mardi 19 février 2008

comment on lit...

Comment notre cerveau de primate est-il capable de lire alors qu'il n'a pas eu le temps pour s'adapter à cette activité récente (à peine 10 000 ans, une paille dans l'histoire de notre patrimoine génétique)? C'est l'une des questions auxquelles tente de répondre Stanislas Dehaene dans son passionnant livre "les neurones de la lecture" (on peut aussi suivre son cours au collège de France disponible en podcast).

Dehaene nous embarque dans l'étonnante exploration des mécanismes cérébraux de la lecture en exploitant toutes les techniques possibles, de l'imagerie cérébrale à la description des cas cliniques les plus incroyables.
Première surprise, on a découvert que pour lire, notre cerveau active systématiquement une zone très particulière, la zone occipito-temporale-gauche, spécialisée chez les primates dans la reconnaissance des objets, des visages et des formes en général. Sa sur-sollicitation pour la lecture est attestée dans tous les systèmes culturels étudiés et tiendrait à ses prédispositions très spécifiques. Elle est en effet capable de reconnaître des formes familières:
- quelle que soit leur taille,
- quelle que soit leur orientation jusqu'à quelques degrés d'inclinaison,
- quelle que soit leur localisation dans le champ visuel (mais avec une préférence pour la zone centrale).
Comme toutes les fonctions de l'hémisphère gauche, elle est en outre plus sensible au détail qu'à la perception globale, à l'analyse fine plutôt qu'à l'impression générale de ce qu'elle perçoit.

Toutes propriétés évidemment particulièrement intéressantes pour reconnaître des lettres et des combinaisons de lettres...
 En approfondissant le fonctionnement de cette zone, les chercheurs se sont rendus compte que tout comme les primates, nous sommes surtout sensibles à un nombre très limité de tracés élémentaires pour caractériser un objet visuel: formes en T, en Y, cercles, tracés parallèles ou perpendiculaires, boucles etc. C'est sur la base de ces petits indices visuels que l'on reconnaît un visage, une silhouette etc. Cette reconnaissance "réflexe" est probablement la cause de notre sensibilité aux illusions d'optiques, par exemple en associant mécaniquement la présence de signes visuels spécifiques (une forme de nez) à l'identification d'un visage, même si par ailleurs on "sait" qu'il n'y a aucun visage à voir (emprunté de l'excellent blog du complot des papillons):

Nos mécanismes de lecture sont donc le résultat d'un recyclage, d'une reconversion de ces zones douées pour la reconnaissance particulière de tracés caractéristiques.
L'un des résultats les plus extraordinaires de la recherche est que ce sont ces mêmes formes élémentaires que l'on retrouve systématiquement dans toutes les formes d'écriture humaine, de manière beaucoup plus fréquente que dans des tracés effectués au hasard par un ordinateur ou un enfant ne sachant pas lire. Ce ne serait donc pas le cerveau qui se serait adapté à l'écriture, mais l'écriture qui progressivement se serait adaptée aux formes les plus facilement reconnaissables par notre cerveau de primate. Pour aboutir à une espèce de trame universelle qui sous-tendrait tous les systèmes d'écriture du monde, une bien jolie idée en somme.

Apprendre à lire consiste donc à reconnaître parmi ces formes élémentaires, celles qui forment des lettres, puis reconnaître leurs combinaisons, d'abord de manière séquentielle, puis parallèle; à assimiler et utiliser la régularité statistique de leurs combinaisons pour lire de plus en plus rapidement; et enfin à combiner astucieusement plusieurs "voies de lecture" -reconnaissance visuelle, déchiffrage phonétique, interprétation lexicale des morphèmes, pour parvenir à une lecture fluide dont la vitesse est à peu près indépendante de la taille des mots usuels.

Mais apprendre à lire exige aussi de désapprendre certaines choses, en particulier l'identification comme semblable de formes symétriques par rapport à la verticale! Nous sommes en effet capables -et c'est heureux- de reconnaître un chat que l'on observe son profil gauche ou son profil droit. A noter que nous sommes beaucoup moins doués pour reconnaître le symétrique vertical d'un objet familier - un visage à l'envers par exemple comme celui-ci.
(Joli brin de fille sur la gauche? Retournez donc l'image, pour rire... Source ici)


Or la lecture est une discipline où l'asymétrie est de rigueur: on écrit de gauche à droite (en écriture latine) et l'on ne doit pas confondre "d" et "b", "q" et "p". Lorsqu'ils apprennent à écrire, les enfants éprouvent naturellement des difficultés à se "désymétriser" et il leur arrive fréquemment de tracer certaines lettres à l'envers, comme dans un miroir. On a montré que les difficultés de lecture de certains enfants dyslexiques pouvaient provenir d'une insuffisante latéralisation.

Diable, le génie des manuscrits inversés de Léonard de Vinci, serait-il le signe d'une "insuffisante latéralisation"?

lundi 18 février 2008

Histoires naturelles

L'ancêtre terrestre des baleines ressemblerait peut-être à ce drôle de chevrotain africain qui échappe à ses prédateurs en marchant sous l'eau...




Les animaux sauvages peuvent-ils éprouver de la compassion? C'est en tout cas ce que laisse supposer cette vidéo tournée en 1996 dans un zoo de Chicago. Un enfant, tombé dans la fosse aux gorilles et assommé par le choc, fut délicatement ramassé par une femelle gorille qui le ramena à la porte du gardien.






Un étonnant exemple de spéciation induit par des préférences comportementales évoqué dans un précédent post: selon sa région d'origine, la femelle paruline -un petit oiseau des forêts américaines- semble préférer tantôt les mâles à gorge très jaune, tantôt ceux à plumage très noir sur la tête.

Typiquement le genre de préférence locale qui peut entrainer une spéciation complète dans quelques années. Dans ces conditions, rien de très étonnant à apprendre dans le Monde du 13 février, que le génôme humain porte des traces de sélection naturelle récente: entre les gênes qui permettent de mieux résister à certaines maladies locales et ceux qui se traduisent par un attrait sexuel plus fort, on imagine assez bien que le génôme puisse évoluer fortement en moins de 60 000 ans, ce qui représente tout de même 2400 générations à peu près.



mardi 12 février 2008

Déficit commercial record: c'est grave docteur?


La presse économique ici et se lamente comme chaque année du "triste record" de notre déficit commercial (l'expression est du secrétaire d'Etat Hervé Novelli). "Chiffre cinglant", "déficit abyssal": il n'y a pas de mots assez durs pour stigmatiser notre perte de compétitivité dans l'économie mondiale.

Pour autant, un commerce extérieur déficitaire est-il une mauvaise nouvelle en soi? Posée comme ça la question paraît provocante tant nous sommes imprégnés de l'idée qu'un pays se gère en bon père de famille, c'est-à-dire en n'achetant pas plus qu'on a de ressources, c'est-à-dire en finançant ses importations avec ses exportations. Sinon c'est la banqueroute assurée.

Bon nombre d'économistes réfutent pourtant totalement l'idée qu'il serait malsain d'avoir une balance commerciale négative. Deux exemples intéressants:

- Si Neuilly décidait de devenir une VRAIE présipauté indépendante, imagine Alexandre Delaigue, elle aurait un déficit commercial majeur puisqu'il n'y a aucune entreprise à Neuilly mais que tous les Neuilléens (si, si vérifiez ) achètent des biens produits à l'extérieur de leur belle ville. Serait-ce grave? Pas vraiment, Neuilly continue d'être la ville la plus riche de France même si l'on n'y trouve aucune industrie. Qu'est-ce que cet exemple fictif nous enseigne?
Il nous rappelle qu'observer les statistiques des échanges de biens et services avec le reste du monde et en déduire quelque chose sur la santé économique du pays est un exercice dépourvu de signification. La balance des paiements d'un pays, en effet, dépend tout autant des échanges extérieurs que des entrées et sorties de revenus; un pays qui, au départ, reçoit massivement des revenus de l'extérieur aura toujours une balance commerciale déficitaire; surtout, ces arrivées de revenus sont ce qui crée la balance commerciale déficitaire, en faisant qu'il est moins rentable pour un entrepreneur de satisfaire les marchés étrangers plutôt que son marché local.
C'est la situation de nombreux petits pays, dont la politique fiscale garantit la richesse malgré une balance commerciale très déséquilibrée: Monaco, la Suisse, le Luxembourg... En France, nous attirons également quantité de revenus (par le tourisme, l'immobilier mais également l'investissement dans nos sociétés): notre balance commerciale déficitaire refléterait ainsi surtout la progression des investissements étrangers en France, plus forte que la croissance de nos exportations industrielles. En d'autres termes, ce déficit serait la simple conséquence de la mutation de notre économie en une économie de services, classiquement moins exportatrice, au détriment de l'industrie.

- Ce débat sur la balance commerciale est loin d'être neuf. Frédéric Basquiat économiste du milieu du XIXe en avait déjà fait l'un de ses chevaux de bataille dans sa guerre contre les sophismes économiques, même s'il reconnaît lui-même que "combattre la balance du commerce (...) c'est combattre un moulin à vent". Et de comparer scrupuleusement la comptabilité des douanes avec celle d'un marchand exportateur d'articles de Paris.

Le marchand déclare aux Douanes une expédition d'une valeur de 200 000 € de biens pour les Etats-Unis. Arrivé à destination, il la vend 320 000 € soit un bénéfice de 40 000 € une fois déduits les frais du voyage. Notre bonhomme en profite pour acheter du coton qu'il rapporte au Havre. Là il déclare aux Douanes la valeur de sa nouvelle cargaison, soit 352 000 € compte tenu des frais de transport. Enfin, notre marchand revend sa cargaison à 422 400 € réalisant de nouveau 70 400 € de profit.

Au total il aura réalisé un profit de 40 000 + 70 400 = 110 400 €
De son côté les Douanes auront consigné que la France a exporté 200 000 € et qu'elle a importé 350 000 €, permettant aux députés de conclure « qu'elle a dépensé et dissipé les profits de ses économies antérieures, qu'elle s'est appauvrie, qu'elle a marché vers sa ruine, qu'elle a donné à l'étranger 452 000 € de son capital. »


A l'inverse si ce marchand avait coulé en pleine mer, les Douanes auraient simplement consigné une exportation nette de 200 000 €, tandis que le malheureux marchand aurait passé cette somme par pertes et profits.

Et Basquiat de conclure:
Il y a encore cette conséquence à tirer de là, c'est que, selon la théorie de la balance du commerce, la France a un moyen tout simple de doubler à chaque instant ses capitaux. Il suffit pour cela qu'après les avoir fait passer par la douane, elle les jette à la mer. En ce cas, les exportations seront égales au montant de ses capitaux; les importations seront nulles et même impossibles, et nous gagnerons tout ce que l'Océan aura englouti.

Ces arguments vous laissent perplexes? Je vous recommande cet article de Paul Krugman qui démonte point par point les mythes de la balance commerciale et du risque de déclin global qu'il véhicule. En somme, ce que prouverait ce nouveau déficit record, serait simplement l'accélération de la mutation de notre économie vers des industries de service, moins exportatrices mais finalement tout aussi créatrices de richesses et d'emplois. Je ne sais pas où est la faille dans le raisonnement, mais le point de vue a le mérite d'être vivifiant...


Références
Paul Krugman, Pop Internationalism
Jean Paul Fitoussi, Le déficit commercial de la France n'a pas d'importance du 12/02/2008 (Libération)
Alexandre Delaigue, l'hystérie du déficit commercial français
Frédéric Basquiat, Chapitre VI de la première série des Sophismes économique, 1845







mercredi 6 février 2008

Culture et nature: le retour de Lamarck

Parmi les éléments qui distinguent l'homme de l'animal, on songe spontanément à la conscience de soi, le sens du ridicule, la pudeur, l'empathie ou la culture. Comprise comme la capacité à transmettre un comportement ou une connaissance nouvelle de génération en génération, la culture est probablement l'une de nos plus grandes fiertés, puisque c'est grâce à elle qu'on doit nos civilisations, notre compréhension du monde etc. Pourtant, il fait de moins en moins de doutes que culture et animalité fassent très bon ménage chez nos amis les bêtes. Au point de secouer le dogme du tout-génétique de l'évolution.


Les observations abondent dans le domaine du comportement acquis: ainsi certains groupes de macaques japonais ont-ils pris l'habitude de laver leurs patates dans l'eau de mer. Les femelles Vervet trempent des cosses d'acacia dans l'eau pour les amollir. Dans les deux cas, les chercheurs ont observé la lente propagation du comportement nouveau dans le groupe.

L'usage des outils n'est pas non plus l'apanage des primates humains: les chimpanzés de la forêt Taï en Côte d'Ivoire apprennent de génération en génération à ouvrir des noix en utilisant des pierres comme marteaux: les mères enseignent à leurs rejetons à choisir les bonnes formes de pierre et à les utiliser correctement. En Tanzanie, ils savent sonder les termitières avec des bâtons pour attraper des termites bien croustillantes.

De manière plus subtile, les chimpanzés adoptent collectivement certaines postures originales: mains tendus au-dessus de la tête pendant le toilettage de certains groupes des Montagne Mahale en Tanzanie, ou bien épouillage main dans la main pour d'autres populations en Afrique de l'Est qui pourraient être des signes sociaux d'amitié dans ces groupes. Ainsi les singes capucins s'essuient-ils les yeux mutuellement, peut-être pour évaluer mutuellement leur niveau de confiance réciproque. A chaque fois, ces comportements apparaissent dans certaines populations sauvages mais pas dans d'autres pourtant toutes proches.

Les chercheurs ont montré en 2005 que face à une difficulté, les animaux d'un groupe préféraient copier le savoir-faire d'un des leurs plutôt que d'essayer de trouver par eux-mêmes une solution. Les singes imiteraient donc les singes. Ces acquis rudimentaires sont ensuite transmis par les femelles à leurs petits.

Mais la culture ne se limite pas aux primates: on a découvert en 2005 que certains dauphins "enfilaient" des éponges de mer comme des gants pour se protéger le museau lorsqu'ils fouillent les fonds marins. Là encore, les dauphins pratiquant ce drôle de rituel se sont avérées être des femelles étroitement apparentées et côtoient des groupes de dauphins qui ne le pratiquent pas.

Les rats dont nous fêtons aujourd'hui l'année en Chine, ont bien inventé le système des "goûteurs" bien avant Jules César: face à un aliment inconnu, un rat renifle l'haleine de ceux qui en ont goûté, avant de décider qu'il peut sans risque en consommer lui aussi.

Même dans le domaine des préférences sexuelles, le règne du tout-génétique semble avoir vécu. Alors que dans une espèce de poisson, les femelles préféraient les mâles les plus grands, Etienne Danchin a montré que l'on pouvait changer ces préférences par mimétisme. En montrant à des femelles un petit mâle courtiser avec succès une autre femelle, on a constaté que celles-ci préféraient ensuite ce mâle-là, plutôt qu’un autre mâle plus grand mais isolé. De manière général, il montre que les animaux imitent spontanément les comportements de leurs congénères jugés les plus performants que ce soit pour chercher leur nourriture, pour fuir le danger ou pour choisir un partenaire sexuel. Une modification collective des préférences sexuelles ou des comportements, déclenchée par exemple par un changement de l'environnement, peut ainsi être enclenché et entretenu par contagion mimétique, puis transmis de génération en génération.

A long terme, lorsque plusieurs groupes d'une même espèce présentent des variations culturelles fortes, celles-ci peuvent finir par se traduire au plan génétique (du fait de la modification des critères de choix de ses partenaires sexuels par exemple) : la culture devient un moyen comme un autre de transmettre de la variation génétique, transmise de génération en génération. Lamarck is back!

Au passage soulignons que le désir mimétique -si bien décrit par René Girard comme source culturelle de toute société humaine, trouve ici une extension extraordinaire dans le monde animal.




Références:
From nosy neighbours to cultural evolution. Danchin étienne1, Giraldeau Luc-Alain2, Valone Thomas J.3, and Wagner Richard H4. Science 23 juillet 2004.
Culture et traditions chez les singe - Klaus Wilhelm. Cerveau et Psycho Novembre 2007.
L'aventure humaine - des molécules à la culture. Boyd & Silk. 2004.

samedi 2 février 2008

La décroissance peut-elle être durable?


Le rapport Attali suscite les critiques d'à peu près tout le monde, ce qui était prévisible tant le dénigrement est notre sport national préféré. Il faut dire qu'Attali en rajoute dans son côté arrogant et donneur de leçon (cf. son chat sur le Monde). Et puis difficile d'être populaire avec un rapport qui se réclame d'un libéralisme même modéré, dans un pays où le mot est une insulte au bon sens (cf. mon billet).

Mais au fait, pourquoi une initiative pour la croissance, alors que l'on constate tous les jours les méfaits de celle-ci : pollution, changements climatiques, accroissement des inégalités, fractures sociales et finalement désintégration des sociétés postmodernes? Alors que l'économie épuise les ressources naturelles limitées de notre planète, pourquoi croître plus vite? Pour liquider en 30 ans au lieu de 50 nos réserves de carburants fossiles? Pour éradiquer en un siècle au lieu de deux ce qui reste de forêts sur Terre?

La contestation du bien-fondé de cette course à la croissance prend de l'ampleur d'abord avec la notion de développement durable, puis celle de décroissance durable, développée par Nicholas Georgescu-Roegen, où la croissance du bien-être remplacerait avantageusement celle de la production et de la consommation. Où un frugalité volontaire permettrait de diminuer la consommation de matières premières. Où des échanges de services gratuits prendraient le relais d'institutions défaillantes. Et où la performance d'un pays se mesurerait non seulement à son dynamisme économique mais aussi à la santé de ses habitants, la qualité de son environnement, le respect de sa culture etc. Bref une société où le Bonheur National Brut - ou encore l'IDH indice de développement humain comme le suggère Eric sur son blog - remplacerait avantageusement le PIB. Enthousiasmant, non?

Malheureusement je crains que cette belle idée ne soit un miroir aux alouettes pour trois raisons.
D'abord la croissance n'est certes pas suffisante pour diminuer la pauvreté, la précarité et les égalités, c'est évident. Mais elle n'en reste pas moins une condition nécessaire. Le chômage par exemple, ne régresse que si des emplois se créent, et il faut bien que ces emplois soient financés d'une manière ou d'une autre, soit par le secteur privé (donc la consommation), soit par le public. Comme les largesses de l'Etat dépendent de la vigueur de son secteur privé on est revenu à la case départ: pas de travail sans croissance.

Par ailleurs, la croissance de l'économie finance le socle même des services publics. Les instituteurs, policiers, juges, cantonniers, pompiers etc. ne se paient pas de bonheur national brut. Et l'on ne peut fournir d'aides aux plus pauvres que s'il y a des plus riches pour y contribuer. Pas de redistribution sans richesse. Le troc entre citoyens volontaires ne contribue pas à la solidarité publique au-delà de son strict périmètre. La sortie de l'"économicisation" vantée par les tenants d'une décroissance responsable, représente certes une généreuse voie de secours à des situations individuelles, mais ne constitue pas une alternative à la solidarité institutionnelle.

Enfin pour trouver des moyens de ne pas épuiser les ressources de notre planète, la frugalité-des-occidentaux-devenus-miraculeusement-sages ne suffira pas. Les innovations technologiques liées aux énergies renouvelables permettront-elles à la fois d'assurer un minimum de bien-être pour tous et la préservation des ressources rares (eau, matières premières, écosystème...)? Nul ne le sait et l'on peut en douter. Par contre, il me semble à peu près certain que sans innovation technologique on n'aura ni l'un ni l'autre. Pas de développement de la planète sans innovation. Pas d'innovation sans argent. Pas d'argent sans croissance.

La croissance ne garantit pas d'être soutenable, au contraire. Par contre je suis convaincu que la décroissance garantit de ne pas l'être. Durablement.

Références:
La Face cachée de la décroissance,
Cyril Di Méo, L’Harmattan