jeudi 26 mars 2009

Psychologie de l'incivilité au volant

C'est la journée de la courtoisie sur la route et l'occasion de se demander pourquoi on se transforme si facilement en Mr Hyde dès qu'on a les fesses sur le siège de sa voiture. Pur jus de crâne Xochipillesque, je vous préviens tout de suite, car ma culture scientifique sur le sujet se limite aux tests du type "quel conducteur êtes-vous?" dans les magazines que je ne lis (presque) pas.

C'est dans les pays dont le niveau d'éducation est faible que le contraste est le plus saisissant. Au Mexique, pays que je connais bien, le savoir-vivre exige une surenchère dans la courtoisie face à quelqu'un: on ne dit pas "à votre service" mais "à vos ordres" (a sus ordenes!), on ne parle pas de son "chez soi" mais de "votre" maison (car "ma maison est votre maison" - "su humilde casa") etc. A l'inverse les queues de poissons, les insultes et les doigts tendus rythment frénétiquement la vie bien peu urbaine des conducteurs automobiles.

Au milieu de cette jungle, un détail m'a pourtant toujours intrigué: pour changer de file au milieu d'une circulation très dense, il suffit de tendre la main par la fenêtre ouverte pour amadouer instantanément le conducteur de derrière. Alors que le clignotant est totalement inefficace, la technique de la main passée par la portière fait mouche à tous les coups à tel point que le passager le fait aussi à la place du conducteur lorsqu'il faut bifurquer à droite.

Ce soudain accès de civilité s'explique selon moi par l'irruption d'une forme de communication humaine -une main tendue- unique dans la marée des voitures. Et ce signal visuel exerce une pression très puissante sur les comportements des autres conducteurs. Autant l'automobiliste ignore sans même y penser le clignotant de la voiture de devant, autant il obéit quasi instinctivement au signal humain d'une main tendue. Faites l'expérience vous-même la prochaine fois que vous êtes coincé dans un carrefour embouteillé: si vous arrivez à attraper le regard du conducteur qui arrive en face, la partie est gagnée et il vous laissera passer. Et si vous lui faites un signe de tête ou un sourire, il le fera de bonne, grâce par dessus le marché. La tactique des mauvais coucheurs consiste d'ailleurs dans ces cas-là à éviter de croiser votre regard en gardant le leur obstinément braqué dans le vide.

Mon hypothèse est donc que nous nous soumettons aux communications non-verbales de manière compulsive, irrépressible (à condition de ne pas être indisposé par la personne en face de soi). Notre courtoisie de visu serait une réponse-réflexe à un signal non verbal et non pas le fruit d'une décision consciente. Nous sommes conditionnés pour répondre positivement aux signaux non verbaux de nos semblables. L'éducation reçue, l'intelligence, la rationalisation ne font que renforcer ce comportement, en le justifiant après coup, mais ils n'en seraient en aucune manière la source.

En l'absence de signaux visuels -lorsqu'on ne voit pas les conducteurs dans leurs voitures par exemple- l'incivilité est la règle naturelle et la courtoisie l'exception. Le même phénomène se constate au téléphone: toujours au Mexique, il est très courant de se voir raccrocher au nez et sans un mot d'excuse lorsqu'on reçoit un coup de fil par erreur. Par contre dès que l'on met un visage sur une voix la relation change du tout au tout, bien entendu.

J'en conclus (provisoirement) qu'il y a une différence fondamentale entre d'un côté la bienveillance provoquée instinctivement par une communication non verbale et, de l'autre, le civisme, fruit d'une longue éducation qui encourage à la même bienveillance même en l'absence de communication non verbale. Ce qui fait le propre de l'homme n'est pas sa bienveillance face à autrui (ça, ça existe partout dans le monde animal), mais son civisme, c'est à dire sa bienveillance face à l'idée de l'autre, lorsque l'autre n'est pas visible. L'imagination au pouvoir en quelque sorte...

Au fait, un embouteillage comment ça se forme? Regardez la petite vidéo qui l'explique parfaitement en 40 secondes chrono:


mercredi 25 mars 2009

Glissante glace

"Ca glisse trop!" gémissait mon numberone perché en haut d'une piste qui bien qu'elle fût noire lui en faisait voir de toutes les couleurs! C'est vrai, au fait: pourquoi la neige glisse-t-elle autant?

T'as le feu aux skis?

Jusque récemmente, en fidèle fan de "C'est pas Sorcier", l'émission de France3 -j'assume!- je m'en tenais aux explications de Jamel dans l'extrait ci-dessous [1]: d'abord ce n'est pas la neige qui glisse, mais l'eau. En frottant la neige sur son passage, le ski la fait fondre, créant un petit tapis de gouttelettes d'eau sur lesquelles on glisse.



La thèse est acceptée jusqu'en Alaska [2], où à l'institut de géophysique on a calculé que les skis dégagent par frottement autant de chaleur que des ampoules de 100 Watt chacun. Pas étonnant qu'on fatigue, avec toute cette énergie dépensée juste pour faire fondre la neige!
Les frottements seraient-ils donc à la fois ce qui s'opposent le plus au mouvement et ce qui le rend possible? Voire...

Cette démonstration ne me convainc qu'à moitié car on glisse sur la glace même quand on est à l'arrêt (donc sans friction): essayez donc de tenir debout sur une patinoire, même sans bouger... Et puis une surface gelée est ce qui se rapproche le plus d'une surface "sans frottements" comme on les aime en cours de physique: il est paradoxal d'invoquer ces frottements pour expliquer un glissement qui n'en a pas. On doit donc chercher ailleurs les raisons pour lesquelles la glace glisse, indépendamment des forces de frottements.

Pression à froid

En attendant, vous faites une bataille de boules de neige pour vous défouler: vous prenez une poignée de neige, la comprimez légèrement pour qu'elle tienne bien en main (et en l'air). Eurêka, voilà la clef! Si votre boule de neige est devenue ferme, c'est qu'elle a un peu fondue. Vous l'avez donc faite légèrement fondre en la comprimant dans vos mains! C'est une des propriétés bizarres de l'eau que de fondre plus
facilement sous la pression. Ce qui explique est cohérent avec le fait que la glace flotte sur l'eau liquide, contrairement aux autres fluides.

La preuve? Si vous placez un fil de fer lesté autour d'un pain de glace, le fil va petit à petit traverser le bloc et la glace va se refermer derrière son passage, comme par magie. Sous l'effet de la pression exercée par le fil, la glace fond en dessous. Sitôt le fil passé, la pression diminue et l'eau regèle (illustration tirée du livre [3] où j'ai trouvé cette explication).

Pour ceuces que ça intéresse, ce phénomène de fusion aux pressions élevées se traduit par une courbe de transition solide-liquide légèrement inclinée sur la gauche dans le diagramme des phases de l'eau (source: Wikipedia). Alors que pour la plupart des autres corps cette courbe est inclinée vers la droite et une pression forte favorise le gel.

Remontons sur nos skis: le poids du skieur exerce une pression supplémentaire sur la neige de l'ordre de 14 atmosphères1400 Pascal. Sur le diagramme l'état de la neige passe du point bleu (0°, pression atmosphérique) au point rouge (toujours 0° mais 14 atmosphères davantage de pression) sous cette pression. Point rouge qui est dans la zone où l'eau est liquide, la neige fond et le skieur glisse sur les gouttelettes.

C'est une explication complémentaire à celle de la fusion par frottement, mais qui marche même à l'arrêt. Ça explique au passage pourquoi on glisse mieux quand on est un peu plus lourd, jusqu'à une certaine limite: si on est trop lourd les forces de frottements reprennent l'avantage!

On comprend aussi pourquoi la glace qui sort du congélateur colle les doigts: sa température est tellement basse qu'il faudrait une pression colossale pour la faire fondre. Mais pas de panique, les Canadiens ont inventé le patin à glace chauffant qui fait fondre la glace bien plus efficacement et permet de patiner plus vite. Paraît que ça marche même dans son congélateur.

La prochaine fois, promis, je vous raconte que des histoires de liquides brûlants pour vous réchauffer.



[1] Ski surf and fun" l'émission de C'est pas Sorcier sur FR3
[2] Surfing on snow, Alaska Science forum, 1994
[3] Physique d'Eugène Hecht (1999)

Billets connexes sur l'eau dans tous ses états:
Une histoire qui ne vous fera ni chaud ni froid (pour rester dans l'ambiance)
L'eau et la vie extra-terrestre: quel rapport?

jeudi 19 mars 2009

La constance du papillon

"L'effet papillon" c'est un peu la pince multi-prise du prêt-à-penser: le fameux battement d'aile qui déclenche une tornade à l'autre bout du monde est la référence médiatique incontournable de tous les chaos, crises financières ou désastres écologiques dont on ne comprend pas les causes. Il faut dire que le concept a tout pour séduire: un label de théorie scientifique, une belle image de la Nature - un papillon- et l'inévitable référence à une mondialisation incontrôlable.
Normal donc qu'on l'invoque sous toutes ses formes -
chansons, films, essais- à chaque fois qu'on souhaite illustrer comment de toutes petites causes provoquent des grandes catastrophes, sous l'effet d'une avalanche de réactions en chaine. L'effet papillon serait-il simplement la version scientifique du nez de Cléopâtre, dont Blaise Pascal pensait que "s'il eût été plus court, la face de la Terre aurait changé"? Hmmm... Ce serait un peu court. Et surtout, la puissance d'une théorie scientifique (celle du chaos en l'occurrence) ne se mesure-t-elle pas précisément à sa capacité prédictive? Qu'y aurait-il de génial dans une théorie qui nous démontrerait juste qu'on vit dans un monde complexe et imprévisible?

A vrai dire, la théorie du chaos a fait les frais de son succès médiatique. Lorsqu'en 1972, son inventeur
Edward Lorenz, fit sa fameuse conférence "Le battement des ailes d'un papillon du Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas?", il présenta deux résultats fascinants dont le grand public ne retint que le premier. Lorenz modélisait alors des phénomènes météorologiques en faisant mouliner les laborieuses machines à calculer de l'époque sur des calculs itératifs (on prend comme données d'entrée les résultats du calcul précédent et on recommence). L'histoire raconte qu'un jour de 1961, il voulut refaire un de ses calculs pour le vérifier mais, pressé d'aller se faire un café, il eut la flemme d'entrer en machine les données complètes avec six décimales, et les arrondit au millième.

Derrière le papillon, la sensibilité aux données initiales

A sa grande surprise, l'infime variation des données initiales avait entrainé une grande divergence des prévisions: au bout d'un certain temps ce n'était plus une tempête au pôle Nord qui s'annonçait, mais une grande sécheresse dans le Sud! C'est cette hypersensibilité aux conditions initiales qui lui inspira le titre de sa conférence et qui marqua les esprits.

Ce phénomène est intéressant, mais à vrai dire pas très nouveau en physique: si vous lancez une toupie, vous connaissez parfaitement les lois auxquelles elle est soumise. Vous savez qu'elle va finir par tomber et pourtant, même en connaissant parfaitement sa vitesse de rotation, son poids etc. vous ne ne pouvez absolument pas prédire dans quelle direction elle va le faire, tant celle-ci est sensible à la moindre perturbation. Ce qui était nouveau dans la découverte de Lorenz, c'est que pour la première fois on avait déniché une telle instabilité au cœur même des ordinateurs les plus puissants.

Vous pouvez faire vous-même le même genre d'expérimentation sur Excel: prenez deux nombres qui coïncident entre eux jusqu'à la 5eme décimale, par exemple 0,1 et 0,100001. Doublez-les, ne gardez que la partie décimale et recommencez. Au début les résultats sont très proches, mais au bout de 8 itérations ils commencent à diverger. Au bout d'une vingtaine ils n'ont plus rien à voir entre eux. Voici ce que ça donne avec différents nombres au départ:

Regardez comme c'est étrange: d'une part l'ordinateur finit par se tromper sur les chiffres exacts (nombres à une décimale des premières colonnes) et d'autre part vous finissez par obtenir 0 au bout d'une cinquantaine d'itérations. Cette convergence, c'est le deuxième résultat étonnant que découvrit Lorenz, je vais y revenir.

Ainsi étaient mis en évidence des phénomènes totalement déterministes (dont les lois sont parfaitement définis et calculables) mais tellement sensibles aux conditions initiales qu'on ne peut en prédire l'évolution que jusqu'à un certain horizon temporel, faute d'en connaître l'état initial avec suffisamment de précision. Selon Philippe Etchecopar une fluctuation de 1 cm sur la position initiale de la Terre aboutit -dans les modèles actuels- à un déplacement d’un million de km après cent millions d’années.

C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'image de "l'effet papillon": même si nous connaissons toutes les lois d'évolution d'un système, notre capacité à en prévoir l'évolution est limitée par la précision de nos mesures initiales. Pour les prévisions météo, par exemple, autant on peut prévoir le temps qu'il fera dans trois jours, autant d'après David Ruelle, "après quinze jours (...) il faudrait tenir compte de l'effet gravitationnel qu'aurait un électron situé à 10 années lumières de la Terre"! Le papillon peut aller se rhabiller, mais le phénomène n'a rien à voir avec un enchainement compliqué de causes à effets qui relierait l'histoire réelle d'un papillon avec le déclenchement d'un séisme à l'autre bout de la planète, comme on l'imaginerait spontanément en lisant le titre de la conférence de Lorenz.

Rien à voir non plus avec le hasard même si ça y ressemble. On peut connaître parfaitement les mécanismes d'un phénomène et être incapable d'en prédire l'évolution à long terme, faute de mesures suffisamment précises au départ: c'est ce qu'on appelle le chaos
déterministe. Comme l'a bien résumé bien Poincaré (déjà en 1908, décidément il est trop fort Riton) : "Une cause très petite qui nous échappe, détermine un effet considérable (...) et alors nous disons que cet effet est dû au hasard".

Derrière le chaos, l'invariance
L'autre résultat que découvrit Lorenz un peu plus tard (il tint sa conférence onze ans après sa première découverte en 1961)
me semble beaucoup plus spectaculaire bien qu'il ait été éclipsé par l'image du papillon. Certes avec des conditions initiales légèrement différentes, Lorenz obtenaient des résultats qui divergeaient totalement deux à deux au bout d'un certain nombre d'itérations. Mais il constata avec étonnement que les deux séries avaient statistiquement la même distribution de résultats.

Plus fort encore, lorsqu'on représentait graphiquement ces valeurs en trois dimensions, elles finissaient toujours par former un drôle de dessin... en forme de papillon. Quelles que soient les valeurs autour de ces valeurs initiales, les séries de résultats finissaient toujours par se distribuer autour des mêmes boucles. C'est bizarre, alors on a appelé ça un "attracteur étrange" (l'image est tirée du site du cnrs)


Pour expliquer ça en termes de Physique (n'oublions pas qu'il s'agissait de prévisions météo), Lorenz avançait "l’idée qu’au fil des années les petites perturbations ne modifient pas la fréquence d’apparition des événements tels que les ouragans : la seule chose qu’ils peuvent faire, c’est de modifier l’ordre dans lequel ces événements se produisent.» Autrement dit on ne peut prévoir le temps qu'il fera dans plusieurs semaines (faute de précision suffisante sur les conditions atmosphériques initiales), mais on peut tout à fait prédire le nombre de jours de pluies sur une période donnée.

Derrière l'invariance, la fractale
On a pu montrer que la plupart des systèmes chaotiques (c'est à dire qui suivent des lois précises mais dont le résultat dépend fortement des conditions initiales), finissent par osciller autour d'un ensemble fini de valeurs. Pourquoi de telles boucles? Ce n'est pas encore très clair (traduisez: je n'ai pas encore bien compris!)
La figure reboucle rarement deux fois sur le même point et ce qui se profile est... une fractale, mais oui! Quel que soit l'agrandissement que l'on en fasse, c'est la même complexité qui se répète à l'infini -à condition bien sûr d'itérer le calcul à l'infini lui aussi.

On peut s'amuser à fabriquer sur Excel plein de telles figures, en itérant un calcul très simple. Celui-ci par exemple. Son petit nom c'est Gumowski-Mira:


En s'amusant à donner différentes valeurs à A, B, X0 et Y0, et en observant le graphique des points (X,Y) obtenus sur un grand nombre d'itérations (typiquement 10 000), on obtient de magnifiques figures. Ca marche sur Excel, mais c'est plus joli sur la galerie de photos de Stinging Eyes.
Vous ne trouvez pas que ça ressemble étrangement aux formes que prend le plancton? J'aime l'idée que peut-être -j'ai bien dit peut-être!-une seule loi physique régisse non pas une seule forme du vivant (comme on l'a vu pour les spirales de Fibonacci), mais une grande variété de formes très différentes, au hasard des paramètres que peut prendre cette loi dans la nature.

La transformation du boulanger.
Il y a quand même des cas où l'on comprend bien que ça finisse par reboucler. Si les résultats du calcul itératif ne peuvent prendre qu'un nombre fini de valeurs, tôt ou tard on va retomber sur ses pieds. Les
séries de Kaprekar en sont une illustration. Pour l'exemple vu plus haut du doublement des décimales d'un nombre c'est la même chose car l'ordinateur travaille sur un nombre fini de décimales (d'où les erreurs qu'il commet au bout d'un moment).

Cela dit, retomber sur les valeurs de départ a tout d'un tour de magie. Enfilez votre tablier de cuisine et faites une pâte à gateau. Donnez-lui une forme de carré puis aplatissez-le en lui donnant une forme de rectangle horizontal. Coupez-en la moitié droite et replacez-la au-dessus de l'autre moitié: vous voici avec un nouveau carré de même dimension que le premier. Recommencez comme ça de nombreuses fois. Si au départ vous aviez une image sur votre carré de pâte, celle-ci se trouve rapidement totalement brouillée après quelques transformations. Mais au bout d'un grand nombre de fois, l'image réapparaît comme par miracle à sa place initiale! (source: BouMaton, logiciel pour faire ces traitements d'image)


On trouve des tas de transformations semblables sur internet. Parmi les plus spectaculaires, celle dites du "photomaton" où cette fois la photo de départ est transformée en 4 photos, comme sur un photomaton justement. On recommence de nouveau pour obtenir 4x4 photos etc. Au bout de quelques transformations on retrouve notre photo initiale! (source ici) Avouez que cette invariance systématique des systèmes complexes est bien plus stupéfiante que la question de leur prédictabilité limitée. L'histoire médiatique de l'effet papillon est aussi étrange que son attracteur: le grand public en a seulement retenu la triste (mais fausse) idée d'une impuissance scientifique à prévoir quoique ce soit, alors que la théorie exhibait au contraire une troublante invariance au coeur de ces systèmes. L'incompréhension entre les scientifiques et leur époque serait-elle aussi une constante intemporelle?

Sources:
David Ruelle, Chaos, imprédictibilité et hasard
Philippe Etchecopar, Quelques éléments sur la théorie du chaos
Le site d'Alain Esculier, pour les images des transformations du boulanger
Le site d'André Lévesque, pour les merveilleuses images de fractales
L'article d'Etienne Ghys et Jos Leys sur le site du CNRS, très bien fait où un "moulin à eau" reflète physiquement les observations numériques de Lorenz.
Une conférence sur le chaos de Sophie Mugnier

Billets connexes:
Billet classé (puissance) X
sur les spirales de Fibonacci
Les meilleures recettes de Kaprekar sur les suites de nombres étonnamment cycliques
Le temps, source de désordre? pour les formes auto-organisées (dans la dernière partie du billet)

mercredi 11 mars 2009

Aimez-vous les dividendes?















Le débat actuel sur le caractère moral ou non des versements de dividendes aux actionnaires me laisse perplexe.

D'un côté (celui de la société civile), il semble scandaleux de rémunérer les actionnaires d'une entreprise par des dividendes, alors que celle-ci vient de bénéficier d'une aide de l'Etat et qu'on nage en plein marasme économique.

De l'autre, Georges Pauget, Directeur du Crédit Agricole considère par exemple que "les actionnaires ne doivent pas être totalement privés de dividendes. Il ne serait pas normal que les actionnaires qui ont suivi les augmentations de capital des banques et ont fait preuve de fidélité soient pénalisés". Après tout, l'argent des actionnaires finance l'économie du pays...

Les dividendes, rémunération des actionnaires?
Ces deux visions opposées partagent une conception identique des dividendes, comme étant la rémunération naturelle de l'actionnaire. Si vous placez vos éconocroques dans une petite exploitation familiale dont le patron a besoin d'argent, les dividendes que vous toucherez de temps en temps seront la seule contrepartie de votre investissement. Ils sont alors l'exact équivalent des intérêts que vous auriez touchés si vous aviez placé vos économies sur un compte d'épargne. Pourtant si vous achetez une action en bourse, toute cette logique implacable de rémunération par les dividende s'écroule comme un château de cartes:

- Première différence, contrairement aux idées reçues les placements boursiers ne sont pas des investissements qui financent les entreprises (en dehors des augmentations de capital ou des introductions en bourse). De la même façon que racheter un appartement d'occasion ne finance pas la construction immobilière, acheter une action d'une société existante, ne lui fournit aucun nouvel apport de capital.

- Seconde différence: sur un marché boursier, les dividendes ne sont pas une rémunération de l'actionnaire, mais une restitution sous forme de cash d'une partie de son capital.

Pour s'en convaincre, imaginons un instant que l'annonce d'un dividende n'influe pas le cours de l'action. Trop facile! Vous achetez plein d'actions juste avant le versement, vous touchez le dividende et vous revendez les actions le lendemain. Si le cours de l'action reste stable, c'est tout bénéf pour les petits malins qui comme vous empochent les gains sans prendre de risque...
Evidemment cela ne se passe pas comme ça:le lendemain des versements de dividende, la valeur de l'action est amputée de de celle du dividende. Laurent Guerby donne dans son blog l'exemple de Microsoft, qui versa en 2004 le plus gros dividende jamais versé dans l'histoire de la bourse américaine: 3$ par action soit 30 milliards de dollars versés en une seule fois aux actionnaires. Ça n'a pas raté, le jour du versement le cours a dévissé de 2,5$. Logique: la valeur de l'entreprise n'a pas de raison de varier parce qu'elle verse des dividendes; ce que les actionnaires gagnent en numéraire, ils le perdent en valeur d'action.

On n'a plus l'habitude de voir la valeur de l'action comme celle d'un vrai capital mais pour le coup elle se comporte comme tel. En théorie, la valeur des actions est censée refléter la totalité du capital propre de l'entreprise. Il est donc tout à fait logique que lorsqu'on diminue le capital de l'entreprise en versant des dividendes, la valeur des actions baisse d'autant.


Ils sont tous fous!

Les actionnaires qui réclament leur dividende comme une juste rémunération de leur investissement font donc -à mon humble avis- un contre-sens magistral: ce qu'ils gagnent en dividendes, ils le perdent sur le cours de l'action. Et comme les rémunérations en cash sont en général plus lourdement taxées (au titre de l'impôt sur le revenu) que les plus-values sur les actions, ils sont globalement perdants dans cette histoire de dividendes. L'indignation de Thierry Ottaviani, président de SOS Petits porteurs a le goût d'un bonbon acidulé quand il déclare: "Avec la dégringolade des cours [les dividendes] deviennent un symbole, même si les dividendes ne compenseront pas les pertes financières subies par la baisse des cours".

On se croirait dans "Buffet froid", le film de Bertrand Blier où chaque personnage dit toujours le contraire de ce qu'il devrait:
- Les petits actionnaires en réclament à corps et à cris alors qu'une plus-value de l'action serait plus intéressante pour eux (moins taxée). Comme le dit jean-Marie Pruvost dans son blog "Si la société ne verse pas de dividendes, le cours ne va donc pas diminuer pour cette raison. Il suffira à l'actionnaire de vendre alors le nombre d'actions nécessaires pour compenser les dividendes qu'il n'aura pas perçu. Dans les conditions actuelles il pourra même dégager des moins values et réduire son imposition!"
- L'Etat fustige les versements de dividendes alors qu'ils lui assurent d'excellentes rentrées fiscales, avec une double imposition (une fois par l'impôt sur les sociétés et une seconde fois par l'impôt sur les revenus des dividendes).
- Les Entreprises se croient obligées d'en verser -quitte à s'endetter parfois!- alors que leur capacité d'autofinancement est notoirement faible et qu'elles ont de plus en plus de difficultés à trouver des crédits auprès des banques.

Là où le scénario est admirable, c'est que la chute est parfaitement crédible, car dissuader (même pour de mauvaises raisons) les entreprises de verser des dividendes c'est finalement rendre service à tout le monde malgré eux: les entreprises se voient contraintes à plus d'efficacité et les actionnaires sont protégés contre eux-mêmes. Il n'y a que l'Etat qui y gagne moins qu'il ne le pourrait...


Derrière les dividendes...
Mais alors à quoi servent les dividendes s'ils ne rémunèrent pas les actionnaires? Excellente question sur laquelle les économistes apportent beaucoup de réponses, pas toujours claires et parfois contradictoires:
- Augmenter son taux d'endettement/diminuer sa part d'autofinancement: Microsoft en 2004 avait beaucoup trop de capitaux propres par rapport à sa capacité d'endettement et choisit d'en rendre par tous les moyens possibles. Entre dividendes et rachat d'actions, c'est un total de 70 milliards de dollars qui fut restitué au marché cette année-là.
- Envoyer un signal d'optimisme au marché: de gros dividendes indiquent en général que l'on anticipe des bénéfices futurs supérieurs aux prévisions (et donc qu'on n'a pas besoin de réinvestir tout le bénéfice).
- Montrer aux actionnaires que les dirigeants (ré)investissent avec discernement. La théorie économique impose en effet qu'une entreprise parvenue à mâturité ne réinvestisse ses bénéfices que pour des projets qui en vaillent la peine. Sinon il vaut mieux qu'elle rende son capital excédentaire au marché qui saura le placer de façon plus rentable. En termes techniques, ça se dit: "une politique de dividende doit s'apprécier par rapport à la rentabilité marginale de l'actif économique". Ça jette...

Les trois raisons précédentes sont de bonnes nouvelles pour les actionnaires et ont donc tendance à booster le cours de bourse (nonobstant la baisse mécanique liée au versement du dividende, bien sûr). On comprend du coup que les entreprises rechignent à rogner sur les dividendes versées, de crainte de paniquer leurs actionnaires.

- Normalement une politique de dividende sélectionne plutôt les investisseurs institutionnels et découragent les petits porteurs, soumis à l'impôt sur le revenu. Mais après ce qu'on a entendu, j'ai les plus grands doutes sur ce dernier point...
D'autant que les entreprises peuvent contourner ce problème de l'imposition sur les dividendes en rachetant leurs actions plutôt qu'en versant des dividendes. Le cours de l'action monte alors mécaniquement et en plus ça augmente le poids des gros actionnaires à l'Assemblée générale. Idéal pour permettre à un actionnaire principal mais pas majoritaire d'augmenter son contrôle sur la stratégie de l'entreprise...

Bref il y a loin de ces stratégies plus ou moins byzantines à l'explication d'une "juste rémunération" des actionnaires en récompense de leurs investissements dans l'économie du pays. Mais en communication financière, une fausse évidence passera toujours mieux qu'un raisonnement contre-intuitif.

Sources:
Finances d'entreprises , de Pierre Vernimmen: la bible de la théorie financière;
L'interview de Patrick Artus dans l'Express, qui critique au passage l'idée d'un partage en trois tiers des bénéfices;
Cet article des Echos sur le sujet et celui-ci qui traite des rachats d'actions et du cas de Microsoft en 2004.
Ce papier très complet de Mondher Bellalah sur la politique optimale de dividendes.

jeudi 5 mars 2009

C'était quel jour déjà?

Si vous voulez jouer les Rain Man dans les dîners en ville, voici une méthode toute simple pour calculer rapidement le jour de la semaine de n'importe quel jour du 20eme siècle. Sans calculatrice bien sûr. Avec un peu d'entrainement vous pouvez même y arriver de tête!

D'abord, un petit exercice (j'ai pas dit qu'il fallait pas bosser...). Vous devez mémoriser la table suivante:
Janvier: 1
Février: 4
Mars: 4
Avril:0
Mai: 2
Juin: 5
Juillet: 0
Aout: 3
Septembre : 6
Octobre: 1
Novembre: 4
Décembre: 6

C'est bon? Choisissez maintenant une date au hasard, par exemple le 27 juillet 1995.

1) Prenez les deux derniers chiffres de l'année (95 dans notre exemple) et calculez le quotient de la division de ce ce nombre par 4 (on laisse tomber le reste).
95/4= 23 et quelques.

2) Ajoutez à ce quotient (23) le nombre de départ (95) + le code du mois (juillet = 0) + la date du mois (27)
23+95+0+27 = 145

3) Calculez le reste de la division de ce nombre par 7
145 = 20x7 + 5

4) Le résultat (5) est le numéro du jour de la semaine cherché, sachant que
Dimanche = 1
Lundi = 2
Mardi = 3
Mercredi = 4
Jeudi = 5
Vendredi = 6
Samedi = 0

Le 27 juillet 1995 tombait un jeudi!

Allez un autre avec le 28 septembre 1966
66:4=16 et quelques
16+66+6+28=116
116=7x16+4
Le 28 septembre 1966 était un mercredi

Attention, pour les années bissextiles, janvier vaut 0 et février vaut 3...

Et si vous êtes flemmard, vous pouvez toujours regarder sur un site comme celui-ci . Mais c'est tout de suite moins glamour...

Grâce à des trucs comme ça Arthur Benjamin, le "mathémagicien" arrive non seulement à calculer de tête le jour de la semaine de n'importe quelle date (sur la vidéo, 8eme minute), mais même des carrés de nombres jusqu'à cinq chiffres (10eme minute)... Bon entrainement!




Source: A Benjamin et MB Shermer "Mathemagics: How to look like a genius, without really trying" cité dans le "Petit cours d'autodéfense intellectuelle" de Normand Baillargeon.