lundi 10 décembre 2007

Psychologie de l'agacement



Dans son livre "Agacements", Jean-Claude Kaufmann dissèque le phénomène dans l'intimité d'un couple, une fois dissipée la phase d'amour extatique où l'on trouve les petites manies de l'autre "charmantes".

J'en retiens deux mécanismes: le premier, plutôt social (le social commence à deux), est le choc de ces deux micro-cultures sous un même toit. L'amour se rêve dans la fusion des corps et des âmes et s'idéalise dans l'harmonie parfaite des goûts et des comportements. Or la vie à deux se révèle très vite être une "machinerie à produire du contraste identitaire" où éclatent les différences dans les modes de vie au quotidien -que ce soit les chaussettes qui traînent ou la télévision constamment en marche. Ces dissonances deviennent rapidement irritantes tant elles contrastent avec l'idéal amoureux de l'accord parfait. Kaufmann voit dans cet agacement naissant "un indice que le processus d’unification s’est mis en branle". L'agacement comme une manière pour le couple de trouver son modus vivendi.

L'explication psychologique me semble plus intéressante. Nous accomplissons dans la routine quotidienne un grand nombre de gestes de manière mécanique, sans y réfléchir: attraper son bol pour le petit-déjeuner, se laver les dents en prenant sa brosse de la main gauche et le tube de dentifrice sur la tablette près du verre à dents etc. Ces automatismes sont très pratiques car ils déchargent l'esprit d'une concentration inutile et permettent de penser à autre chose, de se réveiller etc. Imaginez un instant une journée où chaque geste serait pensé, réfléchi, calculé: ce serait épuisant.

Lorsque l'un de ces automatismes se trouve contrarié - le bol qui n'est pas à sa place habituel dans le placard- l'esprit est contraint de se réveiller, de comprendre ce qui se passe et de trouver une solution - ouvrir l'autre porte du placard. Si c'est son conjoint qui est à l'origine de cette interruption de notre pilotage automatique, la surprise fait place à l'amusement puis à l'agacement lorsque la chose se répète. L'aspect systématique de ce réveil psychique irrite. D'autant que c'est l'être aimé -le traître! - qui en est la cause alors que l'on attend de lui support et amitié. Surtout si -traitrise des traitrises - il ne prête semaine après semaine, mois après mois, aucune attention à nos récriminations. Et si - à force - il s'agace lui-même de notre propre agacement, on a réuni les ingrédients d'un cocktail conjugal détonant.

Dans cette perspective, nos sources d'agacement intimes éclairent mieux qu'une psychanalyse, les gestes, les idées, les moments de notre quotidien pour lesquels nous sommes le plus confortablement installés "en mode automatique". Analyser ce qui nous agace le plus, c'est mettre le doigt sur nos valeurs les moins conscientes, les plus mécaniques, les moins explicables. Celles auxquelles nous ne pensons pas car elles vont de soi.
Elles nous renvoient ainsi au plus profond de notre construction psychique. Plus un comportement nous agace, plus il nous renseigne sur un aspect de notre inconscient...

Une dispute vaudrait-elle plus qu'une séance de psy?