Le Babel des babils
Avant les années 1970, on pensait qu’un bébé apprenait sa langue maternelle à partir d’une page blanche, et que ce n’était qu’à force d'entraînement que son oreille parvenait à reconnaître tel ou tel son. Or on s’est rendu compte que dès l’âge de un mois un bébé sait distinguer des sons très proches comme “ba” ou “pa”. Et puis, en 1985: on a découvert qu’à six mois des bébés anglais pouvaient faire la différence entre des phonèmes étrangers (le Ta ‘rétroflexe’ et le ta ‘non rétroflexe’ en Hindi, ou deux phonèmes ki/qi tout aussi exotiques en langue Salish) qu’un adulte ne sait même pas distinguer! Cette capacité diminue avec l’âge et disparaît vers 12 mois: l’inverse exact de ce à quoi on s’attendait:
Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, un bébé naîtrait donc avec une capacité innée à distinguer une très large gamme de phonèmes, une espèce de grammaire universelle, commune à toutes les langues. L’apprentissage d’une langue maternelle le contraint paradoxalement à “oublier” tous les sons non-significatifs afin de mieux se focaliser sur ceux qui sont pertinents. A six mois les voyelles non usuelles passent à la trappe et à un an c’est le tour des consonnes. Peu à peu les subtilités des autres langues disparaissent de son oreille et sa petite tour de Babel intérieure se volatilise progressivement. Une fois adultes les espagnols ne distinguent pas un v d’un b ou un u d’un ou, que les français n’entendent rien aux différents r hollandais, que les japonais confondent l et r, que les allemands ne font pas la différence entre b et p, s et z etc. Le mot “barbare”ne désignait-il pas pour les Grecs tous ceux qui s’exprimaient par onomatopées “bar-bar-bar”?
Ils se ressemblent tous!
Le même phénomène de désapprentissage est à l’oeuvre pour ce qui concerne la reconnaissance des visages.
Les visages utilisés dans le test (source ici) |
Oublier la symétrie gauche-droite pour pouvoir lire
L'écriture en miroir (source ici) |
Oublier, ça s’apprend!
Apprendre à vivre c’est aussi pouvoir surmonter ses peurs et ses angoisses, savoir oublier un aboiement effrayant, un chagrin d’amour ou une grosse frayeur à vélo. La manière dont un souvenir s’atténue dans notre mémoire est là encore assez différent de ce qu’on pourrait imaginer intuitivement.
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Pareil chez nous, les humains: on n’oublie pas une expérience traumatisante en effaçant ses traces de notre tête comme si c’était une ardoise. Un tel souvenir ne s’oublie pas, il s’apprivoise tout au plus. Pour qu’il perde un peu de sa charge émotionnelle et cesse de nous griffer, il faut apprendre à lui associer d’autres expériences positives ou neutres: remonter en selle tout de suite après sa chute, revenir sur les lieux d’un drame personnel, parler de ce qui nous a blessé etc. Bon, je ne me moquerai plus de ces fameuses “cellules d’aide psychologique” qu’on déploie de toute urgence dès qu’il y a une catastrophe quelque part...
Pas évident d’oublier dans le fond de son cerveau...
Vous avez sans doute déjà joué à essayer de deviner l’objet qu’on a retiré d’une pièce ou d’une table que vous aviez bien observée au préalable? Et bien même si vous ne connaissez pas la réponse, vos yeux se poseront inconsciemment plus longtemps à l’endroit de l’objet manquant. On a fait l’expérience avec des volontaires à qui
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Oublier signifierait donc tantôt masquer, inhiber un souvenir, tantôt en perdre l’accès à la conscience. De la même façon “qu’effacer” un fichier informatique ne signifie pas gommer chacun des bits qui le compose mais supprimer l’index qui permet de les retrouver et de les mettre dans le bon ordre. Tout comme les experts arrivent à récupérer certains fichiers effacés par erreur ou malveillance, il arrive qu’une stimulation profonde de certaines zones du cerveau fasse ressurgir puissamment un souvenir qu’on avait complètement oublié. Drôle de bestiole décidément que l’oubli: il se niche là chez les nourrissons, lorsqu’on penserait qu’il n’y a rien à oublier et il se dérobe là où la mémoire semble justement faire défaut. Homer Simpson, grand connaisseur de l’âme humaine, avait raison: l’oubli est indispensable pour apprendre:
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