samedi 8 décembre 2007

Le satyre et le Paysan




Un homme s'était, dit-on, lié d'amitié avec un satyre.
L'hiver étant venu, comme il faisait froid, l'homme portait les mains à sa bouche et soufflait dessus.
"Que fais-tu là ?", lui demanda le satyre.
"Je me réchauffe les mains, dit-il, car il fait froid."
Plus tard, ils passèrent à table.
Comme le plat qu'on lui avait servi était très chaud, l'homme y prélevait de petits morceaux et, les portant à sa bouche, il soufflait dessus.
Interrogé une nouvelle fois par le satyre, il expliqua qu'il refroidissait ainsi sa nourriture.
"Eh bien, lui dit le satyre, je renonce à ton amitié, car tu souffles de la même bouche et le chaud et le froid."
Nous aussi, gardons-nous de l'amitié de qui mène double jeu.


Observateur, ce satyre de la fable d'Esope, mais pas scientifique. Cherchons à comprendre à sa place pourquoi l'air que nous expirons semble plus frais soufflé bouche à demi-fermée que bouche ouverte.

Intuitivement on se dit que l'air est plus froid parce qu'il va plus vite. Avant de sortir de la bouche l'air était comprimé. En sortant il accélère et se détend et la décompresssion provoque son refroidissement, c'est le principe du réfrigérateur. On peut en faire l'expérience en utilisant n'importe quel aérosol, extincteur ou récipient sous pression. Par ailleurs, plus le filet d'air est mince, plus la surface exposée au contact de l'air ambiant est importante (elle croît avec le carré des dimensions du cône, donc moins vite que le volume du cône qui lui, croît avec le cube de ces mêmes dimensions).

Pourtant l'explication pourrait ne pas totalement satisfaire notre satyre fraîchement converti à la physique moderne car, objecterait-il, même lorsque la compression dans la bouche est très faible, l'air est toujours aussi frais. Y compris très près de la bouche, alors même qu'il n'a pas eu le temps de se refroidir au contact de l'air ambiant. Avez-vous essayé, nous glisserait-il d'un air malicieux, de souffler sur un thermomètre pour voir s'il marque une température plus basse? Car dans ce domaine, les sens des humains les trompent souvent, leur faisant accroire qu'un ventilateur rafraîchit alors qu'il ne fait que brasser de l'air chaud.

Le satyre a raison... et tort à la fois. Car la sensation de fraîcheur qu'apporte l'air brassé -même chaud- d'un ventilateur n'est pas uniquement le fruit de l'imagination. C'est le phénomène de "sensation thermique" qui s'explique par le renouvellement rapide de la couche d'air chaud et humide isolant notre peau de l'air ambiant. Ce remplacement continu de l'air se trouvant au contact de la peau facilite l'évaporation de la sueur, évaporation qui est notre principal mécanisme de refroidissement corporel (pour s'évaporer l'eau absorbe de l'énergie, donc produit, en quelque sorte, du froid).

Rien de psychologique là dedans, ami satyre.

Mais votre critique est très utile car c'est sans doute ce même mécanisme qui permet de refroidir efficacement -mais certes pas élégamment - sa soupe: en soufflant dessus, on chasse la couche d'air isolante et saturée en vapeur située juste au-dessus de la surface et l'on accélère son évaporation. Plus la vitesse de l'air est forte, plus le renouvellement est accéléré et le refroidissement rapide.

Un souffle fin rafraîchirait donc à la fois par sa température plus basse et par son effet sur l'évaporation. A l'inverse, lorsque l'on souffle bouche grande ouverte, l'air n'est ni détendu ni très rapide. Tout près de la bouche, il est encore très chaud, et dans le froid il réchauffe ainsi les mains efficacement. Notre satyre peut se réconcilier avec son ami humain.

Pour une température donnée, un liquide (ou un organisme) peut donc refroidir très vite en fonction du vent. Le phénomène est plus marqué à basse température, ce qui explique que l'on se préoccupe beaucoup de la vitesse du vent dans les régions nordiques. Selon Wikipedia l'effet sur le corps humain d'un vent de 50km/h à -20°, équivaut à une température extérieure de -35°! C'est très froid, même pour un satyre.