Reprise d'un échange sur ce sujet avec Eric, qui s'interroge dans son excellent blog sur la signification et la dangerosité de ce principe à la formulation pour le moins amphigourique:
- « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » (article 5 de la Charte de l'Environnement, inscrite à la Constitution depuis 2005).
Je crois pourtant que le principe de précaution n'est ni une pure trivialité ni une nouvelle démonstration de démagogie écologique. Car force est de constater que jusque dans les années 1990, nos politiques de protection sanitaire et de l'environnement ont été le plus souvent régies d'abord par l'intérêt supérieur de la politique industrielle française.
Quelques exemples:
- La France a attendu 1997 pour interdire complètement l'amiante, après en avoir été le premier producteur mondial. Alors que l'on connaît officiellement sa dangerosité depuis 1902. Qu'il est inscrit officiellement au tableau des facteurs de maladies professionnelles depuis 1945 et classé comme cancérogène avéré depuis 1976. Pourquoi tant de temps? Car sa dangerosité était insuffisamment démontrée par le Comité Permanent Amiante, financé par les industriels*
- Il faut attendre 1991 pour avoir une première loi de vrai protection contre les dangers du tabac. Bien que l'on connût son caractère cancérigène, la mesure exacte de sa dangerosité n'était pas suffisamment démontrée selon le lobbying anti-tabac.
- Après la catastrophe de Tchernobyl et contrairement à tous nos voisins européens, les pouvoirs publics n'ont pris aucune mesure préventive sur le lait, les légumes verts ou l'eau de pluie. Le nuage s'était arrêté à nos frontières, heureusement.
- Enfin, et je m'arrête là, on a attendu 2 ans pour imposer en 1985 le dépistage systématique du sida sur les dons de sang, simplement parce que la France refusait de se voir contrainte d'importer du plasma des Etats-Unis. Bilan: 2000 hémophiles contaminés.
Pour biscornu qu'il soit, ce principe de précaution me semble du coup être la salutaire promesse que les pouvoirs publics ne s'abriteront plus derrière l'insuffisance de preuves pour différer les mesures préventives qui s'imposent. Loin d'être la condamnation à mort de toute initiative sous prétexte du risque inévitable qu'elle porte en germe, ce principe de précaution est la garantie donnée au citoyen qu'il peut compter sur un (contre-)pouvoir responsable qui le préservera des risques majeurs et avérés, sans attendre des années d'expertises contradictoires.
Cette formulation sous forme d'incitation à l'action sans tarder se retrouve d'ailleurs de manière beaucoup plus claire dans la Loi Barnier de 1995 (je graisse):
"L'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement, à un coût économiquement acceptable." C'était moins pompeusement dit, mais certainement beaucoup plus clair.
Le protocole de Kyoto est une illustration de ce qu'on attend d'un tel Etat responsable. Et pour le coup, on aurait été heureux que les Etats-Unis aient adopté notre fameux principe...
*PS: Je tiens à remercier mon number one de m'avoir prêté son devoir de SVT sur l'amiante, précieuse documentation à cette modeste contribution bloguesque.