Cette semaine, la question du choix! Le choix, c'est bon pour l'économie nous dit la théorie, car ça stimule la consommation. Plus l'offre est diversifiée, plus le consommateur a de chances de trouver LE produit correspondant à ses goûts et qu'il va acheter d'autant plus volontiers. Pas étonnant que tous les magasins cherchent à proposer le maximum de choix à leurs clients. C'est vrai qu'on se sent frustré si l'on n'a pas du tout de choix, mais jusqu'à quel point la multiplication des options proposées pousse-t-elle réellement à la consommation?
Drowining by numbers
Pour le savoir, des chercheurs de l'Université de Columbia ont comparé les ventes d'un stand de confitures d'une grande épicerie américaine, selon qu'on y proposait six variétés différentes de confitures, ou vingt-quatre. Un choix plus large a bien entendu attiré plus de monde (50% de plus environ). Mais curieusement, les ventes n'ont pas suivi, loin s'en faut. Les chalands ne furent que 3% à se décider alors qu'environ 30% avaient acheté au moins une confiture lorsque le choix du stand était plus réduit!
A croire que trop de choix suscite l'intérêt mais embrouille l'esprit de décision quand on ne sait pas exactement ce que l'on veut. Pensez-y la prochaine fois que vous devrez acheter du pain de mie à Carrefour et que vous aurez à décider si vous le préférez avec ou sans sel, simple ou avec céréales, blanc ou complet, avec ou sans croute, en format normal ou familial, super épais ou hyper fin, spécial sandwich ou parfait pour les toasts... Les restaurants chinois ont astucieusement résolu le dilemme: ils proposent à la fois une carte pléthorique et seulement deux ou trois menus sur lesquels on finit tôt ou tard par se rabattre en désespoir de cause.
Non seulement c'est compliqué de se décider quand on a trop de possibilités, mais en plus il semble qu'on soit moins satisfait de son choix après coup! Les mêmes chercheurs ont demandé à des volontaires de choisir un chocolat, soit parmi six variétés possibles (condition 1), soit parmi trente (condition 2) et de noter leurs impressions en temps réel au cours de l'expérimentation. Les participants en condition 2 apprécièrent d'avoir un vaste choix mais hésitèrent davantage à choisir leur chocolat. Jusque là tout est normal. Mais après avoir mangé leur chocolat, ils se montrèrent moins satisfaits que les volontaires de l'autre groupe ayant opté pour les mêmes chocolats, regrettant plus souvent de n'en avoir pas pris un autre. Après l'embarras du choix, voilà la frustration du choix!
N'allez pas croire qu'avec un peu plus de temps et de réflexion, ils auraient pu mûrir leur choix et ne pas le regretter... On a déjà vu dans ce billet que c'est l'inverse qui se produit: pour des problèmes sans solution simple, plus on délibère, plus on se gourre!
Etes-vous Coca ou Pepsi?
Faut-il se restreindre à trois ou quatre options maximum pour ne plus se compliquer la vie? Il y a des cas où on s'emmêle les pédales avec trois choix seulement! Si par exemple vous aimez le Coca et vous détestez le Pepsi (ou l'inverse, peu importe), vous n'avez sans doute pas trop de difficulté à reconnaître l'un et l'autre quand vous goûtez "en aveugle" dans un verre. Si c'est le cas, je vous invite à faire l'expérience suivante: demandez à un de vos amis de verser l'un des cola dans deux verres et l'autre dans un troisième verre. Essayez maintenant, en aveugle, de distinguer simplement lequel des trois verres contient un cola différent des deux autres. Aussi bizare que ça puisse paraître c'est incroyablement difficile et on n'y arrive en général pas plus souvent que si on répondait au hasard (1). Il semble qu'il soit très difficile de garder suffisamment longtemps en mémoire les subtilités d'une saveur pour être capable de la comparer à deux autres successivement... Quant à distinguer quatre colas, comme a tenté de le faire Rue89, c'est carrément mission impossible.
Choix... ou manipulation?
Dans le même esprit, des économistes américains ont montré comment les choix des individus sont influencés par le nombre d'options qu'on leur présente:
source: Shafir, Simonson & Tversky
Les deux premières expériences confirment celle du stand de confitures: deux bonnes affaires font parfois moins bien qu'une seule, car les acheteurs hésitent davantage. La troisième expérience est plus étonnante car elle illustre l'importance de notre besoin d'avoir de bonnes raisons pour agir: une promo est beaucoup plus attractive si on la propose à côté d'un autre produit sans intérêt! La comparaison favorable du Sony avec le Philips suffit pour justifier sa décision d'achat, quand bien même le Philips n'est pas une référence très pertinente. C'est ce que les psychologues appellent le "besoin de clôture": on est rassuré quand on a une explication à ce qu'on fait.
Pour pousser leur produit-phare, les marques peuvent avoir intérêt à introduire dans leur gamme un produit plus cher et moins intéressant, dans le seul but de conforter la décision des consommateurs de choisir leur produit de référence. J'en ai eu un exemple la dernière fois que j'ai acheté un lave-linge chez Darty. J'hésitais devant un modèle en promo-pas-cher-et-formidable-sous-tous-rapports (selon l'étiquette). Un vendeur m'a alors judicieusement fait remarquer que ce modèle était plus cher et moins performant que le modèle d'à côté. Tout content de ne pas m'être laissé berner, j'ai acheté sans hésiter le modèle qu'il me conseillait. Evidemment mon enthousiasme est retombé lorsque quelques mois plus tard, on m'a refait le même coup pour le frigo...
Sources:
(1) j'ai trouvé cette anecdote dans l'excellent bouquin de Malcolm Gladwell (Blink)
Sheena Iyengar, Mark Lepper: When choice is demotivating (2000)
Shafir, Simonson & Tversky, Reason-based choice (Cognition, 1993)
Billets connexes:
Eloge du pifomètre: comment notre inconscient s'avère souvent plus efficace pour discriminer entre plusieurs choix que la délibération consciente...
Les fantaisies de Homo Economicus (1) et (2)