jeudi 13 décembre 2007

Supplément de bagages


Un humoriste (était-ce Guy Montagné, dont la Kolossale finesse sévissait dans les Collaroshow de notre enfance?) proposait dans les années 80 une recette infaillible pour éviter de se retrouver avec un terroriste dans son avion quand on part en vacances: il peut à la rigueur y avoir une bombe dans l'avion, mais deux ça ne s'est jamais vu. Donc pour être tranquille, il suffit d'emporter sa propre bombinette avec soi dans l'avion. Pratique!

Evidemment, le raisonnement est absurde... mais pourquoi au fait?

La probabilité qu'il y ait deux bombes dans l'avion est (historiquement) nulle, certes. Mais la probabilité qu'il y ait un terroriste ou pas dans mon avion (avec sa bombe) est indépendante de ma décision d'emporter une bombe. Autrement dit, apporter ma bombe n'annule pas la probabilité qu'il y en ait une autre.

Par contre la probabilité d'avoir des ennuis avec la police de l'air augmente très fortement. Sans compter le supplément de bagage à payer, pas négligeable en ces temps de morosité du pouvoir d'achat...

lundi 10 décembre 2007

Psychologie de l'agacement



Dans son livre "Agacements", Jean-Claude Kaufmann dissèque le phénomène dans l'intimité d'un couple, une fois dissipée la phase d'amour extatique où l'on trouve les petites manies de l'autre "charmantes".

J'en retiens deux mécanismes: le premier, plutôt social (le social commence à deux), est le choc de ces deux micro-cultures sous un même toit. L'amour se rêve dans la fusion des corps et des âmes et s'idéalise dans l'harmonie parfaite des goûts et des comportements. Or la vie à deux se révèle très vite être une "machinerie à produire du contraste identitaire" où éclatent les différences dans les modes de vie au quotidien -que ce soit les chaussettes qui traînent ou la télévision constamment en marche. Ces dissonances deviennent rapidement irritantes tant elles contrastent avec l'idéal amoureux de l'accord parfait. Kaufmann voit dans cet agacement naissant "un indice que le processus d’unification s’est mis en branle". L'agacement comme une manière pour le couple de trouver son modus vivendi.

L'explication psychologique me semble plus intéressante. Nous accomplissons dans la routine quotidienne un grand nombre de gestes de manière mécanique, sans y réfléchir: attraper son bol pour le petit-déjeuner, se laver les dents en prenant sa brosse de la main gauche et le tube de dentifrice sur la tablette près du verre à dents etc. Ces automatismes sont très pratiques car ils déchargent l'esprit d'une concentration inutile et permettent de penser à autre chose, de se réveiller etc. Imaginez un instant une journée où chaque geste serait pensé, réfléchi, calculé: ce serait épuisant.

Lorsque l'un de ces automatismes se trouve contrarié - le bol qui n'est pas à sa place habituel dans le placard- l'esprit est contraint de se réveiller, de comprendre ce qui se passe et de trouver une solution - ouvrir l'autre porte du placard. Si c'est son conjoint qui est à l'origine de cette interruption de notre pilotage automatique, la surprise fait place à l'amusement puis à l'agacement lorsque la chose se répète. L'aspect systématique de ce réveil psychique irrite. D'autant que c'est l'être aimé -le traître! - qui en est la cause alors que l'on attend de lui support et amitié. Surtout si -traitrise des traitrises - il ne prête semaine après semaine, mois après mois, aucune attention à nos récriminations. Et si - à force - il s'agace lui-même de notre propre agacement, on a réuni les ingrédients d'un cocktail conjugal détonant.

Dans cette perspective, nos sources d'agacement intimes éclairent mieux qu'une psychanalyse, les gestes, les idées, les moments de notre quotidien pour lesquels nous sommes le plus confortablement installés "en mode automatique". Analyser ce qui nous agace le plus, c'est mettre le doigt sur nos valeurs les moins conscientes, les plus mécaniques, les moins explicables. Celles auxquelles nous ne pensons pas car elles vont de soi.
Elles nous renvoient ainsi au plus profond de notre construction psychique. Plus un comportement nous agace, plus il nous renseigne sur un aspect de notre inconscient...

Une dispute vaudrait-elle plus qu'une séance de psy?

samedi 8 décembre 2007

Le satyre et le Paysan




Un homme s'était, dit-on, lié d'amitié avec un satyre.
L'hiver étant venu, comme il faisait froid, l'homme portait les mains à sa bouche et soufflait dessus.
"Que fais-tu là ?", lui demanda le satyre.
"Je me réchauffe les mains, dit-il, car il fait froid."
Plus tard, ils passèrent à table.
Comme le plat qu'on lui avait servi était très chaud, l'homme y prélevait de petits morceaux et, les portant à sa bouche, il soufflait dessus.
Interrogé une nouvelle fois par le satyre, il expliqua qu'il refroidissait ainsi sa nourriture.
"Eh bien, lui dit le satyre, je renonce à ton amitié, car tu souffles de la même bouche et le chaud et le froid."
Nous aussi, gardons-nous de l'amitié de qui mène double jeu.


Observateur, ce satyre de la fable d'Esope, mais pas scientifique. Cherchons à comprendre à sa place pourquoi l'air que nous expirons semble plus frais soufflé bouche à demi-fermée que bouche ouverte.

Intuitivement on se dit que l'air est plus froid parce qu'il va plus vite. Avant de sortir de la bouche l'air était comprimé. En sortant il accélère et se détend et la décompresssion provoque son refroidissement, c'est le principe du réfrigérateur. On peut en faire l'expérience en utilisant n'importe quel aérosol, extincteur ou récipient sous pression. Par ailleurs, plus le filet d'air est mince, plus la surface exposée au contact de l'air ambiant est importante (elle croît avec le carré des dimensions du cône, donc moins vite que le volume du cône qui lui, croît avec le cube de ces mêmes dimensions).

Pourtant l'explication pourrait ne pas totalement satisfaire notre satyre fraîchement converti à la physique moderne car, objecterait-il, même lorsque la compression dans la bouche est très faible, l'air est toujours aussi frais. Y compris très près de la bouche, alors même qu'il n'a pas eu le temps de se refroidir au contact de l'air ambiant. Avez-vous essayé, nous glisserait-il d'un air malicieux, de souffler sur un thermomètre pour voir s'il marque une température plus basse? Car dans ce domaine, les sens des humains les trompent souvent, leur faisant accroire qu'un ventilateur rafraîchit alors qu'il ne fait que brasser de l'air chaud.

Le satyre a raison... et tort à la fois. Car la sensation de fraîcheur qu'apporte l'air brassé -même chaud- d'un ventilateur n'est pas uniquement le fruit de l'imagination. C'est le phénomène de "sensation thermique" qui s'explique par le renouvellement rapide de la couche d'air chaud et humide isolant notre peau de l'air ambiant. Ce remplacement continu de l'air se trouvant au contact de la peau facilite l'évaporation de la sueur, évaporation qui est notre principal mécanisme de refroidissement corporel (pour s'évaporer l'eau absorbe de l'énergie, donc produit, en quelque sorte, du froid).

Rien de psychologique là dedans, ami satyre.

Mais votre critique est très utile car c'est sans doute ce même mécanisme qui permet de refroidir efficacement -mais certes pas élégamment - sa soupe: en soufflant dessus, on chasse la couche d'air isolante et saturée en vapeur située juste au-dessus de la surface et l'on accélère son évaporation. Plus la vitesse de l'air est forte, plus le renouvellement est accéléré et le refroidissement rapide.

Un souffle fin rafraîchirait donc à la fois par sa température plus basse et par son effet sur l'évaporation. A l'inverse, lorsque l'on souffle bouche grande ouverte, l'air n'est ni détendu ni très rapide. Tout près de la bouche, il est encore très chaud, et dans le froid il réchauffe ainsi les mains efficacement. Notre satyre peut se réconcilier avec son ami humain.

Pour une température donnée, un liquide (ou un organisme) peut donc refroidir très vite en fonction du vent. Le phénomène est plus marqué à basse température, ce qui explique que l'on se préoccupe beaucoup de la vitesse du vent dans les régions nordiques. Selon Wikipedia l'effet sur le corps humain d'un vent de 50km/h à -20°, équivaut à une température extérieure de -35°! C'est très froid, même pour un satyre.

jeudi 6 décembre 2007

A quand la non-communication efficace?


C'était au siècle précédent, lorsque l'on réclamait un monde où l'on communiquerait facilement. Où l'on pourrait joindre n'importe qui, n'importe quand, n'importe où et par n'importe quel moyen, téléphone, fax ou -plus tard- email. Avec comme vision idyllique la fin de la course d'un rendez-vous à l'autre, le travail depuis chez soi, à la campagne ou même depuis son voilier, assistant par visio-conférence à une réunion se tenant à des milliers de kilomètres de là...

Et puis le rêve s'est réalisé. On court moins après les autres et l'on est joignable à peu près n'importe quand, pour le meilleur et pour le pire. Pendant que j'écris ce blog, je pense à une vidéo faite par Siemens pour l'illustrer et demande à un ami s'il peut me la retrouver et me l'envoyer: ce sera fait avant d'avoir fini mon post. Mais c'est une banalité que d'évoquer l'avalanche de sollicitations sous laquelle croûlent les cadres de nos sociétés modernes. Pas un compte-rendu sans son powerpoint de vingt pages, diffusé à tous étages de tous les services. La facilité de diffusion épargne à l'émetteur le choix des destinataires et la politesse de la synthèse. Les moindres discussions à deux prennent systématiquement la Terre entière à témoin ("pour qu'il y ait une trace", s'excuse-t-on dans les couloirs).

Eduqués dans le culte de la réactivité, nos cadres usent de leur mail comme d'une raquette de ping-pong et répondant du tac au tac, contribuant ainsi à l'entropie du système. Sans parler de ceux qui veulent toujours avoir le dernier mot. Connectés en permanence -c'est leur seule chance de ne pas faire exploser leur boîte aux lettres sous le volume des messages non lus, ils alimentent le système et ne trouvent plus le temps pour travailler le fond des dossiers. Inimaginable il y a cinq ans, l'usage du laptop en réunion est maintenant monnaie courante.

Word en fait les frais, trop formel et désormais réservé à des formulaires austères ou des lettres aux clients. Vive Powerpoint! Non pas pour illustrer visuellement d'un mot ou d'une image forte une présentation. Il est maintenant simplement la preuve écrite qu'on a rapidement réfléchi à un sujet et jeté quelques idées sur un support, sans souci de formalisme ni de synthèse. Ecrit souvent en globish , la langue de travail de toutes les multinationales, c'est LE document de travail par excellence, distribué et commenté en scéance puis diffusé au monde entier, alimentant d'interminables commentaires et corrections.

Face à cette avalanche de mails et de documents indigestes, nos cadres sont mal préparés, culpabilisés à l'idée de passer à côté d'une information importante glissée dans un de ces mails. D'autant que grâce à la diffusion tous azimuts, nul n'est censé ignorer quoi que ce soit, puisque c'est écrit. La question pour eux n'est plus de pouvoir communiquer que de trouver le temps de ne pas de le faire.

L'efficacité a changé de camp: la réactivité se fait parfois contre-productive. Et jamais le discernement n'a été aussi vital (entre ce qui est important et ce qui ne l'est pas). Après la promesse d'une communication instantanée et sans contrainte, le nouveau Graal ne serait-t-il pas une non-communication efficace?

dimanche 2 décembre 2007

Poils à gratter auditifs




En latin aujourd'hui se disait hodie (littéralement, hoc-die ce-jour) contracté en hui en vieux français (hoy en espagnol, hoje en portugais, oggi en italien...).

Aujourd'hui, littéralement au-jour-d'hui, est donc un pléonasme, puisqu'il s'agit déjà "du jour de ce jour-ci". Il faut reconnaître que ce hui sonne un peu court par rapport à l'importance du jour qu'il désigne.

L'expression "Au jour d'aujourd'hui" qu'on entend si souvent est donc un pléonasme au carré. Littéralement au-jour-du-jour de-ce-jour-ci. J'adore le ton sentencieux qui accompagne généralement cette expression et prédis que dans 500 ans, on inventera "au jour d'au-jour-d'aujourd'hui" (qu'on aura le droit d'écrire avec ou sans traits d'union). Toute l'histoire d'aujourd'hui est .

Dans le genre poil à gratter des oreilles, l'horripilant "la faute à Machin", qui s'incruste à longueur de revues de presse et d'éditoriaux... Un million d'occurences sur Google pour cette expression incorrecte (en prenant soin de retirer les références à Voltaire et Rousseau qui ne comptent pas) contre seulement 800 000 pour le très correct "la faute de" qui passerait presque pour une tournure maladroite.

Heureusement sur d'autres flancs, l'orthographe résiste vaillamment, avec "au temps pour moi", utilisé (j'imagine) à l'origine par l'officier faisant défiler la troupe, et dont le pas s'est malencontreusement décalé d'un temps.

Le site de l'académie française est très bien fait sur ces questions, où l'on apprend que le pluriel ne commence qu'à partir de deux et que "évènement" est correct alors que "événement" ne l'est plus. Décidément...