J'ai été impressionné par les récentes histoires de bébés oubliés toute la journée dans la voiture. Distraction pathologique? Pas du tout: leurs mères paraissaient tout à fait équilibrées mentalement. Par contre elles étaient toutes sous le choc d'un violent traumatisme le matin même suite à un accident de voiture, un autre enfant hospitalisé etc. Ces drames illustrent spectaculairement comment un excès d'émotion peut altérer notre lucidité. Sans tomber dans ces extrêmes, nous devenons très vite distraits ou influençables dès que notre esprit est trop occupé à quelque chose...
La négligence attentionnelle
Vous connaissez peut-être ce test très célèbre. Vous devez compter sur cette vidéo le nombre de passes qu'effectue l'équipe en noir. Concentrez-vous et regardez bien...
Entre la moitié et les trois-quarts des personnes qui voient la vidéo ne remarquent pas le gorille qui surgit au milieu des joueurs. Notre cerveau est une très belle machine, mais il ne peut porter son attention que sur une seule chose à la fois. Occupé à compter les passes, on zappe en général le détail incongru quand rien ne vient nous alerter (l'effet réussit d'autant mieux que le gorille entre doucement au milieu des joueurs et que sa couleur se fond parmi eux). Cette focalisation de l'attention est la recette de base de tous les prestidigitateurs: pendant qu'une colombe surgit de leur main droite vers laquelle ils regardent, personne ne regardent ce que fait leur main gauche. Voici un autre exemple moins connu que le gorille:
êtes-vous tombé dans le panneau, attentifs aux cartes et aux mains des magiciens? La lucarne de notre attention est décidément bien étroite... Certains chercheurs vont même jusqu'à penser que l'onl ne peut prendre conscience que d'une couleur ou d'une forme géométrique à la fois. Voici l'expérience qui inspire leur hypothèse: on vous présente successivement et très rapidement deux images représentant chacune un motif différent (un carré rouge puis un carré bleu) sur un panneau. Vous n'aurez pas trop de mal à vous souvenir de la localisation de chaque motif et de sa couleur. Si maintenant on vous présente rapidement l'image complète avec les deux motifs, vous vous souviendrez de leur agencement mais aurez plus de mal à vous souvenir de leur couleur respective.
source: l'article de Huang, Treisman et Pashler
L'effet est démultiplié lorsqu'on combine plusieurs couleurs, plusieurs motifs et plusieurs localisations possibles. Les auteurs en concluent que la prise de conscience complète d'une image composite exige de balayer lentement l'image complète du regard et de fournir un effort volontaire d'attention à en saisir toutes ses dimensions (couleurs, motifs etc). Il n'y a qu'au cinéma que les héros se souviennent de tous les détails périphériques d'une scène. D'autant que si l'émotion entre en jeu on a vu dans ce billet que l'attention se focalise encore plus sur le centre de la scène (le fameux "weapon effect").
Pensée et boulimie
La focalisation de l'attention réduit aussi nos facultés à décider en conscience. Dans une série d'expériences très amusantes des chercheurs américains ont demandé à des étudiants de tirer au sort une enveloppe contenant un nombre à mémoriser. Pour certains (le groupe 1) le nombre était à deux chiffres et pour d'autres (le groupe 2), c'était un nombre à 7 chiffres. La consigne consistait à se souvenir de ce nombre et aller l'écrire à l'autre bout du bâtiment. En chemin, les étudiants étaient invités à boire un verre et à grignoter quelque chose. Ils avaient le choix entre un gâteau au chocolat et une salade de fruits, avant de poursuivre leur route. Tout le but de l'expérience consistait en fait, non pas à évaluer leur mémoire, mais à observer ce qu'ils choisissaient à manger. Très bizarrement, les étudiants du groupe 2 ayant à se souvenir d'un grand nombre succombaient beaucoup plus souvent (63%) à la tentation d'un junk food que ceux du groupe 1 (41%). Vous avez dit bizarre? Quel rapport entre la taille du nombre à mémoriser et lle goût des étudiants? L'explication des chercheurs est la suivante: notre mémoire de travail peut stocker jusqu'à sept choses maximum; au-delà il faut utiliser des trucs mnémotechniques. Absorbés par l'effort de mémorisation, les étudiants du groupe 2 n'ont plus suffisamment de ressources mentales pour résister à leurs pulsions gourmandes. Sous l'effet de cette "surcharge cognitive", ils choisissent mécaniquement le dessert le plus tentant. Les étudiants du groupe 1 n'ont pas ce problème puisque leur effort de mémorisation n'exige pas toute leur attention. Ils peuvent sans problème dédier quelques microsecondes de leur processeur mental pour choisir un dessert et privilégient parfois un truc sain. Le contraste est encore plus marqué pour les individus de nature impulsive: en situation de surcharge cognitive 80% préfèrent le gâteau au chocolat alors qu'ils ne sont que 40% en temps normal.
Consommation ou compensation?
Cette faiblesse naturelle peut-elle être exploitée par le marketing? La sur-abondance de sollicitations qui abreuvent le consommateur sur les lieux de vente le rend-elle plus sensible à la tentation? On n'en a pas de preuve directe, mais une expérience faite en 2007 a tenté de mesurer le lien entre consommation et contrainte psychologique. On a demandé à des collégiens de faire un exercice de libre association de pensées. Certains d'entre eux avaient la consigne de ne pas penser à un ours blanc (pourquoi un ours blanc, allez savoir...), tandis que les autres étaient libres de penser à ce qu'ils voulaient. Puis on a distribué à tous 10$ de récompense qu'ils pouvaient dépenser dans la boutique du collège ou garder pour plus tard. Les collégiens interdits d'ours blanc ("Thought Suppression" sur le graphique) ont dépensé bien davantage que ceux du groupe contrôle ("No Suppression") surtout lorsqu'ils sont naturellement impulsifs ("High BIS"):
La focalisation de l'attention réduit aussi nos facultés à décider en conscience. Dans une série d'expériences très amusantes des chercheurs américains ont demandé à des étudiants de tirer au sort une enveloppe contenant un nombre à mémoriser. Pour certains (le groupe 1) le nombre était à deux chiffres et pour d'autres (le groupe 2), c'était un nombre à 7 chiffres. La consigne consistait à se souvenir de ce nombre et aller l'écrire à l'autre bout du bâtiment. En chemin, les étudiants étaient invités à boire un verre et à grignoter quelque chose. Ils avaient le choix entre un gâteau au chocolat et une salade de fruits, avant de poursuivre leur route. Tout le but de l'expérience consistait en fait, non pas à évaluer leur mémoire, mais à observer ce qu'ils choisissaient à manger. Très bizarrement, les étudiants du groupe 2 ayant à se souvenir d'un grand nombre succombaient beaucoup plus souvent (63%) à la tentation d'un junk food que ceux du groupe 1 (41%). Vous avez dit bizarre? Quel rapport entre la taille du nombre à mémoriser et lle goût des étudiants? L'explication des chercheurs est la suivante: notre mémoire de travail peut stocker jusqu'à sept choses maximum; au-delà il faut utiliser des trucs mnémotechniques. Absorbés par l'effort de mémorisation, les étudiants du groupe 2 n'ont plus suffisamment de ressources mentales pour résister à leurs pulsions gourmandes. Sous l'effet de cette "surcharge cognitive", ils choisissent mécaniquement le dessert le plus tentant. Les étudiants du groupe 1 n'ont pas ce problème puisque leur effort de mémorisation n'exige pas toute leur attention. Ils peuvent sans problème dédier quelques microsecondes de leur processeur mental pour choisir un dessert et privilégient parfois un truc sain. Le contraste est encore plus marqué pour les individus de nature impulsive: en situation de surcharge cognitive 80% préfèrent le gâteau au chocolat alors qu'ils ne sont que 40% en temps normal.
Consommation ou compensation?
Cette faiblesse naturelle peut-elle être exploitée par le marketing? La sur-abondance de sollicitations qui abreuvent le consommateur sur les lieux de vente le rend-elle plus sensible à la tentation? On n'en a pas de preuve directe, mais une expérience faite en 2007 a tenté de mesurer le lien entre consommation et contrainte psychologique. On a demandé à des collégiens de faire un exercice de libre association de pensées. Certains d'entre eux avaient la consigne de ne pas penser à un ours blanc (pourquoi un ours blanc, allez savoir...), tandis que les autres étaient libres de penser à ce qu'ils voulaient. Puis on a distribué à tous 10$ de récompense qu'ils pouvaient dépenser dans la boutique du collège ou garder pour plus tard. Les collégiens interdits d'ours blanc ("Thought Suppression" sur le graphique) ont dépensé bien davantage que ceux du groupe contrôle ("No Suppression") surtout lorsqu'ils sont naturellement impulsifs ("High BIS"):
Source: l'article de Vohs et Faber
Ici on ne peut plus vraiment parler de surcharge cognitive puisque les étudiants ont terminé leur exercice au moment d'acheter des produits. Le besoin de consommer semble plutôt lié au relâchement de leur auto-contrôle, comme un muscle qui se détend après avoir été sollicité. Et plus l'effort a été grand, plus le besoin de compenser est important. On craque pour un petit extra après un petit effort, mais en cas de stress intense et prolongé, ce besoin de compenser peut devenir pathologique, boulimie ou frénésie incontrôlable d'achat selon l'humeur. Un sentiment de tristesse renforce le besoin de consommer et par ailleurs, si l'on est dégoûté, on aurait plutôt tendance à se débarrasser à n'importe quel prix de ce qu'on veut vendre: après une humiliation nationale en Coupe du Monde, eBay doit se frotter les mains!
Allez, à la demande générale, une petite parenthèse sur la fièvre acheteuse...
L'achat compulsif toucherait -d'après ce site- plus de 1% de la population, des femmes à 80% et pour plus des trois quarts d'entre elles concernent les vêtements et les chaussures en particulier. Pourquoi les chaussures se demande ma Xochipillette? Nature et Science sont muets sur le sujet, par contre les blogs féminins regorgent de théories scientifiques sur le sujet. Dix-neuf paires en moyenne chez les Américaines. Et une sur 12 admet en avoir plus de 100 à la maison! Tout commence par le processus d'achat génialement décrit par ce site (en anglais):
Les expertes du sujet voient une foultitude de raisons pour lesquelles les chaussures sont l'achat compulsif idéal:
1) Elles reflètent facilement l'humeur du moment, même si on est habillé basiquement; et d'ailleurs on peut se permettre une fantaisie bien plus grande avec ses chaussures qu'avec le reste de sa garde robe.
3) Les chaussures sont la première chose qu'une femme regarde chez quelqu'un (paraît-il?).
4) On peut toujours mettre ses chaussures même si l'on a pris ou perdu 20 kg 10kg.
5) Les chaussur es sont les seuls vêtements qu'on voit intégralement quand on les porte sur soi
6) Cendrillon a séduit le Prince Charmant grâce à ses pantoufles de vair verre.
Perso j'ai une explication plus simple: un beau soulier a tous les attributs d'un bijou et c'est le seul bijou qu'une femme peut s'offrir sous l'alibi de l'utilité et du confort pour marcher...
Sources:
Baba Shiv et Alexander Fedorikhin: Heart&Mind in conflict
Vohs & Faber: Spent Resources: Self-Regulatory Resource Availability Affects Impulse Buying
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