la verticale: voilà notre fameuse force auto-renforçante. Et enfin la gravité dans le rôle du feedback négatif, qui au bout d’un moment fait fléchir le paquet de pages soulevées sous son propre poids et referme le magazine. Evidemment ça ne marche pas avec un Kindle…

Ces trois propriétés sont une recette pratiquement universelle des mécanismes auto-organisés, mais ce ne sont pas les seules comme on le verra dans un prochain billet…

Billets connexes:
Comment fonctionne la génératrice de Kelvin
Essayez de repérer les mêmes trois propriétés dans le déclenchement des applaudissements!