Petit flashback, il y a environ deux millions d'années: Homo Ergaster est devenu définitivement bipède. Pas très rapide, l'hominidé, mais endurant! Il doit galoper souvent et longtemps dans la savane africaine. Pas pratiques ces poils sur tout le corps, c'est comme si vous courriez en pull-over! Vous avez trop chaud, vous suez et après vous êtes trempés et vous attrapez froid. C'est pour ça qu'on rase les chevaux de course l'hiver: ils se sentent mieux pendant l'effort, sèchent plus vite et il suffit de leur mettre une couverture sur le dos pour qu'ils ne se refroidissent pas. C'est exactement ce qui serait arrivé à Homo Ergaster, qui troqua donc ses poils contre des vêtements. Sauf aux endroits stratégiques, là où nos poils se sont faits complices de nos messagers olfactifs. "Ne vous lavez pas, j'arrive!" écrivait Napoléon à Joséphine après sa victoire à Marengo.
Et sur la tête? Les explications sont plus vaseuses, d'autant que les cheveux longs sont des nids à parasites. Et puis pas la peine d'avoir d'aussi longs cheveux pour protéger le cuir chevelu... Alors, quoi? Effet de la sélection sexuelle? Possible que les hommes préférent les femmes à cheveux longs, ou que les femmes préfèrent les hommes hirsutes. Pour le coup on n'en sait rien du tout.
Toujours est-il que cette drôle de répartition pileuse masque finalement ce qui est d'habitude le plus exhibé chez nos amis les bêtes: les testicules chez l'homme, la vulve chez la femme. Pour l'homme c'est pas très grave, il a été tellement vexé qu'il a développé le plus grand pénis de tous les primates. Non rétractile et sans os pénien s'il vous plaît! Le gorille de Brassens, avec ses cinq centimètres en érection peut aller se rhabiller. A part la sélection sexuelle, on ne sait pas très bien expliquer les raisons d'une telle course à l'armement chez l'homme, pas forcément plus efficace en termes de fécondité. Pour la femme, par contre, la pudeur est de mise, d'autant que la position debout a fait basculer tout l'appareil génital entre ses cuisses, le masquant complètement au regard des autres. Cette discrétion anatomique va de pair avec une sexualité cantonnée - théoriquement - à l'intimité du couple... Même au moment de l'ovulation, les changements morphologiques chez la femme sont extrêmement subtils, pas comme ses cousines primates qui exhibent leur vulve violacée et gonflée sous le nez de tous les mâles qui passent à proximité. Chez nous, à peine quelques phéromones insoupçonnables dont on commence à peine à mesurer les effets. Tant de discrétion est d'autant plus étonnante qu'en dehors de leur menstruation, les femmes, contrairement aux singes, sont en permanence disponibles pour l'accouplement. Ce mélange de disponibilité sexuelle et de pudeur est une exception dans tout le règne animal...
Pour en comprendre les raisons, les paléo-anthropologues font appel à une nouvelle exception humanoïde: la taille de notre cerveau. Pour survivre sans crocs, ni griffes, sans être très musclé ni très rapide, il a bien fallu que l'homme développe son cerveau pour organiser sa survie, fabriquer des outils, des vêtements, poser des pièges, aménager des abris etc. Mais la taille du bassin des femmes n'a pas suivi le rythme. Pour ne pas mourir en couches, il a fallu que les femmes accouchent de leurs bébés plus tôt, avant que leur cerveau ne soit bien développé: si l'on prenait comme référence la taille du cerveau adulte, la durée de la gestation devrait durer vingt mois pour un cerveau de 1000 cm3! Résultat, durant les premiers mois -voire les premières années les bébés d'hommes sont moins autonomes que les bébés singes et réclament toute l'attention de leur mère. Elever ses petits à deux est donc vite devenu indispensable et une réceptivité sexuelle permanente est un moyen plutôt efficace pour tisser des liens affectifs entre parents et retenir le partenaire-mâle au foyer, le temps d'élever les petits. La pudeur sexuelle permettrait, elle, de limiter les tentations avec d'autres partenaires. Une sexualité féminine à la fois discrète et permanente serait ainsi une solution trouvée par l'évolution pour assurer la survie de l'espèce-au-gros-cerveau.
Il reste LA dernière question, le meilleur pour la fin: pourquoi ces dames ont-elles des seins gonflés, alors que les femelles singes sont plates comme des limandes? On peut imaginer que des seins galbés sont signes de fécondité et de bonne santé, et que la sélection sexuelle les a donc privilégiés, mais dans ce cas pourquoi n'observerait-on pas le même phénomène chez les singes? L'éthologue Desmond Morris a dans les années 1960 émis une hypothèse plus originale. A la différence de la plupart des primates, nos interactions amoureuses et sexuelles se font avec les partenaires en face-à-face, toujours à cause de l'orientation particulière du vagin féminin; il serait donc logique que l'évolution ait favorisé l'apparition de signaux sexuels sur la face antérieure du corps féminin. C'est ce qui se passe par exemple chez les femelles Gelada:
Comme elles passent pas mal de temps en position assise, pour manger, leur organes génitaux sont peu visibles par les mâles. Or on retrouve sur leur torse une zone sans poil, rouge vif, avec au centre des petits mamelons rouge foncé qui imitent étonnamment les lèvres de leur vulve. La couleur de cette zone change d'intensité en fonction du cycle sexuel, signalant ainsi les phases de réceptivité de la femelle. De la même manière les mandrills mâles ont de très jolies tâches bleues et rouges sur le visage qui rappellent clairement les couleurs de leurs propres zones génitales.
Il se serait passé exactement la même chose chez la femme qui aurait développé des signaux sexuels visibles de face et en haut du corps. Quels signaux? L'arrière-train est un excellent candidat, d'autant que grâce à notre position verticale, nous sommes les seuls parmi les primates à avoir des fesses toute rondes. Et c'est ainsi que seraient développés des seins galbés, imitation presque parfaite de nos fesses et judicieusement placés sous les yeux des mecs. Et c'est vrai que la ressemblance prête parfois à confusion:
A l'appui de cette thèse, Morris observe que la montée du désir féminin est particulièrement visible sur les mamelons, qui sont la partie la plus mise en valeur des seins. Et l'on comprend mieux pourquoi le soutien-gorge "valorise" autant la poitrine.
Mais nous avons un autre candidat-stimulus au beau milieu du visage cette fois! Les lèvres féminines, rouges et humides, ça ne vous rappelle vraiment rien? A l'appui de cette thèse audacieuse, nous sommes les seuls primates à arborer des lèvres charnues, dont les renflements sont ostensiblement tournés vers l'extérieur. L'hypothèse est d'autant plus séduisante que le contraste lèvres-peau est un indicateur très fiable de la féminité d'un visage (cf ce billet précédent).
Toutes ces thèses sont bien entendus contestables et contestées, notamment du fait que les seins n'ont pas forcément de connotation érotique, chez certaines populations d'Afrique notamment. Néanmoins, je trouve cette théorie suffisamment amusante pour y rajouter mon grain de sel en proposantdeux trois autres candidats à cette signalisation sexuelle:
- la courbure des reins (la "lordose"), signal visuel universel, efficace sur les mâles de toutes les espèces, du rat jusqu'au babouin. Tellement évocateur que l'on peut penser que la nature l'a répliquée partout sur tout le corps féminin depuis l'arrondi du mollet (accentué par exemple quand madame porte des talons) jusqu'à la silhouette générale en forme de violoncelle.
- les échancrures de toutes sortes (je n'ose dire "de tout poil"), qui évoquent évidemment la partie visible de la vulve, et qui donnent tout leur charme aux décolletés et aux pantalons taille basse.A l'appui de cette thèse, Morris observe que la montée du désir féminin est particulièrement visible sur les mamelons, qui sont la partie la plus mise en valeur des seins. Et l'on comprend mieux pourquoi le soutien-gorge "valorise" autant la poitrine.
Mais nous avons un autre candidat-stimulus au beau milieu du visage cette fois! Les lèvres féminines, rouges et humides, ça ne vous rappelle vraiment rien? A l'appui de cette thèse audacieuse, nous sommes les seuls primates à arborer des lèvres charnues, dont les renflements sont ostensiblement tournés vers l'extérieur. L'hypothèse est d'autant plus séduisante que le contraste lèvres-peau est un indicateur très fiable de la féminité d'un visage (cf ce billet précédent).
Toutes ces thèses sont bien entendus contestables et contestées, notamment du fait que les seins n'ont pas forcément de connotation érotique, chez certaines populations d'Afrique notamment. Néanmoins, je trouve cette théorie suffisamment amusante pour y rajouter mon grain de sel en proposant
- la courbure des reins (la "lordose"), signal visuel universel, efficace sur les mâles de toutes les espèces, du rat jusqu'au babouin. Tellement évocateur que l'on peut penser que la nature l'a répliquée partout sur tout le corps féminin depuis l'arrondi du mollet (accentué par exemple quand madame porte des talons) jusqu'à la silhouette générale en forme de violoncelle.
- [trouvé après coup]: l'invention (culturelle cette fois) du vernis à ongle rouge ne fonctionne-t-elle pas sur sur le même registre que celui des lèvres, en évoquant par sa couleur la zone génitale féminine?
Le corps féminin est comme le dit joliment Pascal Pick, littéralement envahi par les signaux sexuels!
Diable, je me rends compte que je n'ai parlé que des femmes! Et les hommes alors? Pourquoi ont-ils des lèvres? Et pourquoi des seins, puisque ça ne sert à rien? Ce sont sans doute là les limites de l'évolution. L'homme et la femme se développant à partir du même "patron" embryonnaire, ils partagent la même morphologie générale, à quelques détails près. A partir du moment où des lèvres charnues et des seins visibles ont été sélectionnés chez la femme, toute l'espèce en a été affectée, hommes comme femmes. Et dans la mesure où ces caractères ne constituent pas vraiment un handicap, l'homme les a conservés malgré leur absence d'utilité. En somme, l'anatomie de l'homme serait ainsi le fruit de l'évolution... de la femme: un produit-dérivé en quelque sorte.
Sources:
Le sexe, l'homme et l'évolution de Pascal Picq et Philippe Brenot (2009, Odile Jacob)
Field notes from an evolutionary psychologist (en anglais)
La place de l'homme parmi les vertébrés dans le blog de Jean-Louis Cordonnier
Homo sexualis, du collectif 12 singes
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Vraiment sans gène, pour d'autres théories plus invraisemblables (à mon avis) concernant notre goût pour les blondes.