Le New Scientist a publié un très bon article récemment sur l'origine de la latéralité chez les animaux (hommes compris). C'est vrai ça: pourquoi l'homme est-il majoritairement droitier alors que nous sommes extérieurement parfaitement symétriques? Pourquoi l'antenne droite des abeilles est-elle plus sensible que la gauche? Petit tour non exhaustif de la question, histoire surtout de découvrir des trucs rigolos chez nos z'amies les bêtes...
D'abord les hypothèses farfelues sur l'avantage sélectif direct
J'aime bien ces histoires absolument invérifiables qu'on invente pour coller à la théorie darwinienne. La plus jolie est celle de Lee Salk qui constata dans les années 1960 que les bébés se calment lorsqu'ils entendent les battements du cœur de leur mère. Pour cette raison, Maman Homo Sapiens porte son rejeton sur son sein gauche depuis l'aube de l'humanité, et à force, la sélection naturelle a progressivement éliminé les femmes qui ne savent pas utiliser leur bras droit resté libre...
Et les hommes me direz-vous? Facile: ceux qui se battent contre des grands fauves en utilisant leur main droite éloignent davantage leur cœur des attaques meurtrières et ont donc été favorisés par la sélection naturelle, voilà tout!
Plus raffinées: les hypothèses mécaniques
Le narval a longtemps été une énigme car sa grande défense spiralée est en fait sa dent gauche hypertrophée (source des photos: ici et là). Pourquoi la dent gauche, et pas la droite? La seule explication que je connaisse est celle qu'en donne D'Arcy Thompson[3]. D'après lui "chacun des puissants coups de queue de l'animal ne le propulse pas seulement vers l'avant, mais lui imprime en plus une torsion qui le fait brutalement pivoter sur le côté; (...) A la base de [sa corne], qui est assez fragile, le "couple" qui impose à la corne de suivre le mouvement de torsion du corps agit avec toute son efficacité." Ainsi durant toute la durée de sa croissance, "la lente rotation de la corne corrige toute tendance à subir une courbure ou une flexion dans l'une ou l'autre direction." Comme il conclut joliment, ce n'est pas la corne qui pivote en synchronisation avec le reste du corps, mais "l'animal, pour ainsi dire, tourne lentement, très lentement, et petit à petit autour de sa propre corne!". Si le narval vous intéresse, sachez qu'on a enfin découvert l'utilité d'un appendice aussi encombrant. Contrairement à ce que l'on croyait, ce n'est pas (seulement) pour permettre aux mâles de faire des duels pour les beaux yeux de leur belle. Cette dent leur servirait simplement comme antenne, extrêmement sensible grâce à son anatomie étrange (avec la pulpe sensible à l'extérieur pour ainsi dire). De la mesure en dent réel en quelque sorte!
Evidemment, l'explication n'est que partielle: si la rotation du corps du Narval est toujours orientée dans le même sens, c'est que l'anatomie du corps de l'animal est globalement asymétrique. Sur cette fascinante question à la frontière entre physique et génétique je vous renvoie aux deux très bons billets de Tom Roud (ici et là). On doit trouver le même genre d'explication à la circumnutation des plantes grimpantes (le sens de l'hélice suivant laquelle elles poussent). Et si vous n'arrivez pas à caser ce gros mot dans un dîner en ville, essayez plutôt Shakespeare: "Ainsi le liseron (qui pousse selon une hélice droite, NDLA) et le chèvrefeuille embaumé (hélice gauche, NDLA) s'entrelacent doucement" (Songe d'une Nuit d'Eté, Acte IV, scèneI).
L'hypothèse de la coordination des mouvements collectifs
Les comportements asymétriques collectifs sont plus simples à comprendre. Par exemple les chauve-souris de l'espèce Molosse, au Nouveau Mexique sortent par milliers de leur grotte en décrivant une ellipse qui tourne systématiquement dans le sens des aiguilles d'une montre [1]. Vu leur densité et leur vitesse d'envol, cette convention semble une question de sécurité publique. Imaginez la catastrophe aérienne si certaines bestioles tournaient en sens inverse! On a comparé ce niveau de coordination chez 16 espèces de poissons différentes mis face à une simulation de prédateur. Comme on pouvait s'y attendre les espèces grégaires fuient la plupart du temps d'un seul côté alors que les espèces moins grégaires s'éparpillent plus souvent de tous les côtés. Allez savoir, c'est peut-être grâce à ce mécanisme que l'on se fait la bise en commençant toujours du même côté?
On peut extrapoler cette explication aux réflexes des prédateurs chassant en groupe -une meilleure coordination les aidera à coordonner leurs attaques. Un peu de théorie des jeux pourrait même expliquer pourquoi on trouve toujours une petite minorité "déviante" dans ces populations, bénéficiant de l'effet de surprise chez l'ennemi. A condition bien sûr que ces comportements atypiques restent marginaux pour ne pas perturber la cohérence du groupe. Dans nos propres sociétés, cet "avantage aux gauchers" est particulièrement flagrant dans de nombreux sports individuels (tennis, boxe, escrime...).
D'abord les hypothèses farfelues sur l'avantage sélectif direct
J'aime bien ces histoires absolument invérifiables qu'on invente pour coller à la théorie darwinienne. La plus jolie est celle de Lee Salk qui constata dans les années 1960 que les bébés se calment lorsqu'ils entendent les battements du cœur de leur mère. Pour cette raison, Maman Homo Sapiens porte son rejeton sur son sein gauche depuis l'aube de l'humanité, et à force, la sélection naturelle a progressivement éliminé les femmes qui ne savent pas utiliser leur bras droit resté libre...
Et les hommes me direz-vous? Facile: ceux qui se battent contre des grands fauves en utilisant leur main droite éloignent davantage leur cœur des attaques meurtrières et ont donc été favorisés par la sélection naturelle, voilà tout!
Plus raffinées: les hypothèses mécaniques
Le narval a longtemps été une énigme car sa grande défense spiralée est en fait sa dent gauche hypertrophée (source des photos: ici et là). Pourquoi la dent gauche, et pas la droite? La seule explication que je connaisse est celle qu'en donne D'Arcy Thompson[3]. D'après lui "chacun des puissants coups de queue de l'animal ne le propulse pas seulement vers l'avant, mais lui imprime en plus une torsion qui le fait brutalement pivoter sur le côté; (...) A la base de [sa corne], qui est assez fragile, le "couple" qui impose à la corne de suivre le mouvement de torsion du corps agit avec toute son efficacité." Ainsi durant toute la durée de sa croissance, "la lente rotation de la corne corrige toute tendance à subir une courbure ou une flexion dans l'une ou l'autre direction." Comme il conclut joliment, ce n'est pas la corne qui pivote en synchronisation avec le reste du corps, mais "l'animal, pour ainsi dire, tourne lentement, très lentement, et petit à petit autour de sa propre corne!". Si le narval vous intéresse, sachez qu'on a enfin découvert l'utilité d'un appendice aussi encombrant. Contrairement à ce que l'on croyait, ce n'est pas (seulement) pour permettre aux mâles de faire des duels pour les beaux yeux de leur belle. Cette dent leur servirait simplement comme antenne, extrêmement sensible grâce à son anatomie étrange (avec la pulpe sensible à l'extérieur pour ainsi dire). De la mesure en dent réel en quelque sorte!
Evidemment, l'explication n'est que partielle: si la rotation du corps du Narval est toujours orientée dans le même sens, c'est que l'anatomie du corps de l'animal est globalement asymétrique. Sur cette fascinante question à la frontière entre physique et génétique je vous renvoie aux deux très bons billets de Tom Roud (ici et là). On doit trouver le même genre d'explication à la circumnutation des plantes grimpantes (le sens de l'hélice suivant laquelle elles poussent). Et si vous n'arrivez pas à caser ce gros mot dans un dîner en ville, essayez plutôt Shakespeare: "Ainsi le liseron (qui pousse selon une hélice droite, NDLA) et le chèvrefeuille embaumé (hélice gauche, NDLA) s'entrelacent doucement" (Songe d'une Nuit d'Eté, Acte IV, scèneI).
L'hypothèse de la coordination des mouvements collectifs
Les comportements asymétriques collectifs sont plus simples à comprendre. Par exemple les chauve-souris de l'espèce Molosse, au Nouveau Mexique sortent par milliers de leur grotte en décrivant une ellipse qui tourne systématiquement dans le sens des aiguilles d'une montre [1]. Vu leur densité et leur vitesse d'envol, cette convention semble une question de sécurité publique. Imaginez la catastrophe aérienne si certaines bestioles tournaient en sens inverse! On a comparé ce niveau de coordination chez 16 espèces de poissons différentes mis face à une simulation de prédateur. Comme on pouvait s'y attendre les espèces grégaires fuient la plupart du temps d'un seul côté alors que les espèces moins grégaires s'éparpillent plus souvent de tous les côtés. Allez savoir, c'est peut-être grâce à ce mécanisme que l'on se fait la bise en commençant toujours du même côté?
On peut extrapoler cette explication aux réflexes des prédateurs chassant en groupe -une meilleure coordination les aidera à coordonner leurs attaques. Un peu de théorie des jeux pourrait même expliquer pourquoi on trouve toujours une petite minorité "déviante" dans ces populations, bénéficiant de l'effet de surprise chez l'ennemi. A condition bien sûr que ces comportements atypiques restent marginaux pour ne pas perturber la cohérence du groupe. Dans nos propres sociétés, cet "avantage aux gauchers" est particulièrement flagrant dans de nombreux sports individuels (tennis, boxe, escrime...).
Tous les poissons plats ont bien compris qu'il valait mieux pour chaque espèce qu'elle soit toujours orientée dans le même sens. C'est la raison pour laquelle durant la métamorphose de l'alevin (qui lui, est symétrique) c'est toujours le même œil qui migre sur le flanc opposé. Les turbots se retrouvent sur le flanc gauche, la plie et la sole sur le flanc droit et tout va bien (sources des photos: ici).
Il y a un poisson d'eau douce qui n'a pas bien compris cette règle d'or, c'est l'anableps. Il n'est pas plat, mais on ne peut pas non plus dire qu'il ait été gâté par la nature celui-là. Il a même franchement l'air un peu monstrueux, avec ses yeux bizarres qui lui permettent de voir à la fois au-dessus et au dessous de la surface de l'eau. Bref, dans cette drôle d'espèce les femelles ont en eu la mauvaise idée d'avoir leur conduit génital orienté tantôt à gauche, tantôt à droite et les mâles pareil avec leur zizi. Un vrai casse-tête sexuel car un mâle droitier ne peut s'accoupler qu'avec une femelle droitière! Qui a dit que la Nature était bien faite?
L'anableps en pleine action (photos de aquarticles.com où tout est bien expliqué pour les anableps n'ayant pas compris le BA-ba du Kamasutra)
Quatrième hypothèse: la latéralisation du corps reflète celle du cerveau
Indépendamment de ces fous d'anableps, l'hypothèse d'une coordination collective n'explique pas tout. Pourquoi constate-t-on si souvent une latéralité (droite ou gauche) privilégiée pour certaines facultés? Pour ce qui concerne notre "dextritude" humaine il semble qu'il faille chercher du côté gauche de notre cerveau gauche, là où réside la plupart de nos capacités pour le langage. Or l'hémisphère gauche de notre cerveau contrôle la moitié droite de notre corps ergo nous sommes souvent droitiers. Le cerveau gauche des autres vertébrés est beaucoup moins intéressé par les nourritures spirituelles que par la nourriture tout court! Des animaux aussi divers que les poissons, des crapauds, des oiseaux ou des baleines attaquent leurs proies plutôt par la droite.
OK me direz-vous, mais ça ne répond pas à la question: à quoi sert cette spécialisation cervicale? Je n'ai pas trouvé d'explication complètement convaincante sur le sujet, mais un faisceau d'indices laisse penser qu'un cerveau asymétrique est plus efficace pour certaines tâches. Les perroquets sont un bon sujet d'étude car ils sont parfois latéralisés et parfois ambidextres. En leur demandant d'effectuer des tâches compliquées (comme remonter une friandise pendouillant au bout d'une ficelle, en s'aidant astucieusement de leur bec et de leurs pattes), on a vérifié que les perroquets latéralisés s'en sortent beaucoup mieux que leurs collègues ambidextres.
Chez l'homme certaines facultés rares -comme l'oreille absolue- coïncident selon B. Lechevalier, avec "une asymétrie plus grande de la surface des planums temporaux au bénéfice du côté gauche. Une telle asymétrie existe chez tous les sujets, mais elle est plus marquée chez les détenteurs de l'oreille absolue" [2]. A l'inverse, l'imagerie médicale confirme que des troubles comme la dyslexie pourraient être liés à une insuffisante asymétrie entre nos deux cerveaux droit et gauche. De quoi vous consoler de n'être pas ambidextre comme Léonard de Vinci...
Et oui, vous aussi pouvez vous concentrer sur deux choses simultanément! Mais pas plus de deux, comme viennent de le montrer Etienne Koechlin et Sylvain Charron, neurologues à l'INSERM dans le dernier numéro de Science. Ils ont découvert que pour y parvenir chacune des tâches est prise en charge par un hémisphère différent:
© Etienne Koechlin. Quand une personne poursuit deux buts (Goal) en même temps, associés à deux actions (Action), les deux lobes frontaux s'activent simultanément. Chaque lobe frontal traite l'une des deux actions mais jamais les deux à la fois. Les régions préfrontales (en orange), situées juste derrière le front, assurent la coordination, en se chargeant du traitement d'un but pendant que l'autre est suspendu. Cette structure duale de l'hémisphère cérébral explique qu'un être humain n'est pas capable de gérer simultanément plus de deux tâches. Source: Pour la Science.
Dans ces conditions, il semble raisonnable que des fonctions cérébrales complémentaires -comme l'alerte et la recherche de nourriture- soient logées dans des hémisphères différents: cette configuration permet de repérer sa pitance tout en restant aux aguets! La latéralisation est encore plus avantageuse chez les oiseaux et les poissons dont les yeux -situés de chaque côté de la tête- correspondent à des champs visuels et cervicaux différents. C'est exactement ce qui se passe pour le poussin, qui localise sa nourriture avec l'œil droit et guette le danger de l'œil gauche. Un candidat idéal pour tester si la théorie tient debout! D'autant qu'on a découvert que pour perturber cette latéralité il suffisait de maintenir l'œuf dans l'obscurité totale durant la durée de la couvée.
Des chercheurs ont donc comparé les comportements des deux types de poussins (avec ou sans latéralité) lorsqu'on leur présentait à la fois des graines et l'ombre inquiétante d'un (faux, on n'est pas des bêtes) oiseau de proie au dessus de leur tête. Les poussins couvés à la lumière du jour s'en sortent sans problème: ils zieutent les graines avec l'œil droit et ils surveillent l'ombre du prédateur avec l'œil gauche. Par contre les poussins n'ayant pas de latéralité cervicale manifestent un comportement beaucoup plus instable, changent fréquemment d'œil pour l'une ou l'autre tâche et arrivent finalement beaucoup moins bien à trouver les graines et à localiser l'ombre menaçante. Il semble donc bien que la latéralité cérébrale permet d'être plus efficace quand on fait deux choses à la fois...
Bon à qui revient la palme de la bizarrerie? J'aurais bien voté pour un petit champignon appelé laboulbenia qui ne pousserait que sur la patte arrière gauche de certains insectes et arthropodes. Mais en dehors du livre de Martin Gartner [1] et de ce site, je n'ai pas vraiment trouvé de source qui parle de ce phénomène. Alors par défaut, je propose le titre à nos amis les chats, qui d'après la vidéo du Newscientist ci-dessous, utiliseraient plutôt leur patte gauche quand c'est un mâle qui essaie d'attraper une proie et plutôt leur patte droite quand c'est une minette.
Encore que, après de longues heures de test, le conseil de famille Xochipillesque vient de rendre son verdict: Xochiminouche est ambidextre (et pas très très futée d'ailleurs...).
PS. Xochiminouche a une excuse puisque la vidéo du New Scientist montre exactement l'inverse du texte: des éléphants gauchers et des poussins qui picorent sur la gauche!
Sources:
[1] Martin Gartner, L'univers ambidextre (1985) p80 à 87
[2] Bernard Lechevalier, Le cerveau mélomane de Baudelaire, 2010 p29
[3] D'Arcy Thompson, Forme et Croissance (1961) p222
L'article du NewScientist, Southpaws, the evolution of handedness (2010)
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