dimanche 26 septembre 2010

Pourquoi "free beats fee"

Si l'économie comportementale vous intéresse ou si tout simplement nos bizarreries de consommateur vous amusent, je vous recommande le bouquin de Dan Ariel C'est (vraiment) moi qui décide. Un pur bijou d'humour, des expérimentations rigolotes et surtout une bonne leçon d'humilité dès qu'il s'agit de comprendre notre comportement de consommateur. Juste prix, choix rationnels, décisions dans l'incertitude, éthique: toute notre prétendue rationalité économique y passe et on ressort de son bouquin avec la délicieuse sensation d'être quand même un peu plus intéressants que les modèles simplistes auxquels la théorie économique tente de nous réduire.

Etes-vous Lindt ou Hershey?

Le thème de la gratuité m'a semblé particulièrement intriguant. Ariely observe avec malice que le gratuit nous rend un peu fous: il n'y a qu'à voir la foule compacte devant les musées, chaque premier dimanche du mois où l'entrée est gratuite à Paris. Pour économiser quelques euros, les gens sont prêts à perdre beaucoup de temps (comme si celui-ci n'avait aucune valeur) pour visiter des expositions saturées de visiteurs, alors qu'il n'y avait sans doute pas grand monde la veille ou la semaine suivante. Et pas besoin d'être un as du marketing pour connaître la puissance de séduction des formules illimitées. Les cartes de cinéma ou les forfaits de l'internet (fixe ou mobile) n'ont véritablement décollé que lorsque furent proposés des forfaits illimités.
Ariely a imaginé l'expérience suivante pour vérifier la différence entre un prix ridiculement bas et la gratuité totale: sur un stand, il proposa au choix un chocolat haut de gamme (des Lindt) à 15 centimes ou un bas de gamme (un Hershey) pour 1 centime. 73% des consommateurs ont préféré payer le Lindt à 15 centimes. Le jour suivant, il proposa le Lindt à 14 centimes et le Hershey gratuit. Au grand étonnement des chercheurs, cette fois les gens choisirent à 69% un Hershey! Or une ristourne de 1 centime sur les deux produits ne devrait normalement pas changer l'analyse bénéfice - coût entre les deux options et devrait donc n'avoir aucune influence sur les choix des consommateurs:
Supposons qu'un Lindt apporte 50  unités de plaisir contre seulement 5 pour un Hershey.
Payer 15 centimes pour un Lindt procure un bénéfice net de 50-15=35 contre 5-1=4 pour un Hershey. Avantage Lindt.
Le lendemain, le Lindt procure un bénéfice net de 50-14=36, contre 5-0=5 pour un Lindt. Avantage inchangé pour Lindt!
La même expérience lorsqu'on passe les Hershey de 2 à 1 centimes n'a pas du tout le même effet. L'irrésistible attractivité de la gratuité met donc en échec le modèle classique de l'analyse bénéfice-coût. Ariely explique cet effet psychologique par l'absence de prise de risque que signifie la gratuité. "A mon sens, écrit-il, c'est parce que l'être humain a une peur intrinsèque de la perte. En choisissant un produit gratuit, on n'a visiblement rien à perdre. En revanche si l'on s'intéresse à un article payant, alors là, oui, on risque de prendre une mauvaise décision - et de se retrouver perdant. Par conséquent, face à un choix, on préférera le produit gratuit."

Et si tout était une question de ratio?

Il y a sans doute du vrai dans cette thèse, mais je pencherais personnellement pour une explication plus directe. Si l'analyse classique du bénéfice calculé comme différence entre valeur perçue et coût est prise en défaut, c'est peut-être tout simplement qu'elle n'est pas la bonne. Je soupçonne que nous raisonnons en termes de "retour sur investissement" (gain/dépense) plutôt qu'en "bénéfice net" (gain-dépense). De sorte que lorsque la dépense est nulle le rendement devient infini et nos critères de décision s'affolent! C'est pour ça qu'on reprend de la mousse au chocolat au Bistrot Romain jusqu'à s'en rendre malade. Tant qu'aucun coût caché ne réintroduit un dénominateur non nul, "Free beats Fee" et l'on préfère le gratuit à n'importe quoi d'autre.

Cette hypothèse du rapport gain/dépense comme critère de décision me plaît bien pour plusieurs raisons. D'abord, elle est cohérente avec d'autres observations paradoxales. Selon la théorie classique on consomme tout ce qui nous semble intéressant, dès que l'utilité excède le coût. Si c'était le cas, on n'observerait pas autant d'écart entre les intentions d'achat mesurées dans les études marketing et la les ventes réelles des produits une fois mis sur le marché. Mon hypothèse explique cet écart très facilement: on n'achète que lorsque le rapport bénéfice/dépense nous paraît suffisamment élevé, au-delà d'un seuil de décision qui peut varier en fonction de notre humeur, du contexte... et de l'état de nos finances. Le gap entre intérêt et décision d'achat est tout à fait explicable.

Cette explication est également en ligne avec l'aversion à la perte qu'évoque Ariely. La théorie classique prédit qu'il revient au même de dépenser 10 000 euros pour quelque chose qui en vaut 10 100, que de dépenser 100 pour un bien qui en vaut 200. On  voit bien que ce n'est pas du tout naturel. Si au contraire le passage à l'acte dépend du rapport gain/dépense, plus la dépense est élevée, plus le bénéfice doit être important pour se décider à acheter, ce qui est conforme à l'intuition.

Mon hypothèse expliquerait au passage le paradoxe de l'autoradio dont j'avais parlé dans ce billet: ça ne nous dérange pas d'aller à l'autre bout de la ville pour économiser 30 euros sur un autoradio qui en vaut 100, mais pas question de faire la même chose pour économiser 30 euros sur l'achat d'une voiture (avec autoradio) valant 30 000 euros. Le rendement du déplacement est de 30% dans le premier cas mais tombe à 30/30000=0,1% dans le second. Notre réaction instinctive est on ne peut plus rationnelle vue sous cet angle. Et 30 euros n'égalent pas 30 euros dans toutes les circonstances!

La loi de Weber-Xochipilli en économie

Le meilleur argument en faveur de mon hypothèse est qu'elle est cohérente avec le reste de notre système d'évaluation inné. On l'a vu dans ce billet, que ce soit pour la hauteur des sons, le volume sonore (les décibels), l'intensité lumineuse, le poids, la douleur, le plaisir, les durées, le nombre etc. on compare deux grandeurs en évaluant leur rapport et non pas en mesurant leur différence. Notre système physiologique n'est pas très sensible aux valeurs absolues (l'oreille musicale absolue est exceptionnelle). Conformément à la loi de Weber nous ne percevons que des valeurs relatives et n'estimons les grandeurs qu'en proportion les unes des autres. Aussi bizarre que ça puisse paraître, notre sens de la mesure est nativement "logarithmique". A l'inverse, la "soustraction" ne nous est pas naturelle. L'addition et la soustraction sont des inventions arithmétiques récentes, datant tout au plus de quelques milliers d'années, lorsque l'essor de l'agriculture imposa de compter précisément plutôt que d'estimer grossièrement les quantités. Supposer que le consommateur évalue ses préférences avec les mêmes outils cognitifs que le reste de ses sensations ne me paraît finalement pas déraisonnable du tout. Après tout Homo Economicus reste un Homo Sapiens!

Sources:

Dan Ariely C'est (vraiment?) moi qui décide (Flammarion 2008)

Billets connexes

Notre sens du logarithme sur notre curieuse sensibilité aux logarithmes des grandeurs et sur la loi de Weber
Les fantaisies de Homo Economicus 1 sur l'exemple de l'autoradio et pourquoi 30 euros ne valent pas toujours 30 euros
Les fantaisies de Homo Economicus 2 sur nos décisions ou nos perceptions irrationnelles par rapport aux événements passés ou futurs. Toutes nos bizarreries comportementales deviennent beaucoup plus simples à comprendre dès qu'on accepte l'idée qu'on perçoit les durées logarithmiquement...

dimanche 19 septembre 2010

Mondialisation et libre-échange ne sont pas des gros maux


J'ai un problème avec les rayons Économie de nos librairies. Ils sont monopolisés par les essais dénonçant l'horreur de la mondialisation et du néo-libéralisme global. Pas étonnant que nous soyons les champions du monde de l'antilibéralisme, selon ce sondage international de 2005 (cliquez sur le graphique de gauche pour l'agrandir).

L'argument développé est toujours à peu près le même: face au dumping social de pays comme la Chine, notre économie est plombée par des salaires élevés et une coûteuse protection sociale. Résultat: soit on ferme nos usines, soit on rogne sur les rémunérations et les avantages sociaux dans une effroyable descente aux enfers. Certes on arrive encore à exporter des trucs de haute technologie mais ça ne suffit pas à employer tout le monde, et les moins qualifiés restent sur le carreau. Bref, en contrepartie de TV plasmas et de lecteurs DVD pas chers, la mondialisation nous apporte pauvreté, précarité, chômage et déficits. Joli progrès!

A contre-courant de cette rébellion intellectuelle, j'ai trouvé quelques essais d'économistes qui me semblent pleins de bon sens. Ils défendent l'idée que la mondialisation constitue surtout un bouc émissaire commode qui nous évite de remettre en question les insuffisances de notre système. Cela méritait d'aller y voir de plus près: zoom cette semaine sur les liens entre mondialisation, chômage et salaires. Qui ne sont pas forcément ceux que l'on croit.

Le chômage est-il soluble dans l'ouverture internationale?
A force de perdre des parts de marché dans les secteurs qui emploient le plus de main-d'œuvre, la logique voudrait que les pays riches ayant des salaires élevés voient à la fois leur balance commerciale se dégrader et leur chômage augmenter. Je me suis donc amusé à comparer le taux d'emploi de chaque pays avec sa balance commerciale. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la logique [pays riche => importations fortes => chômage] ne saute pas aux yeux:

Premier constat, la balance commerciale n'a manifestement pas grand chose à voir avec le niveau des salaires. Ou plutôt, si l'on cherche une corrélation, ce serait plutôt l'inverse de ce à quoi on s'attendrait. Les pays européens les plus pauvres (Portugal, Espagne) sont des grands importateurs nets, alors que les pays les plus riches (Suède, Pays Bas, Allemagne) sont des exportateurs nets. Même constat du côté des pays en voie de développement (sur ce site par exemple), dont la balance commerciale est tantôt très positive (la Chine), tantôt très négative (comme l'Inde).

Ensuite, le lien entre niveau de chômage et balance commerciale est loin d'être évident. Du côté des exportateurs nets (à droite du graphe), les Pays-Bas ou la Norvège affichent effectivement un faible taux de chômage, mais ce n'est pas du tout le cas de l'Allemagne par exemple. La situation est tout aussi ambiguë pour les importateurs nets (à gauche du graphe): certes la France, l'Espagne ou l'Italie ont des taux d'emplois médiocres, mais l'Australie, la Nouvelle Zélande (et même les US) n'avaient pas de problème d'emploi en 2008.

Plusieurs études ont tenté de faire un bilan-emplois de la mondialisation en France et leur constat est mitigé: parfois ce bilan est positif (entre 1990 et 1997) et parfois légèrement négatif (entre1997 et 2001). Mais dans tous les cas, le nombre d'emplois créés ou détruits est infime, de l'ordre de 10 000 par an, une paille comparé aux 250 000 emplois détruits en 2009...

Qui a dit que les nations étaient en "guerre économique"?
La faible influence des échanges internationaux sur l'emploi se comprend mieux lorsqu'on réalise à quel point nos échanges avec les pays en voie de développement sont limités. Selon l'OMC, les marchandises en provenance des pays pauvres (Afrique, Asie, Amérique du Sud) ne représentaient même pas 20% des importations de l'Union Européenne en 2008. Ces importations qui nous font si peur représentent moins de 6% du PIB européen. Comme le relève l'économiste Paul Krugman, si l'on devait comparer deux nations à Pepsi et Coca-Cola, il faudrait imaginer que chaque société réalise 90% de ses ventes auprès de ses propres employés et les 10% restant auprès de ceux de son concurrent: pas banale comme situation concurrentielle!

D'ailleurs le concept même de "compétitivité d'une nation" est en soi discutable: pour une entreprise, c'est facile, sa compétitivité se mesure au résultat net. Dans le cas d'une nation, doit-on prendre son déficit budgétaire, sa croissance, son taux de chômage, son niveau de vie? Et puis on a vu ici que tout ce qu'une nation importait était compensé par un échange en sens inverse, que ce soit par des exportations, des services ou des placements financiers. Les relations entre les nations sont donc celles de clients à fournisseurs plutôt que de fournisseurs en concurrence les uns avec les autres. Enfin et surtout, l'idée d'une guerre économique entre les nations évoque une lutte dont sortiront des gagnants et des perdants. Or c'est précisément ce que contestent les économistes: selon eux le commerce international est tout sauf un jeu à somme nulle car l'accroissement des échanges internationaux augmente la taille du gâteau économique. Et c'est vrai que si l'on analyse les statistiques de l'OMC depuis 1950, il faut bien reconnaître qu'échanges internationaux et croissance économique semblent aller de pair:


A-t-on raison d'avoir peur des bas salaires?
Certes, pourra-t-on objecter, mais tout ça ne répond pas à la question du dumping social. Comment nos économies résisteront-elles à la concurrence déloyale d'entreprises chinoises, combinant des salaires de misère et une productivité du premier monde? Cette inquiétude suppose qu'un pays puisse maintenir artificiellement ses salaires à un niveau très bas. Pas très orthodoxe comme idée, puisqu'en théorie salaires et productivité sont indissociablement liés,  mais au moins c'est une hypothèse testable. Armé de mes statistiques j'ai joué à comparer salaire horaire et productivité dans le monde. Voilà ce que ça donne:


En haut à droite, les pays les plus développés (Norvège, Allemagne, Danemark, Pays Bas, France...) affichent à la fois des salaires horaires et une productivité élevés. A l'autre bout de l'échelle (en bas à gauche) le Mexique, le Portugal et la Corée ont des salaires bas et une productivité faible. Grosso modo productivité et salaires sont liés même s'il y a évidemment des disparités (le Danemark a par exemple une productivité plus faible que le Royaume Uni mais des salaires plus élevés).

Qu'en est-il de l'évolution dans le temps? Là encore, les statistiques que j'ai pu glaner sur le sujet m'ont semblé sans appel. Augmentation de la productivité et augmentation des salaires vont de pair quels que soient les pays:

Source: Cours de Philippe Martin (Ecole Polytechnique, 2004)

L'évolution de la Corée depuis 1970 en est une bonne illustration (source ici). Tandis que sa productivité (exprimée en pourcentage de celle des Etats-Unis) est passée de 14% en 1975 à 69% en 1995, son salaire horaire moyen a grimpé durant la même période de 5% à 43% (toujours exprimé en % des salaires aux US). D'après mes statistiques de 2008, il vaut désormais 60% de celui des Etats-Unis.
Dans le fond, cette corrélation est plus logique qu'elle n'en a l'air: le niveau de vie des habitants (= leur salaire) augmente à mesure que le pays s'enrichit (richesse = production = productivité x nombre de travailleurs) et je vois mal pourquoi la Chine échapperait à un tel phénomène de rattrapage. A mesure qu'elle va globalement gagner en productivité, ses salaires remonteront aussi naturellement qu'ailleurs.

C'est l'avantage comparatif qui compte!
Les économistes vont même plus loin: depuis le XIXe siècle et la théorie de Ricardo (améliorée mais jamais démentie à ma connaissance) ils soutiennent qu'un pays n'exporte pas les biens pour lesquels il a une meilleure productivité en valeur absolue, mais ceux pour lesquels il a un avantage relatif. On illustre d'habitude cette théorie en prenant l'exemple de deux pays (l'Angleterre et le Portugal) qui échangent deux biens (du drap et du vin). Supposons qu'avec 10 heures de travail, le Portugal produise 20 mètres de drap et 300 litres de vin tandis que l'Angleterre ne produit que 10 mètres de drap et 100 litres de vin. Le Portugal est bien plus performant en valeur absolue sur les deux productions. Pourtant il a intérêt à se spécialiser dans la production de vin et à importer son drap d'Angleterre (voir l'explication détaillée sur Wikipedia ou sur ce site par exemple). Chaque pays s'enrichit du commerce extérieur en tirant parti de son avantage relatif et non pas de ses avantages absolus comme on aurait tendance à le croire.

Pas très clair? OK, voici un exemple plus intuitif largement popularisé par la littérature économique classique (et manifestement un poil sexiste) : imaginons un avocat champion du clavier. Sa secrétaire n'a alors aucun avantage absolu par rapport à lui: elle n'est pas avocat et tape moins vite que lui. Pourtant l'avocat a toujours intérêt à lui confier sa correspondance (sauf s'il en trouve une autre qui tape sans moufles) car il n'a pas le temps de tout faire. Chacun se spécialise dans la tâche pour laquelle il a un avantage relatif et le tandem est plus productif ensemble.

C'est sans doute là que la mondialisation nous fait mal: elle impose que les pays se spécialisent là où ils sont (relativement) les meilleurs et abandonnent progressivement les secteurs où ils n'ont aucun avantage comparatif. Ça suppose au moins deux changements drastiques dans notre politique économique: il faut d'une part déployer d'immenses efforts pour aider les travailleurs des secteurs pénalisés à se reconvertir, plutôt que s'échiner à maintenir leur activité à grands coups/coûts de subventions. Ensuite, l'Etat doit renoncer à son indépendance dans certains domaines économiques comme l'agriculture, la pêche ou certaines industries stratégiques. Pour un pays comme la France, cela revient à renoncer à une part de notre exception culturelle. Pas évident à accepter...

Sources:
Quelques excellents essais d'économie: L'économie sans tabous de Joseph Heath, Nos phobies économiques (des auteurs du blog econoclaste), Le chômage fatalité ou nécessité? de Cahuc et Zylberberg, La France injuste de Thimothy Smith.
Deux billets de Paul Krugman (ici et )
Does trade with low wages hurt american workers? de Stephen Golub
Les statistiques 2010 du Bureau of Labour Statistics

Billets connexes
Commerce international: un exemple d'égalité! où pourquoi les échanges entre les pays sont toujours équilibrés quoiqu'on en dise.
Le déficit commercial record: c'est grave docteur? Billet qui donne la recette miracle pour équilibrer la balance commerciale en ruinant son pays.


jeudi 9 septembre 2010

Cascade électrique, cascades évolutives

Si comme moi, vous imaginez qu’un générateur électrique ressemble forcément à une espèce d’usine à gaz, pleine de turbines, de trucs qui tournent, d’aimants ou de réactifs chimiques, je vous invite à jeter un coup d’oeil sur celui qu’a inventé Lord Kelvin en 1857. Il s’agit simplement d’eau qui coule paisiblement dans des récipients en métal après être passé au travers de tubes métalliques tout aussi immobiles:
(source de la photo ici)


Bon, vous ne risquez pas l’électrocution, mais cette drôle marchine à eau arrive quand même à faire naître de belles étincelles, regardez:


Magique? Pas du tout, le principe est même étonnamment simple. Les deux récipients en métal et leur tube correspondant sont normalement neutres. Mais il y en a toujours un qui est très légèrement chargé. Supposons que ce soit le récipient de droite et son  tube de gauche qui soit chargés positivement:

Dans la goutte en train de se former, il y a quelques particules chargées (les ions). Pas beaucoup, seulement une molécule sur 10 millions (10-7) quand l’eau est pure et de PH neutre, mais cela suffit pour enclencher le phénomène. Les ions négatifs (OH-) présents dans l’eau sont attirés par le tube chargé positivement. Lorsque la goutte d’eau tombe dans le récipient de gauche, elle emporte avec elle ces ions négatifs. Le récipient de gauche se charge donc négativement et le tube de droite à son contact également.

Cette fois, le tube de droite attire à lui les ions positifs (H30+) de l’eau au dessus de lui et les gouttes qui tombent à droite sont chargées positivement. Le récipient de droite se charge positivement et à son contact le tube de gauche également. Un cycle s’amorce ainsi qui accroît progressivement la différence de charges entre les deux récipients jusqu’à ce que la tension provoque une décharge électrique.

A mesure que l’appareil se charge, le jet éclabousse de plus en plus tout autour de lui et les gouttelettes suivent des trajectoires de plus en plus bizarres au point de défier les lois de la gravité!


 Là encore, tout est logique: les gouttelettes chargées sont attirées par le tube (de charge opposé) et la force électrostatique s’ajoute à la gravité. Les très petites gouttes finissent par suivre simplement les lignes de champs électrostatiques
source: ici

Si un goutte touche le tube qui l’attire, elle le décharge un petit peu: c’est ce phénomène (entre autres) qui limite la puissance électrostatique de ce type de montage...

La simplicité du montage est bluffante, mais ce qui me fascine le plus c’est la rupture spontanée dans la symétrie du montage. Dans l’état initial les deux récipients sont indistinguables alors qu’à la fin l’un des deux se charge positivement sans qu’on puisse prédire lequel. La cascade d’eau (symétrique) provoque une cascade électrostatique totalement asymétrique.

 D’une cascade à l’autre...
Ce phénomène de cascade-briseuse-de-symétrie me fait penser à l’énigme de “l’homochiralité du vivant”: Pasteur a le premier découvert que tous les acides aminés de la matière vivante présentent la même configuration en hélice droite (comme celle d’un tire-bouchon pour droitier). Pourtant lorsqu’on synthétise en laboratoire ces mêmes molécules, on obtient en général les deux types d’hélices en quantité égale. Cette découverte faite par hasard est fondamentale puisqu’elle marque la frontière entre le monde du vivant et celui de l’inerte: dans le monde du vivant il n’existe qu’un seul format de molécule organique parmi les deux possibles.

Les molécules artificielles ont pourtant des propriétés chimiques rigoureusement identiques en termes de densité, de température de fusion, etc: pourquoi diantre n’existe-t-il qu’une seule configuration dans la nature? Le mystère est loin d’être élucidé et la littérature abonde d’hypothèses possibles des plus simples aux plus compliquées (certaines renvoient à la brisure spontanée de symétrie CP des interactions faibles ou encore à l’effet des rayonnements de l’espace).

Une chose est sûre: les organismes vivants, eux-mêmes constitués d’acides aminés en hélice droite uniquement, réagissent différemment aux deux format de molécules. Pasteur avait par exemple remarqué que seule la forme naturelle de l’acide tartrique était digérable par les micro-organismes. On sait qu’il en est de même avec la molécule de la vitamine C. L’aspartame est doux, mais son jumeau en miroir a un goût amer. On pourrait multiplier les exemples à l’infini.
Formes gauche (S, tératogène) et droite (R, sédatif) de la thalidomide (source CNRS)

Cette seconde découverte a inspiré à Pasteur une explication simple à l’étrange uniformité des configurations du vivant: notre monde vivant fonctionnerait comme une gigantesque usine de vis et d’écrous, dont seules les pièces ayant le même sens de filetage sont compatibles entre elles.

Même si les deux types de configuration moléculaires ont pu exister dans la soupe initiale du vivant, la machine de Kelvin permet de se faire une idée de se qui a pu se passer à l’origine de la vie: exactement comme pour le générateur à eau, un infime déséquilibre entre les proportions des deux types de molécules a pu déclencher un effet de cascade évolutive, aboutissant à la disparition totale d’une des deux formes.
Si cette hypothèse est correcte, il ne faut pas chercher de cause particulière à l’hélice droite, pas plus qu’on ne doit chercher à comprendre pourquoi c’est le récipient de droite qui à un moment donné se charge positivement dans la machine de Kelvin. Les deux types de cascades physique et évolutive brisent la symétrie initiale de manière à la fois inexorable et aléatoire.

Tiens d’ailleurs, je viens de me rendre compte que le terme de “chiralité” (la propriété d’une molécule pouvant exister sous deux formes miroir l’une de l’autre) a été justement inventée par Kelvin...

 Sources:
Le cours MIT 8.02 de Walter Lewin sur l’electromagnétisme, un modèle de pédagogie!
L’univers ambidextre de Martin Gardner
Une excellente synthèse de Jean Philibert sur la symétrie dans la nature (pdf)

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Latéralités animales sur l’origine des droitiers et des gauchers dans le monde animal
Jeu de réflexion sur les symétries dans un miroir

jeudi 2 septembre 2010

Lois physiques:1 Abeilles: 0

La régularité extraordinaire des nids d'abeille est l'une des curiosités naturelles qui a le plus excité les esprits. Par exemple, le mathématicien Pappus d'Alexandrie avait remarqué dès l'Antiquité que ces structures hexagonales permettaient aux abeilles d'aménager le maximum d'alvéoles pour un minimum de cire. En ce jour de rentrée, voilà de quoi rendre jaloux les cancres en maths. Comment ces petits bêtes n'ayant pas deux grammes de cervelle peuvent-elles élaborer des constructions aussi optimales qu'élégantes? Deux mille ans plus tard, les fausses explications ont toujours la vie dure...


Un peu de géométrie pour commencer (promis: pas d'équation!)
Vous êtes une abeille et vous devez fabriquer un maximum d'alvéoles en cire destinées à recevoir les larves. Pour ne pas faire de jaloux, toutes les alvéoles doivent avoir la même surface. Quelle forme avez-vous intérêt à choisir pour consommer le moins de cire possible? Si vous manquez d'imagination et que vous n'utilisez que des polygones, vous n'avez que trois choix: le triangle équilatéral, le carré et l’hexagone. Tous les autres polygones laisseront des "trous" entre eux quand vous les collerez les uns aux autres.
Utiliser le moins de cire possible revient à chercher la forme qui donnera la plus grande surface pour un périmètre donné. Or plus un polygone a de côtés, plus sa surface est grande (à périmètre constant): Ça paraît logique puisque sa forme se rapproche de plus en plus de celle d'un cercle qui est justement la figure de plus grande surface.
Des trois polygones possibles (triangle, carré, hexagone), c'est donc l'hexagone qui  permet de faire le plus d'alvéoles avec le moins de cire. Les sceptiques peuvent vérifier avec cette formule qu'il offre le meilleur rapport surface sur périmètre.

Bon tout ce raisonnement est bien joli mais il n'y a aucune raison de n'envisager que des polygones, sacrebleu! Pourquoi pas des formes plus rigolotes, comme celles qu'imaginait Escher par exemple:


Se pourrait-il que certaines de ces figures permettent de "paver" plus économiquement le plan? On sent bien que non, mais c'est incroyablement dur à prouver. Cette conjecture du nid d'abeille qui consacre l'hexagone régulier comme THE champion du pavage a dû attendre plus de 2300 ans avant d'être démontrée rigoureusement en 1999!


Œuvre divine ou effet de la sélection naturelle?
Comment ne pas voir la preuve de l'intervention de Dieu dans cette magnifique optimalité? "Les abeilles, par inspiration et de par la volonté divine, sont capables d'appliquer aveuglément les mathématiques les plus raffinées ", écrivait le scientifique Fontenelle au XVIIe siècle. Pour Kepler les abeilles "sont douées d'une âme et de ce fait capables de faire de la géométrie". Même Jean-Henri Fabre, le pape de l'entomologie moderne, renvoyait dans leurs buts toutes les tentatives d'explication rationnelles: "Dans ses ouvrages, écrivait-il, la Puissance créatrice toujours géométrise (...) disait Platon. Là vraiment est la solution du problème des Guêpes". Aujourd'hui encore, les nids d'abeilles inspirent toutes sortes d'explications mystiques (ici ou par exemple).

L'argument divin était si percutant que Darwin s'est lui-même longuement penché sur le sujet dans l'Origine des Espèces. Il était embêté car à part ces structures hexagonales, on ne trouve chez les guêpes et les abeilles que des alvéoles cylindriques plus ou moins grossières, notamment pour les espèces solitaires. Comment l'abeille a-t-elle pu "apprendre" à fabriquer des hexagones à partir de cylindres? Evidemment il a cherché la réponse du côté de la sélection naturelle (p 304):
Ainsi, à mon avis, le plus étonnant de tous les instincts connus, celui de l'abeille, peut s'expliquer par l'action de la sélection naturelle. La sélection naturelle a mis à profit les modifications légères, successives et nombreuses qu'ont subies des instincts d'un ordre plus simple ; elle a ensuite amené graduellement l'abeille à décrire plus parfaitement et plus régulièrement des sphères placées sur deux rangs à égales distances, et à creuser et à élever des parois planes sur les lignes d'intersection. Il va sans dire que les abeilles ne savent pas plus qu'elles décrivent leurs sphères à une distance déterminée les unes des autres, qu'elles ne savent ce que c'est que les divers côtés d'un prisme hexagonal ou les rhombes de sa base. La cause déterminante de l'action de la sélection naturelle a été la construction de cellules solides, ayant la forme et la capacité voulues pour contenir les larves, réalisée avec le minimum de dépense de cire et de travail. L'essaim particulier qui a construit les cellules les plus parfaites avec le moindre travail et la moindre dépense de miel transformé en cire a le mieux réussi, et a transmis ses instincts économiques nouvellement acquis à des essaims successifs qui, à leur tour aussi, ont eu plus de chances en leur faveur dans la lutte pour l'existence.

Sans rien savoir des maths, les abeilles seraient (à force d'essais et d'erreurs? la théorie ne le dit pas) tombées par hasard sur une structure optimale leur procurant une économie de cire décisive pour leur survie et leur multiplication en plus grand nombre. Cette explication remporte un tel succès que les nids d'abeilles ont changé de camp idéologique: d'argument divin ils sont devenus l'illustration classique des effets spectaculaires de la sélection naturelle, que l'on retrouve sur la plupart des sites traitant de la question (ici ou par exemple).

Une explication purement mécanique
?
Il y a pourtant un problème évident avec l'explication Darwinienne: elle est indémontrable. Pourquoi imaginer des histoires aussi alambiquées, fulmine D'Arcy Thompson (dont j'ai déjà parlé dans ce billet ou celui-ci) alors que la forme hexagonale des nids d'abeilles peut s'expliquer par les simples lois de la physique? Profitez des derniers beaux jours pour regarder la mousse de votre bière: vous verrez que pressées les unes contre les autres, les bulles adoptent elles aussi une forme plus ou moins hexagonale (schéma de droite, source ici).


En deux dimensions, le mécanisme est simple à comprendre (à gauche): au départ chaque bulle est circulaire et touche ses voisines en six points. Sous l'effet de la pression, ces six points de contact se transforment en six lignes droites et les cercles se changent en hexagones serrés les uns contre les autres

Quand on est en trois dimensions, les choses sont un peu plus compliquées car on ne peut paver une surface courbe uniquement avec des hexagones. C'est ce qui explique la forme un peu biscornue des bulles dans la mousse de bière qui alternent hexagones et pentagones, comme sur un ballon de foot.

On retrouve ces formes hexagonales partout dans la Nature, dès que des disques, des sphères ou des cylindres sont comprimés les uns contre les autres. Essayez par exemple avec des jaunes d'œuf dans une soucoupe:


Lorsque ce sont des cylindres de magma en fusion qui se pressent les uns contre les autres en refroidissant, ça donne ces extraordinaires formations de la Chaussée des Géants en Irlande:

(source: ici)

Dans le domaine du vivant, les réseaux d'hexagones apparaissent chaque fois que de très nombreuses cellules -rondes au départ- se pressent les unes contre les autres sous l'effet de leur croissance. Ici, ce n'est pas un nid d'abeille mais les cellules de l'oeil du taon américain. Les hexagones sont irréguliers car la surface de l'oeil est sphérique:
(source ici)

Même explication pour la magnifique géométrie de certains diatomées. Les vésicules molles qui les constituent prennent la forme d'hexagones lorsqu'elles grossissent. La silice s'accumule au niveau des parois entre les vésicules et finit par former un squelette rigide finement maillé:
.
(source ici)

Il y a plein d'exemples comme ça dans tous les domaines, de la chimie à la biologie et à toutes les échelles, de la molécule à l'hexagone de Saturne.

Comment l'abeille s'y prend-elle?
Se pourrait-il que les nids d'abeilles ne doivent leur beauté ni au génie des abeilles, ni à la main de Dieu, ni même à la sélection naturelle, mais à de simples effets mécaniques sur les alvéoles de cire molle? L'idée n'est pas nouvelle: déjà au XVIIe siècle, Erasmus Bartholin, un mathématicien danois doutait que la recherche d'économie soit à l'origine de ces jolies motifs. Il proposa que la forme hexagonale des alvéoles était simplement le résultat de l'effort de chaque abeille pour agrandir au maximum l'alvéole qu'elle construit, par analogie avec la pression dans chaque bulle de savon. D'ailleurs la cire des abeilles est au départ très liquide, exactement comme un film savonneux. Cette hypothèse expliquerait pourquoi la forme hexagonale des cellules n'existe qu'entre les alvéoles et pas sur les bords du nid. J'ai pu constater moi-même cet été sur un nid de guêpes en cours de formation (que ne ferait-on pas pour la science!) que les parois extérieures sont en forme d'arc de cercle, exactement comme le prédit l'hypothèse de Bartholin:
 Si Darwin avait eu raison, les abeilles auraient dû être sélectionnées pour leur aptitude à construire des parois planes partout, y compris sur les bords.

Bon, mais on peut quand même être sceptique sur l'hypothèse "des abeilles qui poussent". Comment des efforts aussi intermittents que ceux des abeilles sur les alvéoles peuvent-ils aboutir à des constructions aussi régulières? D'Arcy Thompson a une explication beaucoup plus simple (p133): "Il me semble bien plus vraisemblable qu'il s'agisse en réalité d'un problème de tension: les parois adopteraient en fait leur configuration lorsqu'elles sont dans un état semi-fluide, sous l'effet de la présence d'eau résiduelle dans la pulpe végétale, ou sous l'effet du ramollissement de la cire provoqué par la chaleur dégagée par toutes les abeilles au travail dans la ruche." Trop fort D'Arcy: en 2004 des chercheurs semblent lui donner raison en reconstituant artificiellement la structure hexagonale d'un nid d'abeille sans abeilles, en faisant simplement couler de la cire liquide autour de cylindres chauds et serrés les uns contre les autres (qui figurent les abeilles dans la vraie vie). Il suffirait donc simplement aux abeilles de répandre la cire liquide autour d'elles pour que celle-ci finisse par prendre la forme d'hexagones quasiment parfaits sous le seul effet des lois physiques:



Et l'optimum de cire, qu'en reste-t-il?
En face à ces résultats, l'hypothèse d'une sélection naturelle des abeilles économes en cire tient-elle encore la route? D'après les chercheurs de cette même étude ((L’étonnante abeille, p175) "si l’on devait intégrer dans le calcul l’ourlet de cire qui recouvre le bord des cellules, ces 30% de cire supplémentaires réduiraient à néant tout bilan d’optimisation". D'ailleurs, comme le relève D'Arcy Thompson (p 131), "l'abeille n'est pas économe de son travail; celui-ci ne revêt ni la finesse ni la précision suffisantes pour qu'elle puisse tirer partie d'une quelconque économie de cire en construisant son alvéole selon ces normes théoriques (...) Quand une abeille construit une alvéole isolée, ou un petit groupe d'alvéoles destinées aux oeufs qui donneront naissance à des reines, l'édifice est de piètre qualité. Les alvéoles des reines sont de petits amas de cire brute, où la cavité à peine ébauchée est marquée de grands coups de mâchoires, comme un tronc d'arbre grossièrement équarri qui porterait les traces d'un outil émoussé."

La sélection naturelle n'a donc manifestement pas sélectionné les spécimens d'abeilles les plus économes en cire. Cela étant, quand on pense à l'énergie qu'il leur faut dépenser pour produire toute cette cire, comment imaginer que la parcimonie n'ait joué aucun rôle dans l'évolution des abeilles? Je me demande s'il ne faut pas carrément inverser l'argument de la sélection naturelle classique. Est-ce la nécessité de fabriquer plein de nids adossés, qui aurait développé chez les abeilles l'instinct d'économie? Ou ne serait-ce pas plutôt l'économie de cire que procure mécaniquement un nid collectif qui aurait favorisé le succès évolutif des espèces sociales?

Dans le fond, tout cela est plutôt rassurant: les abeilles ne sont ni des génies des maths, ni des acharnées de l'économie et les lois de la physique suffisent probablement à expliquer leurs prodigieuses constructions. La sélection naturelle jouerait bien un rôle, mais pas forcément celui qu'on décrit généralement. Une chose reste déroutante dans cette histoire: pourquoi malgré ses incohérences et son caractère invérifiable, l'hypothèse d'une sélection naturelle des abeilles économes en cire est-elle toujours aussi répandue, y compris dans les livres ou les sites scientifiques? Et à l'inverse pourquoi trouve-t-on aussi rarement l'explication mécanique à ces structures, explication pourtant ancienne, cohérente, étayée par l'expérience et en phase avec des phénomènes comparables dans d'autres domaines? Je suppose qu'une telle explication a du mal à se populariser car elle contredit la représentation classique de l'évolution darwinienne et parce qu'elle n'est sous-tendu par aucune théorie plus globale, mécanique cette fois, de l'évolution. "You can't beat something with nothing", en sciences comme ailleurs.

Sources:

Ce billet du blog Culture Générale
Cet article de Science News sur la conjecture du nid d'abeilles et cet autre de l'université de Montreal.
Ce site sur les diatomées et celui-ci sur l'hexagone dans la nature.
Et bien sûr Forme et croissance de D'Arcy Thompson...

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PS. On a également tenté d'expliquer la forme du fond des alvéoles (photo de droite, source Wikipedia) par des arguments d'économie de cire. Les alvéoles sont empilées les unes dans les autres sur plusieurs couches et chacune est fermée par trois faces planes (appelées rhombes) qui se rejoignent, comme un crayon hexagonal dont la pointe serait taillée par trois coups de couteau (figure de gauche). Cette forme permet aux alvéoles de s'emboîter parfaitement les unes dans les autres. Elle est certes plus économe en cire qu'un fond plat hexagonal, mais en 1964 le mathématicien Hongrois Fejes Toth montra qu'elle l'est moins qu'un fond formé de deux hexagones et deux petits losanges (schéma de droite). Cela se joue à pas grand chose (l'économie ne serait que de 0.35%) mais pourquoi la sélection naturelle aurait-elle méprisé cette petite optimisation? Des chercheurs ont voulu vérifier s'ils pouvaient articiellement faire émerger une telle forme par les seules lois de la physique. En emprisonnant des bulles de savon entre des plaquettes de verre, ils ont obtenu deux couches d'alvéoles hexagonales et ont observé la manière dont elles s'emboîtaient l'une dans l'autre. Bingo! En fonction de la quantité de liquide emprisonné, le fond de ces alvéoles était tantôt celui des trois rhombes, tantôt celui décrit par Toth. Décidément, les mécanismes physiques sont loin d'être clairs et l'économie de matière n'en est pas la seule variable.