jeudi 9 octobre 2008

Consanguin... ou presque

Le billet de Tom sur un niveau optimal de consanguinité constatée chez les Islandais m'a donné à penser: alors quoi? Chez les humains, un peu de consanguinité (pas trop quand même) serait plus efficace du point de vue reproductif que pas de consanguinité du tout? Moi qui croyais que rien ne valait un vrai grand brassage génétique...

Le résultat est intéressant car prendre un partenaire proche génétiquement, un cousin par exemple, est le moyen le plus efficace pour maximiser la transmission de son propre patrimoine génétique (l'inclusive fitness ou succès reproductif global dont je parlais dans mon billet précédent): en effet plus les parents partagent de gènes, plus leur progéniture -qui hérite de la moitié des gènes de chacun- leur sera génétiquement proche.

Une stratégie évolutive payante devrait donc consister à rechercher une bonne dose de proximité familiale: suffisamment pour maximiser les chances de transmettre son patrimoine génétique mais pas trop pour éviter les effets délétères d'une trop forte consanguinité (inbreeding): c'est effectivement la théorie de l'hybridisation optimale ou optimal outbreeding.

Mais cela suppose que les êtres vivants sexués soient capables d'évaluer correctement la proximité génétique d'un partenaire potentiel. On a vu dans le billet précédent que c'était le cas pour les insectes eusociaux. Mais pour les autres? Petit tour du côté des vertébrés cette fois...


La caille des blés
Notre caille domestique (coturnix coturnix japonica) est un bon cobaye pour tester cette théorie car les marques sur la tête sont déterminés génétiquement et sont donc de bons indicateurs de la proximité génétique entre deux volatiles. Par ailleurs la caille est très sensible aux effets de la consanguinité puisque quatre générations de croisements entre frères et sœurs amènent la stérilité des descendants. En 1978 Patrick Bateson de l'Université de Cambridge a étudié les préférences sexuelles de ces oiseaux, en fonction de leur lien de parenté. Les oisillons ont été élevés en groupes de deux frères et soeurs jusqu'à l'âge de 30 jours où ils furent isolés jusqu'à atteindre leur maturité sexuelle.

A deux mois, il leur a fait jouer l'Ile de la Tentation, version oiseau: il a présenté à Monsieur (ou Madame) plusieurs partenaires potentiels posant langoureusement et dans leur plus simple appareil derrière une vitre sans tain, comme à Amsterdam. Il (ou elle) avait le choix entre un sœur (ou un frère) du même élevage, d'un élevage différent, un cousin au premier degré, un autre au troisième degré et enfin un oiseau non apparenté. Systématiquement, le sujet testé s'intéressait davantage à l'oiseau moyennement différent (cousin germain) de lui.

[Apparté linguistique, votre cousin est "germain" non pas parce qu'il a des origines "germaniques" mais parce que vous partagez les mêmes "germes". Comme votre "hermano" de frère d'ailleurs.]

Patrick Bateson émet l'hypothèse que la caille apprend dans le nid à reconnaître visuellement le plumage de ses frères et sœurs et utilise ensuite cette mémoire pour choisir des partenaires ni trop différents ni trop semblables.


Chez les poissons?
Il semble que ce soit parfois la même histoire. Du moins dans la famille des Pelvicachromis taeniatus, un joli petit poisson d'eau douce qui vit en Afrique de l'Ouest et "élève" en couple la progéniture dans ses premiers jours. En procédant un peu de la même façon qu'avec les cailles, Timo Thünken de l'Université de Bonn a mis en évidence en 2007 leur nette préférence pour des partenaires apparentés. Ce choix -risqué en termes de consanguinité - est probablement lié au coût d'un conflit entre parents. Le choix d'un partenaire proche génétiquement constitue une petite garantie d'une meilleure coopération entre futurs parents.

Pour ou contre la proximité génétique?
Mais soyons justes, la littérature scientifique regorge surtout d'exemples démontrant comment les animaux ont tendance à éviter des partenaires trop proches génétiquement: les souris par exemple, chez qui la reconnaissance de parentèle ne se voit pas, mais se sent. Dans leur génome on a identifié un petit groupe de gènes (le CMH pour Complexe Majeur d'Histocompatibilité) qui mutent tellement qu'il y a toutes les chances pour que deux individus non apparentés aient des CMH différents. Par ailleurs, le CMH détermine également l'odeur caractéristique de chaque individu, son passeport olfactif en quelque sorte: pratique pour repérer ses cousins! On a observé que les souris choisissent de préférence des partenaires avec des CMH différents, probablement dans un souci d'éviter les risques de consanguinité. A l'inverse, on a constaté que les nids collectifs étaient partagés plutôt par des souris femelles de même CMH car probablement plus intéressées à la coopération.

Et chez les hommes alors? Et bien ce n'est pas très net. En 1995, Claus Wedekind de l'Université de Berne, a demandé à des étudiantes de renifler (en aveugle) des tee-shirts portés par des hommes qu'elles ne connaissaient pas et d'indiquer si l'odeur leur était agréable et sexy. L'expérience (vidéo) a montré que les femmes préféraient l'odeur d'hommes différents d'elles sur le plan de leur CMH , sauf en période de grossesse (ou lorsqu'elles prenaient la pilule): dans ce cas elles préféraient l'odeur d'hommes génétiquement proches. Comme les souris!!!.

Alors bientôt une rubrique "Histocompatibilité" sur Meetic? Bah pas vraiment: Raphaelle Chaix, chercheur en génétique du CNRS, vient de publier une étude statistique sur l'histocompatibilité des couples, aux Etats-Unis et chez les Yoruba du Nigeria. Les couples américains sont effectivement différents génétiquement mais pas les couples africains. La sociobiologie humaine a manifestement encore du pain sur la planche avant d'expliquer clairement nos préférences sexuelles avec des arguments génétiques...